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Stop au gâchis

La gestion du gâchis, source de croissance ? Éléments de réponse avec Jérôme Henry

Jérôme Henry
Jérôme Henry du réseau des particuliers au Crédit Coopératif et auteur de "L’économie humaine, mode d’emploi".
Jérôme Henry
Audrey Etner
Audrey Etner
Mis à jour le 25 février 2021
Et si une meilleure gestion du gâchis pouvait restaurer la croissance de notre pays ? Réponses avec Jérôme Henry, directeur du réseau des particuliers au Crédit Coopératif et auteur de "L’économie humaine, mode d’emploi".

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Si l'on gérait mieux le gâchis, on pourrait apporter de la bonne croissance. C'est ce que soutient Jérôme Henry qui a répondu à nos questions. 

Qu'englobe-t-on dans la notion de gâchis ?

On pourrait définir le gâchis comme tout ce qui est lié à la consommation humaine et que l'on jette alors qu'on pourrait le garder ou le valoriser. 

Il y a ensuite différentes sources de gâchis : le gâchis alimentaire, le gâchis lié à la consommation de biens, le gâchis énergétique etc..

En travaillant sur ces problèmes de gaspillage, on doit pouvoir créer de la croissance ou de l'emploi. 

Il est alors intéressant de se demander ce qu'est la croissance. Est-ce-que vendre en France plus de véhicules fabriqués à l'étranger est source de croissance ? En terme de PIB oui, en terme de TVA aussi, mais cela ne crée pas d'emploi. Donc selon moi, ce n'est pas de la "bonne croissance". 

En revanche, acheter moins de voitures, mais plus de voitures françaises, c'est moins bon pour le PIB mais meilleur pour l'emploi. Voici ce que j'appelle la "bonne croissance". 

La question est la suivante : est ce que lutter contre le gâchis peut apporter de la croissance, et si oui de quelle façon ? 

Que représente le gâchis en France ? En volume, en euros ?

Il n'est pas évident à chiffrer. On trouve surtout des informations sur le gaspillage alimentaire qui représente environ 100 kg jetés par an par personne en France. C'est énorme ! 2.3 millions de tonnes d'aliments sont gaspillés dans la distribution, 1.5 millions de tonnes dans la restauration collective.

Qui sont les responsables du gaspillage ? Doit-on toujours blâmer le consommateur final ?

Globalement nous commençons à gaspiller moins parce qu'on valorise plus (ex : verre, papier) et aussi de mieux en mieux. En parallèle, nous sommes entrés dans une attitude de moins en moins tolérante par rapport au gaspillage, c'est à dire que nous avons un souhait de plus en plus fort de moins gaspiller. 

Par exemple : il devient de plus en plus cher de gaspiller l'énergie d'une maison alors on isole mieux. Pourtant les constructions actuelles sont énergétiquement bien meilleures que celles qu'on construisait il y a 15 ou 20 ans : c'est le "ressenti gaspillage" qui est plus fort. 

Ce souhait de moins gaspiller concerne-t-il tout le monde ?

Pour moi il y deux types de consommateurs français : 

  • 40 % des français sont "affinitaires". Pour eux, il est intolérable de gaspiller, pas pour des raisons personnelles et économiques mais pour des raisons citoyennes. Ils ne supportent pas de jeter de la nourriture lorsque d'autres n'y ont pas accès, ou qu'elle pourrait être réutilisée. 

Il y a une dizaine d'années, cette frange de la population ne représentait que 25 % des français. Comme ils sont de plus en plus nombreux à porter le message, cela donne l'impression qu'il y a de plus en plus de gâchis. Pourtant, si l'on prend l'exemple d'une maison passive : il y a 10 ans, elle coûtait 20 % plus cher qu'une maison "classique". Aujourd'hui, elle ne coûte plus que 10 % plus cher, pour un coût annuel de chauffage de 100€. 

  • 60 % français sont des "TPMG" (Tout pour ma gueule) qui ne sont pas affinitaires. Pour cette tranche de la population, gaspiller devient intolérable uniquement lorsque des considérations financières entrent en jeu. 

Bien entendu, c’est un peu coupé à la serpe au niveau de ces deux segments d’attitudes ! Car de militant affinitaire à militant TPGM, les intersegments sont très mélangés.

Parmi les TPMG on estime que 10 à 15 % sont "perméables", c'est à dire proches d'être affinitaires. Pourtant, il n'ont peut être pas encore eu la chance de rencontrer un "produit affinitaire" et conservent une vision très militante des affinitaires. Pour eux, c'est un peu le sketch José Bové avec les toilettes sèches . 

Si on prend l'exemple de l'éco-habitat et qu'on explique qu'il ne s'agit pas exclusivement de toilettes sèches mais de bon sens énergetique, d’isolation saine et performante, de peinture naturelle, etc.. On apporte une vision éco-citoyenne, éducative et financière à la lutte contre le gâchis énergetique que nous vivons depuis tant d’années par conséquence de modes de constructions et de chauffage très énergivores.

Ainsi, le gâchis peut aussi être un élément de prise de conscience qui participe à une économie plus humaine, pour que tout cela devienne rentable. Par exemple aujourd'hui le recyclage du verre est installé, les recharges se démocratisent et les packagings diminuent. Ceci montre bien que par l'éducation, on peut lutter contre le gâchis et faire de la croissance économique.

En quoi la gestion du gâchis peut-elle être source de croissance ?

Pour illustrer ma réponse, je prendrai trois exemples : 

  • L'alimentaire : il devient intolérable que des grandes surfaces enduisent les produits de consommation d'eau de javel et elles sont des plus en plus nombreuses à donner leurs invendus à des associations. Le consommateur a aussi tendance à changer ses habitudes pour ne plus jeter : il fait ses courses aux marchés à des petits producteurs et privilégie les circuits courts. 

On peut aussi évoquer les projets de retour à la cantinière dans les cuisines d'école : elle sait adapter sa façon de cuisiner aux enfants de l’école où elle officie, à la différence des industriels souvent bien loin du bruit des cours d’école !

Cette inversion de tendance est clairement liée au citoyen qui n'a plus envie de ce gâchis. On agit localement, avec de l'emploi, en recréant la paysannerie par exemple. On travaille pour le goût et des produits plus naturels. 

  • La ressourcerie : certaines régions ont changé la gestion de leurs déchetteries. Elles les font gérer par une association (ressourcerie) qui trie, répare ce qui peut l’être par l'insertion et vend à des personnes qui n'ont pas beaucoup de moyens. C'est ainsi que ce qui ne vaut plus rien retrouve une valeur, une seconde vie, et permet à des personnes d'acheter des produits utiles à leur quotidien. On évite l'importation sans pour autant tomber dans le protectionnisme. 
  • Le liège est un produit naturel isolant thermique et phonique. Il n'existe pas de filière de recyclage du liège en France, pourtant grand pays vinicole (il en existe en Belgique). À la Rochelle, Echo Mer a mis en place un système pour récupérer ces bouchons dans les restaurants. Le liège récupéré devient alors isolant pour les habitation. L’association a aussi valorisé les chutes de voiles pour en faire des sacs, les paniers à huitres qui deviennent des paniers à vélo.. C'est un bon exemple de lutte efficace contre une forme de gâchis. 

Pour lutter contre le gaspillage, il faut partir du principe qu'on le refuse. Les solutions sont plutôt données par des associations, des coopératives qui, en refusant ce gâchis, enclenchent le cercle vertueux. 

Enfin on pourrait aussi parler de la lutte contre le gâchis pour faire de l'Art. J'aime particulièrement la prochaine affiche du Festival du Vent 2013 qui montre des sculptures d'animaux à base de plastique récupéré sur les plages Corses. L'intérêt de l'art, c'est qu'on peut plus facilement faire prendre conscience aux enfants du problème des déchets. 

Faut-il alors mettre en place des mesures CONTRE le gâchis ou POUR sa meilleure gestion ?

Le gâchis actuel provoque une sorte de grande pagaille qui n'est utile qu'à quelques entreprises. En organisant un peu mieux, en éduquant, on créé une société plus citoyenne qui permet aux gens de vivre mieux. Comment, chacun à son niveau, peut aider à avancer vers cela ? 

A l'opposé du slogan "Travailler plus pour gagner plus" qui signifie : produire plus pour consommer plus pour produire plus, je préfère "Produire mieux pour consommer juste" qui prend en compte l'empreinte écologique, les produits de saison, fabriquer de façon plus humaine, privilégier les jouets en bois etc..

Quand on parle de gâchis, on engage une autre façon de voir les choses, et les français étant assez créatifs, il s'agit d'un processus naturel. Si l'on veut refuser ce désordre, on propose d'être un petit Colibri, on créé une société qui a de meilleures bases, pas seulement liées à la consommation.

Ainsi, l'idée n'est pas d'être peu nombreux à manger bio, mais de permettre à tout un chacun d'y venir progressivement, grâce à un grand mouvement citoyen pour que cela s'installe durablement. Et ce phénomène est déjà en marche ! 

Parmi les industriels, il y a aussi des TPMG (Tout pour ma gueule). Mais les autres, ceux qui ont compris, privilégient des garanties longues et des produits plus durables. La preuve, on parle maintenant de Cradle to Cradle (du berceau au berceau) qui est une nouvelle approche permettant de penser un produit dès le départ en 0 pollution / 100% recyclage.

Finalement on assiste à un contre-coup du Made in China : les entreprises européennes ne peuvent pas fabriquer moins cher, elles vont donc fabriquer mieux, plus durable. 

Cela va se jouer dans la confiance en une marque, on en parle aux voisins, on essaime. Ces entreprises favorisent une lutte contre le gâchis. 

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