L'up-cycling, c'est le nouveau mot à mode pour dire « recyclage » ?
Pas tout à fait. Le recyclage, c'est utiliser de la matière sous une autre forme. En France, lorsque l'on dit recyclage, on entend « sous-cyclage ». Par exemple, des produits en plastique d’une certaine qualité sont broyés en fin de vie pour devenir des plots de sécurité sur les routes. On a donc perdu la qualité et les fonctions du produits d’origine. Si en plus on ne s'est pas intéressé à la toxicité des produits dans le premier produit, le produit recyclé en contient. On peut donc se retrouver avec des produits toxiques en pensant bien faire ! Up-cycler, c'est sur-cycler, c'est-à-dire créer de nouveaux produits sans perdre de qualité et sans que la matière qui les compose soit polluante ou toxique dans son nouvel usage.
Comment s'insère le Cradle-to-cradle dans cette logique ?
Le Cradle-to-cradle (C2C), c'est analyser ce qui compose le produit et vérifier que les substances chimiques sont en cohésion avec l'usage, la santé, l'environnement et les vies futures des matières qui composent le produit. C'est très exigeant (il y a d'ailleurs différents niveaux dans la certification C2C, de basique à platinium – NDLR). De la part de l'entreprise, cela montre une vision très large de sa responsabilité vis-à-vis de l'environnement et des personnes. C'est un engagement fort que les consommateurs peuvent soutenir.
Quelle est la grille d'analyse du C2C ?
Tous les produits doivent pouvoir intégrer l'une des deux boucles du C2C. La première est une boucle biologique : les matières naturelles utilisées dans un produit doivent être saines, de manière à pouvoir en fin de cycle de vie retourner à la terre sous forme de compost, pour régénérer la terre.
L'autre boucle est technique : les matières techniques doivent pouvoir être upcyclées. Àu bout d'un moment, si tout le monde va dans ce sens, on aura plus que ces deux boucles et ce sera formidable pour la nature tout en étant positif pour l'économie.
Peut-on trouver du C2C dans tous les domaines ?
Bien sûr ! Et pas seulement dans les objets consommables. Je pense par exemple à un magnifique projet que nous accompagnons avec EPEA Paris : l'école de Sainte Hélène en Bretagne. Ce sera la première école C2C en France, elle est entièrement démontable. Les enfants qui y seront élèves apprendront naturellement à réfléchir à leur façon de consommer et à l'importance du recyclage puisque toute l'école est éco-conçue et que les enseignants seront formés à ces questions.
Parents, enseignants, habitants des environs et élus se sont réunis pour décider ensemble de l'impact positif qu'ils souhaitaient que l'école ait sur ses occupants, sur le village et sur l'environnement. Au cours des ateliers, nous avons formé les personnes à l'économie circulaire en montrant ce qu'il était possible de faire puis nous les avons incitées à s'exprimer. C'est très inspirant car nous n'étions pas dans une logique « il ne faut pas faire comme ça » mais bien « on pourrait faire comme ça ». La maîtrise d'ouvrage doit s'appuyer sur cette feuille de route positive pour en faire un cahier des charges. C'est un travail très participatif !
Est-on encore dans la logique de développement durable ?
Il y a deux notions de développement durable. La première est large et réfléchit à la question de la durabilité et de la résilience. C'est la bonne approche, mais ce n'est pas celle qui domine. L'autre approche consiste à dire qu'il faut ralentir et réduire nos impacts. Mais cela ne nous empêche pas de continuer à aller droit dans le mur, elle n'implique pas de changement de direction. De plus, je trouve que c'est une vision très négative : finalement, le discours actuel du développement durable nous explique qu'il faut réduire notre impact sur Terre, autrement dit nous agissons forcément mal et nous ne sommes pas vraiment les bienvenus… Je ne pense pas que ce soit le message à transmettre aux jeunes générations. Actuellement, on a dévié dans notre façon de produire. Mais en éco-concevant bien nos produits et en en ayant un bon usage on peut très bien rentrer dans un cycle vertueux où on ne dégrade plus la planète mais on la regénère. Quand on commence à transmettre ça dans discours et actes, c'est très positif.
Il faut donc revoir notre lien avec la nature ?
Oui, on en a eu peur, on l'a domestiquée et maintenant, on la spolie, au bénéfice de notre espèce mais au détriment de toutes les autres. Quand on a commencé à dominer la nature, on s'en est coupé. Retrouvons notre place dans la nature, cela nous ouvrira les yeux sur ce que nous devons changer… Il y a beaucoup à faire, mais il ne faut pas prendre peur, au contraire, c'est très motivant.
Finalement, le C2C est une logique totalement positive…
Ca ne peut pas être autrement ! En France, on est habitué à avoir et gérer des problèmes. A l'école, la notation part du principe que ce devrait être parfait et pénalise nos erreurs, alors que dans d'autres systèmes scolaires, on construit la note à partir de ce qui est acquis. Avec le C2C, on change de logiciel ! C'est une logique de solution : on a un problème, on veut le résoudre avec des innovations positives que l'on se fixe, par exemple s'assurer de la non-tocixité du papier au cours de ses différentes vies en prévision de son retour à la Terre par le compostage. L'impact du C2C est positif d'un point de vue social, économique et environnemental. Il faut diffuser les bonnes idées et les bonnes pratiques. On ne peut pas ne pas consommer, par contre, on peut choisir ce que l'on veut consommer.
Pour aller plus loin :
La C2C Community
EPEA Paris
L'experte : Co-fondatrice d’Integral Vision en 2007, puis d’EPEA Paris en 2011, Christine Guinebretière est conférencière et consultante, experte en Cradle to Cradle®, éco-innovation, intelligence collective et en systèmes alternatifs de gouvernance comme la Sophocratie. Elle s'appuie sur ses 20 années de management en grandes entreprises et son expérience de technologies et philosophies d'avant garde pour aider les managers à se transformer et les organisations à évoluer.
Christine Guinebretière est également membre de l’Institut de l’Economie Circulaire, experte dans le réseau APM (Association pour le Progrès du Management) et membre du board du Forum International de l’évolution de la conscience.