A quelques jours de La Bio dans les Etoiles, le grand évènement annuel organisé par la Fondation Ekibio, Lionel Astruc répondait en avril 2014 à nos interrogations sur le locavorisme.
Local est-il souvent synonyme de bio ?
Il faut rappeler que ce que l'on trouve sur les étals d'un marché de producteurs locaux peut parfois ressembler à du bio mais ne pas en être. L'aspect artisanal ne doit pas nous induire en erreur et les marchés dits "fermiers" comptent aussi des producteurs pratiquant les méthodes conventionnelles à l'aide de pesticides, d'engrais chimiques etc....
Cela dit, circuits courts et agriculture biologique sont bien souvent associés : distribuer en circuit court prolonge l'application de pratiques agricoles écologiques. Du reste, les marchés paysans rassemblent de plus en plus de producteurs bio.
La notion de "circuit court" intègre-t-elle une distance réduite (200km?) en plus du nombre d'intermédiaire réduit ?
Non, l'acceptation générale du terme n'inclut pas la distance et il faudrait préciser "circuit court de proximité" pour évoquer les produits locaux. En ce qui concerne la distance idéale, elle dépend de la région où l'on habite : l'important reste de faire la part belle aux produits cultivés autour de chez soi. Quant à se fixer un nombre de kilomètres, il me semble que ce type de locavorisme est trop stricte.
Que penser du bio non local ?
Lorsque cela nous est possible, il est préférable de favoriser les produits locaux, régionaux, nationaux et de restreindre ses achats de "produits lointains" à des articles introuvables sous nos climats, et ce, à titre raisonnable et exceptionnel.
Rob Hopkins, fondateur du mouvement de Transition, répond justement à ces questions. Lorsqu'on lui demande si le fait de réduire la consommation de produits lointains ne risque pas de priver de travail les petits producteurs du sud, il répond que c'est l'inverse qui s'est produit. La mondialisation a fragilisé tous ces exploitants. Si la re-localisation que nous menons dans nos pays était appliquée aux pays du sud, cela contribuerait à y rétablir la sécurité alimentaire. Mais attention : il ne s'agit pas de se mettre sous cloche et de se couper du monde !
Il existe aussi l'exception Marco Polo, qui comporte quelques produits qui sont devenus incontournables dans notre alimentation avec le temps. Il s'agit du café, du thé, des épices par exemple. Ces produits sont, pour la plupart, légers à transporter. Cela fait partie de la marge de manœuvre que s'accordent les locavores.
Le bio lointain est-il forcément "commerce équitable" ?
C'est souvent le cas. Ceux qui pratiquent l'agriculture biologique au sens large englobent aussi l'aspect humain. Mais indéniablement, il est plus difficile d'accompagner l'aspect social et environnemental d'une production qui a lieu de l'autre côté de la planète. Par ailleurs, il faut songer que chaque jour, 1500 camions passent la frontière franco-espagnole pour emmener des fruits et légumes venus de pays du sud, vers le nord. Or ces produits venus de pays qui manquent d'eau, sont essentiellement composés... d'eau. Cela donne à réfléchir.
Finalement, le bio de supermarché est en train de reproduire la même chose qu'en conventionnel...
On ne peut pas généraliser de cette manière, et finalement c'est vraiment au consommateur d'être vigilant. Il est important de noter que des opportunités de circuits courts existent en nombre, encore faut-il prendre le temps de se renseigner autour de chez soi et saisir le plus d'opportunités possibles. Il n'y a plus seulement les AMAP ou les magasins de producteurs, les réseaux de paniers ou les petits commerces, c'est un réseau beaucoup plus vaste ! Parlons à nos voisins qui ont peut-être des bons plans, mettons en place de petits groupements d'achats... Cela vaut vraiment la peine d'étudier la question.
Est-il plus compliqué de manger bio et local en ville ou en zone rurale ?
Je suis de la campagne, mais j'ai l'impression que cela peut être simple en ville aussi, en fonction du quartier, du temps et du mode de vie. Le problème, c'est que souvent, les citadins ont une vie plus pressée et plus compliquée, ce qui fait qu'une alternative à quelques centaines de mètres peut sembler difficile à intégrer dans leurs trajets courants. Le retour des petits commerces résoudrait bien des problèmes de ce côté-là.
Quels sont les nouveaux circuits courts d'approvisionnement ?
On voit apparaître des initiatives vraiment révolutionnaires telles que la Super Halle d'Oullins, près de Lyon, ou encore le supermarché collaboratif La Louve. La Ruche qui dit Oui est aussi un circuit particulièrement pertinent. Je constate que de plus en plus de groupements informels se créent également entre amis ou voisins. Ceux-ci n'hésitent pas à créer de nouveaux circuits-courts, y compris pour des produits comme les oranges par exemple, qui viennent d'Espagne ou d'Italie. En traitant en direct avec les producteurs, ils sont sûrs de la provenance de leurs produits et maitrisent l'ensemble de la chaine, en contournant des intermédiaires souvent inutiles et coûteux.
Avec le local, on favorise l’environnement, et avec le bio, la santé. Comment faire si on doit choisir entre les deux ?
C'est une question complexe, à laquelle on ne peut répondre qu'au cas par cas. Cela dépend de nombreux paramètres, dont la région où l'on habite. Pour ma part, j'achète par exemple des pommes non traitées à un producteur qui n'est pas labellisé bio, mais je connais bien son mode de production et cela correspond à mes critères.
L'important n'est peut-être pas de choisir, mais plutôt de saisir toutes les opportunités que l'on a de manger bio et local, discuter avec les producteurs pour connaître leurs méthodes, et pourquoi pas les aider à avancer si c'est possible, via la constitution d'Amap par exemple.
Lorsqu'on connait l'impact de l'élevage sur l'environnement, le locavore ne devrait-il pas être végétarien ?
En effet, prôner un mode de vie bio demande de renverser notre culture alimentaire. La protéine animale ne peut plus être le centre du repas. Aujourd'hui, en France, nous consommons des protéines à deux tiers animales, et pour un tiers végétales.
Pour changer les choses en profondeur et faire en sorte que nos assiettes aient un impact décisif sur l'environnement, il faut inverser ce rapport : manger deux tiers de protéines végétales, et un tiers seulement de protéines animales. Cette statistique a été mise en évidence par Solagro*, et son scénario Afterres2050, qui planifie une vraie mutation de nos habitudes et du paysage, étape par étape. Un outil vraiment précieux pour mettre les grandes idées en application.
Ce changement de nos habitudes constituerait une véritable révolution à l'échelle du paysage, de la consommation en eau et aussi de la surface de terre, car pour produire une protéine animale il faut 5 à 10 fois plus de surface cultivée que pour produire une protéine végétale.
Pour passer à l'action et apprendre à mettre en pratique cette réduction de notre consommation de viande, la Fondation Ekibio, dont je m'occupe, organise des ateliers de cuisine. Ce que nous transmettons a d'abord trait à la gourmandise et à l'épicurisme. Le plaisir doit précéder le reste, c'est fondamental. Mais finalement, chacun comprend aussi que les protéines animales représentent ce qu'il y a de plus coûteux dans nos assiettes. Aussi, les réduire permet de faire "d'une pierre trois coup" : c'est utile pour nos porte-monnaies (manger sain et bio ne coûte finalement pas plus cher), mais aussi pour l'écologie et la planète.
*Créée en 1981, Solagro est une entreprise associative à but non lucratif. Son projet : ouvrir d'autres voies pour l'énergie et l'agriculture, pour une gestion économe, solidaire et de long terme des ressources naturelles (énergie, biodiversité, eau, air,...).
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