Trop d'amour et de gâteries rendraient nos enfants violents ! C'est la thèse très contestable avancée dans le dossier spécial "Enfants tyrans" du Nouvel Observateur daté du 17 janvier 2013. Quant au maternage proximal, allaitement et autre cododo, ils sont caricaturés à coup de citations choisies sur l'importance du développement de l'estime de soi. Pour nous, le bien-être de l'enfant est primordial et nous avons souhaité offrir un droit de réponse à Marlène Schiappa.
Le magazine ELLE et le Nouvel Observateur se sont emparés de la nouvelle tendance : "l'enfant est un tyran, les parents perdent le pouvoir". Quelle est votre première réaction quand vous lisez cela ? Titre accrocheur ou lame de fond ?
Les deux ! Lame de fond parce que depuis les années 90, on assiste à un retour en grâce de l'autoritarisme éducatif. C'est arrivé en réaction à Dolto, c'est vrai, mais aussi en réaction contre la Convention internationale des droits de l'enfant - dont je rappelle, peu de gens le savent, qu'elle a été rejetée à l'unanimité par les experts français. C'est dire l'ambiance. Mais titre accrocheur aussi, parce qu'entretenir la peur est la meilleure manière de vendre. Si vous avez peur de devenir grosse, peur de finir seule, peur de vos enfants, vous consommez des substituts de repas, des sites de rencontres, des magazines sur l'éducation, et des glaces pour entretenir votre déprime. J'exagère un peu... mais un peu seulement. En fait, je développe dans Eloge de l'enfant roi ce thème de l'enfant effrayant, l'enfant qui fait peur aux parents et qui est très utilisé dans le cinéma ou la littérature comme ressort: Esther, Cent ans de solitude, L'Exorciste... Fondamentalement, depuis Oedipe qui tue quand même son père, les parents ont coutume d'aimer ET d'avoir peur de leurs enfants, qui les poussent vers la sortie en grandissant à mesure que les parents vieillissent.
Le nouveau parent est, par définition, perdu… Lost in Translation. Comment s'y retrouver au milieu de ces thèses qui s'opposent ?
Mais complètement ! Les PMI (ndlr : Protection Maternelle et Infantile) ferment peu à peu, les familles sont éclatées et en région parisienne, les jeunes parents sont parfois très seuls, avec le net et les pédopsys comme seule aide. On est loin du village éducatif... Et on est en permanence tiraillé, allaitement ou biberon, accouchement avec ou sans péri, vaccins ou pas, dormir sur le dos ou le ventre, méthode globale ou syllabique... la parentalité devient une sorte de guerre de religions, et c'est usant pour les parents qui cherchent simplement à faire et à faire bien dans la mesure du possible. De mon point de vue, il faut écouter tout le monde et ne faire comme personne.
Il semble que dès que l'on souhaite amener de l'eau au moulin de l'enfant tyran, il soit de bon ton de taper sur le "maternage proximal" qui prône une éducation tournée vers l'enfant, et ses pratiques comme l'allaitement, le cododo, le portage en écharpe etc. Pourquoi cet acharnement à votre avis ?
C'est très facile de caricaturer le maternage proximal, l'éducation positive... Il suffit de dire des choses comme "Tu ne vas pas dormir avec lui jusqu'à ses 18 ans ?" ou "Les femmes qui allaitent leurs enfants de 11 ans sont irresponsables." Ça économise l'effort de la réflexion.
En outre, il y a une sorte de phobie de l'inconnu. Si quelqu'un ne fait pas comme nous, ça veut dire que potentiellement, nous ne faisons pas bien... et remettre en question la façon dont on appréhende l'éducation de ses enfants peut être douloureux pour des parents. Mais finalement, quoi qu'on fasse ça ne va pas : je n'ai pas allaité un de mes enfants et j'ai allaité l'autre plusieurs mois, j'en ai entendu des perles dans les deux cas !
Dans votre livre "Eloge de l'enfant roi" vous faites justement l'apologie d'une éducation plus à l'écoute de l'enfant. Selon vous, le modèle éducatif est trop rigoriste et ne laisse pas de place à l'expression des petits. Est-ce à dire que vous n'imposez aucun "cadre" à vos enfants ?
Bien évidemment mes enfants ont un cadre, comme tous les enfants. Je suis très surprise qu'on puisse imaginer des parents qui laissent leurs enfants regarder Les Experts jusqu'à minuit en mangeant une glace ! Quand j'ai dit par exemple dans Le Nouvel Obs que ma fille aînée choisissait son heure de coucher, j'ai précisé qu'elle choisissait son heure de coucher dans une fourchette donnée, avant une heure maximale donnée - raisonnable. Il est absurde de passer d'un extrême à l'autre. Pour moi, l'enfant dit roi serait simplement un enfant bénéficiant de cette souplesse, de cette petite marge de manoeuvre. Il n'est pas question de faire sortir un enfant en maillot de bain par 5 degrés parce qu'il en a envie. En revanche, je ne vois pas de problème fondamental à laisser les enfants par exemple choisir leurs repas - encore une fois, dans un cadre donné. Par exemple, dans les zones rurales en Asie, les enfants se nourrissent quasi exclusivement de riz blanc. La "monoalimentation" n'est pas forcément néfaste. On crée des sources de stress avec des dogmes alimentaires comme 5 fruits et légumes par jour...
Selon le Nouvel Observateur, l'enfant roi, trop choyé, serait finalement malheureux par manque de repère. Je cite "En même temps qu'il génère de l'angoisse autour de lui, l'enfant s'autodétruit par son égocentrisme démesuré. Cela va du gamin de 3 ans qui n'obéit plus, mange et dort quand il veut, à l'adolescent qui n'adresse plus la parole à ses parents, les insulte, devient violent". Que répondez-vous à cela ?
Ouhlala, mon Dieu, que j'ai peur ! ;) Je suis consternée par ce type d'analyse péremptoire et effrayante pour des jeunes parents démunis qui tombent sur ce magazine. L'enfant est égoïste ? L'enfant est immature ? Sans blague ? N'est-ce pas là le propre de l'enfant ? Nous vivons dans une société qui érige en mode de vie des principes enfantins, comme la toute-puissance, le narcissisme ou l'immédiateté, et parallèlement bannit les enfants des espaces publics - essayez de trimballer une poussette en métro à Châtelet, d'aller au restaurant ou dans un magasin de chaussures de luxe ;) avec un bébé et vous verrez les réactions des gens... Les ados qui deviennent violents le sont pour une foultitude de raisons, à commencer par un manque d'attention ou par une situation familiale difficile - socialement, économiquement... - plus rarement parce qu'ils ont mangé des bonbons à 17 heures quand ils avaient 3 ans.
Avez-vous lu l'ouvrage de Didier Pleux, "De l'enfant roi à l'enfant tyran", chef de file de ce courant ?
Oui, dans le cadre de mon livre Éloge de l'enfant roi, pour le préparer de la façon la plus complète possible, j'ai commandé, lu, recoupé et analysé une quarantaine d'ouvrages sur le sujet, des livres, des actes de colloques, des publications sociologiques ou scientifiques, françaises ou belges (les Belges sont très friands de ce sujet). Tout ce qu'il dit n'est pas inintéressant, et il a pour lui d'être très charismatique. Je comprends qu'on se fie à lui et j'ai une amie rédactrice en chef d'un magazine parental qui ne jure que par lui. Mais les médias ont tendance à faire ressortir les passages les plus caricaturaux de ses livres. Son exemple préféré, c'est DSK qui serait selon lui ce que devient un gamin à qui on laisse choisir son menu. Or, DSK a eu tout sauf une enfance de petit roi, ce que je démontre longuement dans mon livre : son raisonnement ne tient pas. De façon générale, je m'élève beaucoup contre les kits de "prêt à élever" pour enfants standardisés... je les appelle "les garagistes de l'éducation", ils entendent réparer les enfants comme on répare des voitures. Que disait Dolto déjà ? L'enfant est une personne...?
Marlène Schiappa est auteure du livre Eloge de l'enfant roi, François Bourin Editeur et fondatrice du réseau Maman Travaille.
A voir sur LCI : Pamela Druckerman, auteur du livre "Bébé made in France" et Cécile Desfontaines, journaliste au Nouvel Obs qui a participé au grand dossier "Nos enfants, ces tyrans" expliquent les différences fondamentales d’éducation entre la France et les Etat-Unis.