Dans son livre Savez-vous vraiment ce qu'il y a dans votre assiette ?, Isabelle Brokman propose une plongée passionnante dans le monde de l'agro-industrie. Du blé à la viande, du lait aux céréales, elle passe à la loupe 8 produits que l'on a l'habitude de trouver dans nos assiettes. Après la lecture de son livre, vous ne les regardez plus de la même façon.
Qu'est-ce qui vous a amené à vous intéresser à ce sujet?
Je m’intéresse à l’alimentation depuis longtemps. Mais, si tout le monde sait aujourd’hui que les aliments transformés par l’agroalimentaire sont suspects – c’est un euphémisme - j’avais l’impression que nos aliments de base, bruts, crus, nature n’était pas spécialement l’objet de soupçon. Nous devons manger équilibré, éviter les produits transformés et avaler 5 fruits et légumes par jour et en nous pliant à ces prescriptions santé, nous pensons avoir pris les mesures nécessaires. A condition que ces aliments soient sains… il va sans dire. Est-ce si sûr ? C’est pour répondre à cette question que je me suis lancée dans cette enquête.
Quel était votre objectif lorsque vous avez décidé d'écrire ce livre?
Mon objectif? Savoir comment sont produits les aliments bruts, natures, «sains» que nous mangeons en quantités très importantes. Pain, viande, œufs, lait, tomates ou pommes de terre constituent la base de notre alimentation, tous les jours, à tous les repas. Nous encourageons nos enfants à boire un verre de lait, croquer dans une pomme, grignoter le croûton de la baguette en sortant de la boulangerie… Mais au fait, les tomates servies en salade, le jambon du dîner, le pain pour saucer, la pomme de terre qu’on est satisfait d’avoir écrasé avec du beurre alors qu’on aurait pu prendre de la purée en flocons… D’où viennent ces aliments, qui les a produit, comment? Je voulais raconter tout le processus de production. Car, si nous avons des informations fragmentaires sur les méthodes de l’agriculture moderne qui nous nourrit, il n’existait pas jusqu’à présent, de présentation globale sur ces questions, de A à Z.
Au fur et à mesure que vous progressiez dans votre enquête, avez-vous été surprise par l'ampleur du désastre écologique que votre livre décrit?
J’ai eu de vraies surprises. Je n’imaginais pas le blé aussi gourmand en molécules chimiques, ni sa conservation. Les truies ont deux mamelles de plus qu’il y a 10 ans! La vie d’une poule pondeuse est encore pire que ce que je croyais. Sans parler de l’horrible condition des millions de reproducteurs des poussins géants que nous mangeons. Le régime des vaches laitières atteint des sommets… Les pulvérisations des plants de pommes de terre au pétrole m’ont laissée sans voix… Entre autres.
Au vu de tout ce que vous décrivez dans votre livre, comment se fait-il que l'image d'Epinal de l'agriculture soit encore si forte dans l'inconscient collectif?
Les consommateurs ne savent pas grand-chose des méthodes de l’agriculture dite «de précision» qui remplit nos assiettes. C’est le tour de force de ce secteur : avoir réussi à maintenir, grâce à un marketing constant et un vrai sens du secret, une vitrine à des années-lumière de la réalité de l’agriculture 2.0. Les consommateurs intériorisent cette image d’Epinal qui résonne peut-être avec leur nostalgie de la France rurale et de ses paysans. Tout ce que nous avons découvert dans nos albums d’enfant. Les mêmes que nous lisons à nos propres enfants. Mais Martine à la ferme, c’est fini.
Vous écrivez que dans le système actuel le veau est devenu un sous-produit de l'industrie laitière. Avez-vous été choquée de devoir écrire de tels propos qui montrent à quel point l'industrie agricole cherche à se détacher des lois de la nature?
Ce qui me choque le plus c’est que finalement, tout le monde y perd, à part les multinationales des semences, des produits phytosanitaires, des médicaments et l’agroalimentaire. Tout le monde : les agriculteurs qui sont en train de payer sur leur santé le prix de l’usage de ces produits, les consommateurs qui ingurgitent des cocktails de résidus de molécules chimiques, les terres agricoles qui s’épuisent et meurent, la planète qui étouffe sous l’effet des gaz à effet de serre dont l’agriculture intensive produit le quart au moins… Pourtant, on a l’impression que les seuls qui ont décidé d’agir sont les citoyens, envers et contre l’inertie des pouvoirs publics, à travers les initiatives de permaculture, d’agroécologie, d’agriculture urbaine… Est-ce que ça va suffire? Je n’en suis pas sûre.
À votre avis, quelle est la solution d'avenir pour la santé humaine et animale autant que pour la planète?
C’est au consommateur d’agir. Le bio, les labels rouges, AOP… sont synonymes de meilleures pratiques sans nul doute. Mais finalement, aussi important pour notre avenir, l'achat de nos produits directement aux producteurs devrait redevenir un réflexe. Rencontrer l’éleveur de votre poulet, l’arboriculteur qui a récolté vos pommes ou le maraîcher qui a produit vos tomates redonne du sens à l’aliment et provoque aussi l’intense satisfaction de mettre un visage sur l’histoire de ce que nous mangeons et de payer le prix de la reconnaissance du travail accompli à celui qui nous remplit le ventre.
Pour aller plus loin, le livre d'Isabelle Brokman, Savez-vous vraiment ce qu'il y a dans votre assiette?, éditions Solar