Photo : Sylvie Lancrenon
Vous êtes une actrice engagée, d'où vous vient cette conscience pour l'environnement ?
Mélanie Laurent : Mon engagement vient simplement de mon éducation. Mes parents ne sont pas militants, mais l'écologie, c'est du bon sens et j'ai toujours vécu en faisant attention à la vie. Ne pas gâcher les choses précieuses, apprendre à être libre... Je me suis construite sur ces bases.
Aujourd'hui, il me semble que le gros problème du monde est l'éducation. Si on éduquait la nouvelle génération à faire changer les choses, je suis sûre qu'on y arriverait.
En tant que jeune maman, vous allez en faire une priorité pour votre enfant ?
ML : "Quel monde vais-je lui laisser ?", c'est en effet ma grande angoisse du moment. J'ai l'impression que mon enfant fera partie d'une génération forcée à se battre. Il n'aura, selon moi, pas la possibilité d'exercer le métier de son choix. Pour lui, la seule option sera de faire de la politique, être militant, participer à faire une révolution.
Une grande étude scientifique très poussée a révélé que l'espèce humaine pourrait disparaître dans à peine un siècle si nous continuons dans cette voie. (Ndlr: "Approaching a state shift in Earth's Biosphere"). Les questions existentielles que pourra se poser mon fils seront très différentes des nôtres. Il n'aura pas à se demander s'il sera heureux, s'il vivra dans une maison avec sa famille, avec un travail qu'il aime. J'ai plutôt l'impression qu'il devra apprendre à gérer des catastrophes naturelles de plus en plus violentes.
Si les scientifiques disent vrai, mon enfant devra se battre pour survivre.
Pour toi, faire changer les choses s'apparente vraiment à un combat ?
ML : J'étais enceinte lorsque Cyril Dion (Ndlr : co-fondateur du Mouvement des Colibris avec Pierre Rabhi) m'a parlé pour la première fois de cette étude. Cela m'a complètement bouleversée. De nature optimiste, je lui ai aussitôt demandé "alors qu'est ce qu'on fait ?" plutôt que "profitons vite de ce qu'il nous reste avant de mourir".
Ce qui est très frustrant aujourd'hui, c'est que les solutions existent partout, mais que nos politiques cherchent à tirer profit du temps qu’ils passent au pouvoir, plutôt que de prendre le risque de tout changer.
J'ai confiance en la nouvelle génération et je suis persuadée qu'une révolution citoyenne aura lieu. C'est le seul moyen d'enrayer le marasme créé en à peine un siècle. Le corail par exemple, s'est créé en 400 millions d'années. En cinquante ans, on a détruit 90 % des coraux des océans. Ces cinquante dernières années ont été tellement destructrices sur le plan environnemental, que pour moi on est déjà très en retard sur le début du changement.
Je suis sûre que de très belles choses peuvent arriver si nous inversons la tendance dès maintenant. Le problème va bien au-delà de nos frontières. Arrêtons de croire que trier les poubelles et manger bio change le monde et voyons la réalité en face ! Nous faisons ces petites choses pour nous, parce que nous vivons dans un pays riche et que nous pouvons nous permettre de manger un peu mieux. Ayons conscience qu'il s'agit simplement de la base, et pas de la solution. Ces petites actions ne suffiront absolument pas pour faire face à l'inertie dans laquelle se trouve le monde.
Et la part du Colibris dans tout ça ?
ML : Je n'ai pas la solution mais je pense vraiment que ça ne suffit plus et qu'il faut démarrer une révolution. Si nous tous, citoyens, mettions par exemple en œuvre le boycott des lobby, nous serions très forts. Il faut rendre nos actes militants. Ensuite, c'est aux médias de relayer ces actes de pression très forts.
Ne pensez-vous pas que cette posture puisse placer le monde dans une sorte d'attentisme ?
ML : Ce qu'il nous manque ce sont des leaders. Nous venons d'en perdre un (Ndlr : Nelson Mandela), porteur d'une philosophie très forte : aider les autres et voir le meilleur en eux. Nous manquons de grands humanistes et de guides pour nous entraîner sur de nouvelles voies.
Les solutions écologiques doivent être mondiales et possibles à mettre en œuvre pour le plus grand nombre. Développer sans fin des solutions pour les pays riches qui polluent les plus démunis ne changera rien en profondeur. Ce n'est pas parce que l'on protège une parcelle de forêt dans un coin de France que l'on règle le problème de la déforestation en Indonésie. En revanche, si tout le monde boycotte les marques qui utilisent de l'huile de palme, les industriels se voient obligés de changer.
Un autre exemple intéressant est celui du thon. Sans parler d'une pénurie, il y a actuellement un grand mouvement de pillage des derniers thons pour les congeler, pour en tirer profit lorsqu'il n'y en aura plus. Ainsi, un restaurant qui sert aujourd'hui du thon, n'a ni conscience ni intérêt pour ce qu'il se passe dans le reste du monde. Quoi qu'il arrive, ces grands groupes feront du business sur les ressources de la planète jusqu'à leur mort, il est donc de notre devoir de ne pas cautionner leurs pratiques.
Si la tolérance zéro est prévue pour le conducteur en état d'ivresse, pourquoi ne pas l'appliquer à celui qui jette des déchets par la fenêtre de sa voiture ? Lorsque je rends visite à mes grands-parents à la campagne, je pars avec un sac poubelle. En à peine une heure de balade, je reviens avec 18 canettes de soda, des bouteilles de verre, des mouchoirs, des plastiques... Si j'étais au gouvernement, je mettrais en place des amendes douloureuses pour lutter contre ces pratiques !
Est-ce le rôle d'une actrice d'informer le grand public ?
ML : Disons qu'une actrice, ou toute autre personne médiatisée, a accès aux médias. Quand je milite auprès de Greenpeace, je leur dis toujours que je ne suis que leur attachée de presse. J'appelle les médias et ils me suivent. Je l'ai fait pendant plusieurs années, et j'ai été ravie que la lumière soit faite sur ces actions positives. Mais aujourd'hui, ça ne me suffit plus du tout. J'ai l'impression que c'est le "minimum syndical" et je me sens frustrée.
Alors la seule chose que j'ai trouvée pour aller plus loin, c'est de partir pendant plusieurs mois avec Cyril Dion et une petite équipe de tournage tourner le documentaire "Demain", montrant toutes les solutions positives qui existent déjà à travers le monde. J'ai l'impression que ce sera mon premier acte militant, qui me semble un peu plus significatif que deux ou trois interviews par an.
On sent dans vos propos beaucoup de peur, d'urgence... Et peu d'optimisme pour la suite. C'est pourtant ce que vous souhaitez démontrer dans le documentaire que vous réalisez en ce moment. Pourquoi cette posture ?
ML : Je sens que tout est là, qu'un nouveau rêve est à portée de nos mains. La génération de nos enfants n'ouvre plus assez de livres, passe son temps sur des écrans. Il faut les emmener en forêt, au contact des arbres. Il faut vite leur parler des animaux, alors que dix espèces disparaissent chaque jour de notre planète.
Si j'étais pessimiste, je profiterais d'avoir de l'argent dans un pays riche pour en rester là. Je suis optimiste car je sais qu'il y a des solutions. J'ai envie de me battre et d'organiser cette révolution. Si ce documentaire rencontre du succès, est vu par un maximum de personnes, si l'on déclenche une envie des citoyens de se lever, il y aura énormément de choses à faire.
Vous soutenez le Mouvement Colibris, comment s'est passée cette rencontre, quels sont vos projets avec eux ?
ML : J'étais marraine de la fondation Danielle Mitterrand lorsque j'ai demandé à dîner avec Pierre Rabhi. J'ai passé un moment passionnant. À la fin, je lui ai demandé ce que je pouvais faire pour changer tout ça. Il m'a alors parlé de la nécessité d'éduquer, de se réunir, de revenir à l'humain.
Je me suis aussitôt associée aux Colibris et j'ai rencontré Cyril Dion, avec qui nous essayons d'élaborer des projets qui parlent au plus grand nombre, car j'ai conscience que le Mouvement des Colibris n'est pas connu de la majorité des Français. Pourtant, il suffirait d'un petit programme de quatre minutes avant le journal télévisé du soir pour faire passer des messages forts. Je suis très énervée contre la télévision française qui ne fait pas ce genre de choix, partant du principe que les gens sont bêtes et qu'ils ont uniquement besoin de divertissements. Dans cette période noire de crise économique, qui dit que les gens ne se sentiraient pas mieux si on leur proposait d'apprendre et de s'ouvrir au monde ?
Et le constat est le même dans le cinéma. Je ne comprends pas les budgets colossaux alloués à des films idiots à gros casting, qui en plus ne marchent pas ! Et je suis si heureuse que des films comme "Les garçons et Guillaume, à table" cartonnent. La lumière y est magnifique, le propos intelligent et c'est cela que les gens vont voir. Chaque année, dans l'industrie du film, les mêmes erreurs se produisent et des sommes énormes sont gâchées.
Comment concilier l'engagement et les paillettes de la médiatisation et du métier d'actrice ?
ML : Je suis très consciente que sans paillettes, je n'intéresse pas les médias. Et sans les médias, je ne peux pas attirer l'attention sur ces causes que je défends.
Plus je travaille, plus je côtoie le monde du cinéma en France et à l'international, et plus mon message peut intéresser des artistes, des politiques, des gens qui ont le pouvoir de faire bouger les lignes. C'est ainsi que les paillettes et le sujet de la surpêche qui paraissent complètement antinomiques, sont en fait indissociables.
Je me répète, mais je suis l'attachée de presse de ces associations qui ont un mal fou à mobiliser l'attention autrement. Je ne me prends pas du tout pour quelqu'un que je ne suis pas, et j'utilise ce qui m'est donné pour agir sans donner de leçons.
Quels sont les compromis que vous ne faites pas ? Ceux que vous faites encore ?
ML : Par exemple sur le tournage, nous n'utilisons plus de papier pour les "feuilles de services", nous avons des tasses nominatives pour les boissons, le chef ne cuisine que du local de saison, et le groupe électrogène est coupé dès que possible. Ces petites actions sont pour moi le moyen d'incarner mon discours dans mon travail. J'essaye aussi de favoriser toujours le train.
Alors bien sûr, je fais attention à manger bio, à habiller mon fils avec des vêtements éthiques etc. Mais ce discours, et je le comprends, est totalement insupportable pour la plupart des gens qui ont des conditions de vie difficiles, qui n'ont ni le temps ni l'argent pour se préoccuper de ces choses-là. Mon combat, c'est que ce mode de vie soit accessible à tous, et que nous puissions nous retrouver ensemble à nous demander ce que nous pouvons faire de plus. Pour moi il n'y a plus de compromis possible avec ce "minimum syndical".
Pour le reste, j'essaye d'agir à mon petit niveau et je suis persuadée que c'est à la portée de plus de personnes qu'on ne le croit. Signer une pétition, faire grandir une idée et la faire devenir réalité, quoi de plus plaisant dans le monde d'aujourd'hui ? Laissons tomber nos écrans et retrouvons-nous, même si nous sommes quelques centaines avec une banderole dans la rue !
Mon obsession est de pouvoir plus tard répondre à mon fils qui me demandera "Et toi qu'as-tu fait quand il s'est passé cela ?". Je ne pourrai pas lui répondre "Et bien j'étais en train de tourner un film très sympa", c'est inconcevable.
Changer le monde, est-ce d'abord se changer soi ?
ML : Je sais que rencontrer des personnes avec les mêmes idées et les mêmes envies est ce qu'il y a de plus fort à l'échelle individuelle. Se regrouper, partir d'une idée, puis être des milliers pour changer les choses, c'est ce qui a écrit les grands moments de l'histoire. Il y a cette citation de Mandela qui résonne en moi : "Aucun de nous en agissant seul ne peut atteindre le succès". Les grandes idées ne servent à rien si on les garde pour soi.
Pensez-vous que les femmes ont un rôle particulier à jouer dans le changement de paradigme ?
ML : Oui, on a un rôle très important à jouer dans ce qu'on transmet à nos enfants. C'est la femme qui donne la vie, qui apprend le langage et qui est indispensable dans les premiers mois de la vie d'un enfant. En plaçant nos espoirs dans nos enfants, en leur ouvrant l'esprit sur des choses différentes, on porte une responsabilité primordiale.
Pour parler d'une grande figure féminine, j'ai adoré rencontrer Danielle Mitterrand. Elle aussi a passé sa vie à combattre. Deux semaines avant sa mort, quand je l'ai rencontrée, elle avait encore une énergie incroyable, quelle leçon pour moi !
Une vie de combat, c'est ce que vous aimeriez qu'on retienne de vous ?
ML : Oui, on m'a donné cette éducation-là. Mon grand-père, grand résistant, est mon modèle, et si je n'ai pas un combat à poursuivre, j'aurai l'impression de n'avoir servi à rien.
Photo : Sylvie Lancrenon
> Retrouvez cette interview exclusive et une expérience de lecture optimisée dans le magazine FemininBio de février 2014 sur iPad.