Tendance oblige, les grandes surfaces proposent, elles aussi, des produits bios. Cette nouvelle offre relance le débat qui avait débuté dans les années 1950 : faut-il délaisser sa petite épicerie bio de quartier pour le vaste supermarché d’agglomération ? Quant au consommateur, en quête du meilleur rapport qualité/prix, se retrouve-t-il dans la même démarche écolo ? Le point de vue de Stéfane Guilbaud, spécialiste des comportements alimentaires.
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Lors de la construction des premiers centres commerciaux, l’idée annoncée fut le fait que nous ne perdrions plus de temps à aller chez chaque artisan. La force de la grande surface résidait dans sa capacité à nous fournir un maximum de produits en un seul lieu et au prix le plus bas possible. Or, avec du recul, on s’aperçoit que lorsqu’on parcourt une rue commerçante « alimentaire » et qu’on y fait ses emplettes, on ne met pas plus de temps qu’au supermarché. Il n’y a pas de caddies, pas de haut-parleurs, pas de tentations inutiles...
Surconsommation et gaspillage L’artisan était un spécialiste, avec une enseigne et une réputation à tenir afin de nourrir sa famille. A contrario, une grande surface est une multinationale devant rendre des comptes à ses actionnaires. De plus, le pouvoir d’achat est devenu un leurre. En effet, votre nouveau commerçant affiche des prix d’appel attractifs, mais qu’en est-il à la sortie ? Un pourcentage de produits en plus, hors promotion, répondant à une impulsion d’achat ! Pour expérience, j’ai comparé le montant de courses faites en grande surface avec la somme dépensée pour des achats en zone commerçante. La différence variait de 30 à 45 % en plus lorsque j’allais au supermarché. Je me trouvais alors face à deux scénarii inéluctables : la surconsommation ou le gaspillage !
Standardisation des produits Nous n’avons plus affaire aujourd’hui à des spécialistes fabricants et revendeurs, mais à des experts en fournitures. La force logistique des supermarchés a supplanté la logique de consommation. Leurs gérants ont décidé des produits à mettre en avant, ils ont aboli les consignes des bouteilles en verre pour favoriser le gerbage des bouteilles plastiques, ils ont standardisé les fruits et légumes pour ne pro- mouvoir que du rentable. C’est ce que l’on peut constater pour les pommes. Il en existe trois mille variétés en France, mais nous pouvons péniblement en compter plus de cinq sur les étals qui, de surcroît, sont toujours les mêmes.
Des profiteurs du bio... Le commerce du bio est constitué de militants, mais aussi de profiteurs. C’est un marché en pleine expansion, avec une augmentation, en France, des surfaces cultivables de 23,5 % et une croissance d’achats de 10 % par an. Au final, le consommateur a du mal à faire la part des choses. Je continue donc à militer pour une mise à disposition de produits bruts « natifs », loin des artifices liés au marketing. L’arrivée du bio en grande distribution me rappelle la vague des produits « écologiques » ou des produits « locaux ». Beaucoup de bruits, de couleurs, de marques... et des consommateurs noyés par les messages contradictoires ou orientés. Tout l’intérêt du biologique est de les laisser se diriger vers une écologie, un système qui nourrit sainement et procure à ses producteurs une ressource durable.
Des dérives latentes Le bio fait office de faire-valoir pour les enseignes en quête de valorisation, même si les consommateurs sont de moins en moins dupes. Mais, quoi que l’on fasse, la grande distribution orientera les prix vers le bas et sa préférence ira vers la notion de volume, d’achats de masse et de promotions tous azimuts. On pourrait alors assister à une guerre des prix qui aurait un double impact. La mise à mort des précurseurs et militants du bio et une reconsidération marketing de ce genre de produits. Comment ? Le cahier des charges de la culture biologique, déjà malmené par les dernières réformes européennes, ne ferait pas le poids devant un groupement de distributeurs puissants, organisés et motivés.
Rayon bio ou épicerie bio ? Voici les différences fondamentales que l’on peut établir entre le rayon bio d’un supermarché et l’épicerie bio de quartier, mais ce ne sont pas des généralités. Vous pouvez rencontrer un revendeur de quartier peu militant et ne proposant que du rentable ou, au contraire, vous retrouver, dans votre grande surface, face à une tête de gondole biologique, éthique et locale.
Le rayon bio d’un supermarché ne comporte qu’une gamme de produits, biologiques certes, mais marketés. À l’inverse, le bio des boutiques militantes offre une variété de produits en voie de disparition : les « natifs » et les « naturels ». Exemple : en grande surface, des fruits et légumes calibrés, cultivés hors saison et sous serre, importés des quatre coins du monde; des biscuits sans grand intérêt sauf si l’on aime l’huile de palme, les amidons et les glucoses-fructoses ; des boissons et des céréales soufflées riches en sucre ; des préparations à base de soja cru, censées être la réponse aux intolérants au lactose. Bref, des produits déconnectés de leur réalité. En boutique, des produits de saison, locaux, anciens et alternatifs; des farines spéciales (Kamut®, pois chiches, lentilles, châtaignes, millet...), des graines germées (alfalfa, poireaux, tournesol...), du pain essene, des fruits secs variés, des algues fraîches, etc.
Le label « bio » n’a pas la même signification au sein de l’Europe. Le logo AB français a été remplacé par le label européen et, après d’âpres débats sur le lissage vers le bas de certaines exigences, il est le garant d’une uniformisation entre tous les pays européens. Oui, mais l’uniformisation ne tient pas compte des spécificités nationales et/ou régionales. Et qu’en est-il des pays hors UE ? La Chine, qui exporte 9 % du bio, le Brésil ou encore l’Argentine, l’Australie, le Costa Rica, l’Inde, la Suisse ou la Tunisie répondent-ils aux mêmes exigences ? Que penser des aliments lointains ou produits de façon massive ? Par exemple, pour les fêtes de Noël, une enseigne discount vendait des foies gras 100 % bios à moins de 5 €!
Écologique ne rime pas avec biologique. La confusion est déjà bien grande entre biologique et diététique, et l’engouement pour l’écologie a fait naître une panoplie de labels plus ou moins difficiles à interpréter. Dans votre grande surface, vous avez comme seul interlocuteur... le rayon et ses produits. Or ceux-ci sont dépourvus d’une réelle traçabilité et trop souvent déconnectés de leur réalité organique, à savoir la saison et la proximité. Dans un magasin spécialisé, l’écoute et le conseil sont présents et primordiaux, sinon changez vite d’épicerie ! Dans la grande surface située près de chez moi, les biscuits sont industriels et produits avec des ingrédients ayant parcouru 200, 600 ou 1 500 kilomètres ! Ma boutique spécialisée, elle, propose des biscuits artisanaux, faits avec des ingrédients locaux et de saison. J’ai déjà vu des ruptures de fabrication pour les biscuits aux amandes ou au petit épeautre, en fonction des saisons. Revenons à des valeurs simples et considérons le bio comme un mode de vie et non comme une catégorie d’aliments !
Stefane Guilbaud
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