FB : La mode éthique est-elle aujourd'hui entrée dans les habitudes de consommation du grand public ?
Isabelle Quéhé : Globalement, les gens sont de mieux en mieux informés et ont envie de se tourner vers une consommation qui ait du sens. Toutefois, ils n'ont pas toujours accès à une information très claire, il n'y a pas beaucoup de réseaux de distribution ni de visibilité pour les marques de mode éthique, en dehors d'internet. De ce point de vue là, c'est encore assez compliqué pour le consommateur. Certains aimeraient aussi acheter éthique mais n'ont peut être pas envie de se poser de questions et estiment que c'est au fabricant d'être responsable et d'avoir une production éthique.
Pour l'alimentation par exemple, ce fut long, mais c'est finalement la prise de conscience et la santé qui ont poussé les consommateurs à se tourner vers une alimentation plus naturelle. Dans le secteur du textile et de la mode il y a maintenant la norme REACH qui interdit certaines substances toxiques sur le sol français mais il peut y avoir des produits toxiques qui viennent d'ailleurs ! On reparle, à ce titre, du made in France mais il faut que les consommateurs réapprennent à acheter au juste prix. En France les gens sont payés convenablement, il y a un taux horaire, des charges salariales qui sont forcément répercutés dans le prix de vente !
Enfin on est aussi dans un moment difficile pour le secteur de la mode au sens large et encore plus pour la mode éthique qui est produite surtout par des petites marques. Depuis le lancement du salon en 2004, beaucoup d'entre elles ont disparu. En parallèle, celles qui s'en sortent le mieux aujourd'hui avaient investi le terrain dès le départ comme Ekyog par exemple qui a monté son réseau de distribution au moment du lancement. C'est une excellente idée mais qui demande un investissement important. Aujourd'hui toutes les grandes maisons ont un focus plus ou moins important dans le domaine éthique, avec un responsable développement durable en interne, et ils cherchent la meilleure façon de l'intégrer à leur process car une grande marque qui agit mal sera immédiatement dénoncée sur internet.
Quels sont les marques à suivre, les nouvelles tendances de la mode éthique ?
Deux Filles en Fil, et leurs accessoires de mode fabriqués en France (à Cholet) à partir de chutes de cuir. Leurs sacs arrivent en planches déroulées et on les monte grâce à des pressions.
Della et ses accessoires du Ghana.
Ï.de.m qui réalise des sautoirs et bracelets à partir de cuillères anciennes pour un style très années 20-30.
Juliette Imbert et Céline Montoussé, deux jeunes créatrices françaises (et leur collection autour de la maille ndlr), qui ont remporté le prix EthicalFashion 2012 du Festival de Dinard.
ou encore Nyaya qui travaille les pierres précieuses de Madagascar.
Sweet Blossom, une très jolie marque française.
Dahea Sun fait des vêtements pour la pluie à partir d'un pigment du choux rouge qui change de couleur en fonction du PH de la pluie, et on peut ainsi connaître sa toxicité.
En terme d'innovation il y a les chaussures à talons clipés interchangeables, en cuir fabriquées en France ; et pour les matières, on se tourne vers le Tencel®, le Modal® et le polyester recyclé car le coton même bio utilise beaucoup d'eau.
Le recyclage est-il une tendance ?
Oui bien sûr, comme U-Clife qui utilise le tri de vêtement pour retravailler des tissus.
Sakhina M'sa aussi récupère les matières et travaille sur le "bleu de travail" dans sa Blue Line.
The FlipFlop recycling company fabrique des bijoux à partir de tongs recyclées.
Globalement il y a plein de choses innovantes à faire dans le recyclage !
Quelles sont les barrières auxquelles vous vous heurtez encore ?
L'idée que la mode éthique est forcément plus chère… On est encore très focalisé sur les marques et si l'on compare une grande marque traditionnelle a une marque éthique, on se tourne encore vers la marque traditionnelle alors que la mode éthique n'est pas bas de gamme, bien au contraire. A critères égaux, on est dans les mêmes prix, je dirai que c'est une idée fausse. C'est sûr en revanche qu'on n'est pas au premier prix, ce n'est pas de la "Fast fashion". La grande distribution fait peut être du coton bio mais comment traitent-ils leurs travailleurs ?
D'autre part, on associe toujours la mode éthique à quelque chose de "has been" ou de "baba cool". Pour le côté ethnique, il est normal ! Les créateurs viennent du monde entier, ils ont leur touche locale. Encore faut il avoir le sens de la mode et ce sont ces créateurs que l'ont met en avant à l'EFS. Doreen Mashika, par exemple, une créatrice de Tanzanie, intègre à la fois le côté culturel et la mode. Il faut l'ethnique car la mode est aussi une affaire culturelle, mais l'ethnique contemporain.
Y a-t-il selon vous des limites à la mode éthique ?
Non, pour moi on peut tout faire en mode éthique. Il faut bien travailler sur toute la chaîne de fabrication, jusqu'à la fermeture éclair, éviter d'utiliser des rivets etc. C'est en effet plus compliqué que de travailler sans se poser de question.
Enfin, le plus important reste le style. On peut avoir une collection avec une histoire fabuleuse, sans style ça ne fonctionnera pas ! Contrairement aux années 70-80 où les "écolos" étaient plus portés sur la matière que sur le look, aujourd'hui le look est tout aussi important pour les personnes concernées par l'écologie. Toutefois, on comprend aisément que le consommateur n'ait pas envie de se prendre la tête et il faut reconnaitre que la mode éthique est encore difficile à se procurer et qu'il y a très peu de boutiques éthiques qui sont "mode". Cependant la tendance est lancée avec des enseignes comme le Centre Commercial, Green in the city etc.
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