Mes tabous d’aujourd’hui ne sont pas mes tabous d’hier. Déménageant, évoluant, je change de communautés et de tabous, cherchant sans doute inconsciemment les communautés les plus libératrices où les tabous seront les plus ténus et où je pourrais être simplement moi-même, en harmonie avec mon environnement.
Aussi relatifs et contradictoires soient-ils en fonction de la communauté dans laquelle nous sommes, j’ai l’impression que les tabous ont un point commun : ils sont plus perçants et nombreux à l’encontre des femmes. Peut-être notre capacité à enfanter, qui a de moins en moins besoin de l’intervention masculine, crée-t-elle un mouvement de rébellion que nous payons par pléthore de tabous imposés aux femmes ?
Des tabous différents dans les pays occidentaux
Ayant vécu dans des pays Occidentaux toute ma vie (France, UK, USA), j’ai entendu beaucoup de remarques sur les tabous "archaïques" qui pèsent sur les femmes voilées : elles ne peuvent pas travailler, elles sont soumises aux hommes… Pourtant, ce n’est pas le tabou qui m’a semblé le plus dangereux, en tout cas pas dans ma vie à moi, personnelle. Et m’évertuer à faire sauter les tabous des autres, cela me semble être une attitude qui me permet d’éviter de creuser mes propres tabous, souvent pourtant aussi dangereux et pervers.
En effet, les jeunes femmes "libérées" qui se promènent en mini-jupes et se maquillent de plus en plus jeunes sont-elles réellement plus heureuses et émancipées ? Ou subissent-elles juste d’autres tabous, qui peuvent impacter tout aussi profondément leur conscience féminine, leur sexualité, leur vie de couple, leur vie ?
Le tabou d'être différente de l'homme
Si j’ose regarder mes propres tabous de française banale, le premier qui m’a causé bien des soucis, est fondé sur le diktat que pour être égaux en droit et en importance, les hommes et les femmes doivent être identiques. La différence fondamentale entre les hommes et les femmes est donc devenue lors de mes études supérieures et mon entrée dans le monde du travail, un tabou. Je me souviens pourtant encore avec émotion d’un match de Rugby mixte en Terminale où nous les filles nous étions régalées car les garçons n’osaient pas nous brutaliser et donc nous laissaient la balle et même nous protégeaient !
Plongée dans un environnement où je devais être "aussi forte" que les hommes et ne pas montrer de faiblesse, il m’a fallu du temps pour reconnaître et m’accorder le droit d’être différente d’un homme, de tous les hommes, et que cela n’avait aucune raison de me rendre inférieure. Je peux donc me laisser "protéger" par un homme, et réconforter par mes amies, sans pour autant devenir "faible".
Au contraire, j’ai l’impression de renouer avec une sagesse ancestrale, celle des femelles de beaucoup d’espèces animales qui s’entraident en groupes alors que les mâles sont souvent régulés par la compétition. En renouant avec mon besoin de douceur et de soutien, j’ai réalisé que je faisais du bien non seulement à moi et mon entourage, non seulement aux femmes, mais aussi aux hommes, qui eux aussi peinent dans notre monde devenu si compétitif qu'eux-mêmes ne s’y retrouvent plus.
Être une femme moderne...
L’autre tabou, c’est qu’en tant que femme libérée, intelligente, diplômée, je me devais de mener une carrière type: monter en flèche, changer de pays tous les deux ans, gérer des budgets et des équipes grandissantes. Non seulement je devais le faire, mais c’était forcément l’objectif qui me faisait le plus vibrer.
Avoir des enfants ? Bien sûr. Mais pour m’en occuper ? Vous rêvez ! Je suis une high flying woman moi ! Je délègue les parties "peu importantes" de logistique à une nourrice de choc : les câlins, les jeux, les consolations, les repas… autant de tâches négligeables que je ne dois en aucun cas apprécier !
Et apprécier d'être "au foyer" !
Vous imaginez bien qu’il m’a fallu plusieurs années pour réaliser, puis accepter que oui, j’aime faire des câlins à mes enfants et que c’est pour moi plus important que de brasser des millions. Oui, j’aime même m’en occuper quand ils sont malades et capricieux. Je vais même vous avouer que j’aime préparer un repas sain, équilibré, y compris pour les repas du quotidiens car peler les légumes et choisir les épices me permet de me repositionner dans le moment présent, d’apprécier le fait d’être en vie, d’avoir à manger, ces choses simples que j’oublie à sauver le monde derrière mon ordi et dans mes réunions "importantes".
Bien endoctrinée par la conviction qu’il était impossible d’être une femme moderne et d’apprécier "être au foyer", cuisiner était synonyme de servitude. Or je ne suis pas une bonniche. Je veux être libre, grande, je veux exprimer tout mon potentiel, et la cuisine faisait partie de ces différences entre les hommes et les femmes qui pouvaient m’empêcher d’accomplir ma mission personnelle.
Aujourd’hui, je dépose mes enfants à l’école à 9h. Je les récupère pour la pause déjeuner et à 16h30 à la sortie de l’école, et aussi le mercredi, sauf quand j’interviens auprès de clients ou que j’anime des ateliers. Quand j’anime, c’est mon mari qui prend le relai. Nous en ressentons tous les 5 un immense bonheur.
L'avortement et la contraception, encore tabous
Le dernier tabou dont je voulais vous parler, c’est l’avortement et la contraception. Sous prétexte de "libérer" les femmes, on nous a vendu des chimères : avortez et vous serez libérées. Libérées, oui, mais à quel prix ? Combien de femmes sont rongées par le remord parce que la société n’a pas voulu entendre leur souffrance, leur doute, leurs hésitations, au moment d’avorter de la vie naissante dans leur sein ?
Je suis favorable au droit à l’avortement, et je suis aussi favorable à laisser à la femme l’espace pour exprimer son désarroi, ses questions, ses doutes, afin que cet avortement soit une réelle et durable libération pour elle et ses filles après elle.
Arrêtons de tenter de banaliser cet acte car c’est au détriment des femmes qui y ont recours et qui ont besoin qu’on les écoute et qu’on accompagne cet acte au lieu de les laisser seules avec leurs fantômes. Même la contraception : arrêtons de prétendre que toutes ces hormones qu’on ingurgite ne posent aucun problème, ni pour nous, ni pour l’environnement !
A chacune son bonheur, à chacune ses tabous
Bien loin de moi l’idée que toutes les femmes devraient passer autant de temps que moi avec leurs enfants. Bien loin de moi l’idée que les enfants sont la première raison de vivre de toute femme. Bien loin de moi de nier le droit à l’avortement. Chaque femme est unique, et vit sa vie différemment.
Certaines s’épanouissent en n’ayant pas d’enfants et en créant des œuvres d’art, gérant de grands projets ou méditant le sens de la vie. D’autres en tricotant, en buvant des tisanes, en prenant soin des proches malades ou fatigués. D’autres en étant mariées pour la vie, ou pour un soir. Certaines en étant sur le devant de la scène, et d’autres en restant dans les coulisses…
L’important n’est-il pas que chaque femme décide par elle-même ce qui est juste pour elle ? Durant les programmes pour les femmes J’ai rendez-vous avec moi, nous explorons chacune nos vies, nos envies, et découvrons et ouvrons certains de nos tabous pour nous en libérer quand ils nous étouffent, ou en tout cas d’être moins fortement coincée dans leurs étaux. Bonne exploration à chacun-e !
L'experte :
Après 10 ans comme salariée de grandes entreprises internationales basée entre Londres, Chicago et Paris, Laure Le Douarec a fondé en 2009 l'association 2d4b mettant diversité et dialogue au service de tous partout dans le monde.