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Cinéma

Tout s'accélère : rencontre avec Gilles Vernet

Gilles Vernet, professeur des écoles et réalisateur du documentaire "Tout s'accélère"
Tout s'accélère
mains enfant couleur peinture Éduquer autrement
Claire Sejournet
Claire Sejournet
Mis à jour le 25 février 2021
Ancien cadre de la haute finance, Gilles Vernet a un beau jour décidé de tout laisser tomber pour reprendre le temps de vivre. Désormais professeur des écoles, il n'hésite pas à questionner ses élèves sur les grandes questions d'actualité et les sujets philosophiques. Avec sa classe de CM2, il a exploré notre sentiment d'accélération du temps. Un documentaire passionnant qui jette un autre regard, celui des enfants, sur notre quotidien trop rapide.

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D'où vous est venue l'idée de réaliser un documentaire sur l'accélération du temps ?
Elle est née en novembre 2010 de la lecture du livre Accélération de Hartmut Rosa. Le sujet m'intéresse depuis longtemps, entre autre parce que j'ai travaillé dans la finance de marché dont le côté exponentiel m'avait toujours sidéré. L'idée d'une croissance exponentielle dans un monde fini me taraudait. Parallèlement à cette interrogation sur la croissance, j'avais une interrogation sur le temps. J'ai tendance à vouloir faire beaucoup de chose dans le temps, tout en aimant le temps libre. En lisant le livre de Harmut Rosa, j'ai pris conscience que la question de l'accélération, liée à celle de l'exponentiel, touche toute la société. Il n'y a pas que l'économie qui accélère, il y a aussi la technologie, nos rapports sociaux, nos modes de vie… Ce principe d'accélération générale m'a fasciné et c'est ainsi que j'ai commencé à construire un documentaire.

Aviez-vous déjà l'idée de réaliser ce documentaire avec votre classe de CM2 ?
Non, pas vraiment. Comme toujours quand je suis intéressé par un sujet, j'en ai parlé à mes élèves. Je les ai enregistrés, je suis rentré chez moi, j'ai tout écouté et je me suis dit "Waouh, ils disent des trucs auxquels je n'avais pas du tout pensé, ils le disent bien !" J'ai ressenti un vertige, je me dis qu'il fallait que je m'aide d'eux pour faire ce documentaire. Ce n'est pas un projet d'année, on s'est lancé en avril, on a tourné en mai et juin. Il faut dire que c'était une classe exceptionnelle.

Dans le film, vous alternez les propos des enfants avec ceux de personnalités, comme Nicolas Hulot ou Etienne Klein. Comment ont-ils réagi aux propos des enfants ?
Je suis allé les voir avec un film d'une heure et demie monté uniquement à partir des propos des enfants. Ils ont tous trouvé le sujet intéressant et ont tous accepté de participer ; ce sont les enfants qui ont fait la décision. Les enfants ont un vrai pouvoir, ils cassent la logique mental de contradiction, de confrontation verbale. Les préjugés tombent, on accueille ce que dit l'enfant. La force d'un échange avec les enfants, c'est qu'il nous met en abime beaucoup plus facilement. Cela change la réflexion que l'on va mener et la perception que vont avoir les spectateurs des propos qu'ils entendent dans le documentaire. 

Dans le film, il est dit que « parler aux enfants, ce n'est pas une perte de temps ». Vous confirmez ?
Cette phrase, c'est le début de la chanson. Ils ont écrit les paroles et je dois dire qu'il y a des vers absolument géniaux qu'ils ont trouvés seuls, comme "quand on aura plus de ressources, ce sera la fin de la course" ou "c'est la course contre le temps et nous en sommes conscients, mais nous ne ralentissons pas, il y a quelque chose que l'on ne comprend pas". Il y avait une certaine revendication dans leurs propos, même si ça ne ressort pas forcément dans le film. Ils ont envie de s'exprimer et d'être écoutés, c'est d'autant plus fort qu'ils entrent dans l'adolescence.

Les élèves restaient-ils naturels face à la caméra ?
Nous avions créé un rituel : je posais une question, ils réfléchissaient, je demandais qui voulait répondre, on mettait la caméra devant l'élève, tout le monde se taisait et on tournait. Ca permettait de laisser du temps pour réfléchir et les enfants s'auto-disciplinaient pour rester calmes. Ce n'était pas toujours aussi silencieux dans la classe que ce que l'on perçoit dans le documentaire ! Le challenge leur plaisait. En montant le film, j'ai eu des émotions fortes Ils disent de telles vérités si simplement. Parfois, ils sont tragiquement lucides sur le monde et le futur. Tous ces enfants m'ont vraiment beaucoup touchés.

Justement, à propos des paroles des enfants, on est surpris par leur très bonne compréhension de la notion de stress et l'image déplorable qu'ils ont de l'entreprise. Cela vous a-t-il surpris ?
J'ai étonné sur le coup, mais après non. J'ai vite compris que c'est ce qu'ils voyaient chez eux. En analysant leurs propos, j'ai réalisé que les enfants dont les parents exercent une profession de cadre parlaient plus de stress tandis que les enfants dont les parents ont des métiers durs, manuels, mal payés, avaient surtout une mauvaise image de l'entreprise et du patron. Les enfants abordent les choses en fonction de l'image que leurs parents leur transfèrent de ces sujets. J'organise prochainement une projection avec eux. Ils sont en seconde désormais. Je suis très curieux de voir leurs réactions et leur évolution par rapport aux sujets traités dans le film.

Tourner dans une classe, c'est aussi montrer un monde que les parents ne voient par d'ordinaire…
J'avais organisé une projection avec les parents, inutile de dire qu'ils avaient ouvert de grands yeux !Ils prenaient dans la figure ce que leur enfant ne leur avait jamais dit. L'avantage de filmer des enfants dans une classe, c'est qu'ils disent des choses que l'on entend nulle part ailleurs alors que les parents feraient bien de les entendre !

Vous utilisez l'actualité pour faire des maths ou du français. Cela implique une classe curieuse et une certaine compréhension pour des enfants de leur âge.
C'est peut-être aussi lié à mon influence, car j'aime leur parler des sujets économiques. Sans faire de l'économie, je leur explique certaines choses, comment ça fonctionne... Les enfants écoutent les informations, pour peu qu'on leur donne quelques clés de compréhension, ils sont capables de comprendre.

Vous avez tourné des scènes à Dubaï. Pourquoi montrer cette ville totalement artificielle ?
Je voulais intégrer des moments de mise en perspective des propos du film où le spectateur soit libre de faire un voyage, qu'il ne soit pas tout le temps bombardé d'info. Il y a un haut rythme dans ce documentaire entre les enfants dont les réflexions fusent et les personnalités interrogées. C'était aussi un moyen d'opposer la frénésie de la ville et le rythme de la nature. J'ai monté les images en accélérer pour renforcer cette idée de folie. Je me suis inspiré d'un film qui m'a beaucoup influencé,  Koyanisqatsi. C'est un film étrange, sans paroles, où les images et la musique suffisent et qui est une dénonciation sidérante du monde dans lequel on va arriver. Pour moi, Dubaï, c'est vraiment ça. Il faut se rappeler que ça a été construit en 30 ans seulement ! Personnellement, je me dis c'est fou !

Faut-il être débordé pour exister ?
Derrière cette question, je vois plusieurs chose. Tout d'abord, nous sommes tellement habitués à être débordés que si on ne l'est pas, on a l'impression de ne plus exister. Par ailleurs, face à la notion de la mort, à la finitude de la vie, on a tendance à vouloir intensifier notre présent pour avoir la sensation qu'on existe, qu'on a existé, qu'on va exister. Pourquoi les gens ne supportent pas de ne rien faire ? Parce que l'inertie renvoie à la mort. Etre débordé, c'est exister et vaincre la mort illusoirement. Dde plus, quand on court, on ne pense pas à la mort alors qu'elle nous interroge sur le sens de notre vie. Etre débordé évite se réfléchir sur des grandes questions existentielles.

Vous abordez également dans le documentaire l'idée de culpabilisation collective de ne pas être dans le rythme du temps. Qu'entendez-vous par là ?
C'est le fait d'avoir chacun la sensation que l'on court tous derrière l'histoire, que l'on n'y arrive pas alors que les autres y arrivent. En réalité, on est tous entrain de courir et nous sommes des millions à ne pas y arriver ! Ce qui est étonnant, c'est qu'on ne partage pas ensemble ce questionnement autour de la dureté de la vie et l'envie de collaborer. Tout le monde souffre, quelque soit son niveau social, son rôle. Comment a-t-on pu construire un monde où tout le monde souffre de cette famine de temps ? C'est absurde… Il faudrait se saisir de cette culpabilité générale pour la dépasser. 

Votre documentaire n'aborde pas du tout du temps des enfants, de leur rythme ?
C'est très juste, les enfants parlent du temps des adultes, pas de leur temps. Notre base de réflexion, c'était ce que l'on voit de la société. J'ai pas eu un retour sur eux plus intime. Cela aurait supposé de filmer leur vie hors de l'école, alors que j'avais construit un parcours pédagogique de classe. Nous n'avons pas eu d'interrogation sur le propre rapport au temps. Néanmoins, je pense que c'est en filigrane de certaines réflexions, par exemple quand une élève dit qu'elle a l'impression de perdre son temps lorsqu'elle se repose.

Mais il y aurait des choses à dire, non ?
Certainement ! Les enfants d'aujourd'hui ne savent plus attendre, ils ne supportent pas un temps de latence. Je pratique la méditation avec mes élèves, le matin, pendant cinq minutes. On fait la place pour apprendre. Je leur démontre qu'ils sont tellement pris dans les écrans, surtout les garçons, qu'ils ne savent plus accepter le temps vide. Si chaque instant doit être occupé, principalement avec un écran, on rentre dans un processus addictif. En prendre conscience permet de changer de comportement, de se surveiller. C'est ce que je leur explique. Il faut qu'ils se détachent des écrans pour maitriser leur concentration et leur rapport au temps. Le temps libre, où on ne fait rien, c'est possible, utile et important. 

Gilles Vernet est le réalisateur du documentaire Tout s'accélère, en salle le 20 avril 2016.

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