Mise à jour du 17 mai 2017 : Marlène Schiappa a été nommée secrétaire d'Etat chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes au sein du gouvernement du nouveau Premier ministre Edouard Philippe. Nous l'avions rencontrée en 2015.
Pourquoi parler d'épuisement ? De burn-out ?
A travers le blog "Maman travaille", j'ai remarqué que le thème de l'épuisement revenait beaucoup dans les confidences que je recevais des lectrices. Lors de mes ateliers de formation, ce sujet déborde sur les autres… Et comme j'y ai été moi-même confrontée, j'ai eu envie d'éviter aux autres d'en passer par là. Mon blog me donne accès à la parole publique, j'ai la responsabilité de dire que tout concilier, à n'importe quel prix et au détriment de sa propre santé, n'est pas un but en soi. Il ne faut pas donner aux femmes des modèles inatteignables et épuisants.
Le burn-out touche-t-il plutôt les femmes ?
Statistiquement oui. On en demande plus aux femmes, dans la vie privée et professionnelle. De plus, elles vivent les chamboulements physiques liés aux grossesses, aux accouchements, aux règles, à l'allaitement... Lorsque nous avons présenté l'étude Maman travaille en 2013 à la Cité internationale universitaire de Paris, nous avons calculé que 63% des mères qui travaillent se déclarent épuisées. Et c'est du déclaratif, ce qui veut dire qu'elles sont peut-être encore plus nombreuses… Le fait que nous vivions sous les "normes masculines du pouvoir", telles que le présentéisme à outrance et l'esprit de compétition, n'aide pas.
Y a-t-il plus de burn-out aujourd'hui qu'il y a 20 ans ? Pourquoi ?
Oui clairement, c'est un constat que font les médecins. Il y a deux explications à cela. D'abord, on en parle plus. Les gens osent dire qu'ils sont épuisés, ce qui n'était pas du tout le cas dans les années 1980 par exemple. Ensuite, nous vivons dans une société où, de plus en plus, la concurrence et la productivité sont les règles. La concurrence, l'isolement, la précarité conduisent au burn out. Comment être serein quand on peut être viré du jour au lendemain ? La question de l'identité par le travail est centrale dans l'augmentation des burn-out. Dans la pyramide de Malsow, le sentiment d'appartenance est un des besoins fondamentaux de l'être humain. L'en priver l'épuise. C'est pour cela que des gens au chômage peuvent faire des burn-out.
Comment gérer enfants et activité professionnelle ?
J'aime beaucoup le proverbe africain qui dit "Il faut un village pour élever un enfant". Il est important pour un enfant d'avoir plusieurs figures d'attachement solides. Il faut aussi apprendre à lâcher prise, à déléguer. J'ai adopté le "CQFAR", autrement dit "celui qui fait a raison". C'est une bonne manière de déléguer, de décompresser, et on peut l'utiliser partout. Personnellement, je me suis beaucoup organisée et je tiens à mes temps "sacralisés". Si une réunion se tient un mercredi, elle se tient sans moi. Je suis une ancienne mère angoissée mais j'ai fini par comprendre que l'important, c'était surtout l'équilibre des enfants et la qualité de la relation que l'on arrive à tisser avec eux.
Quelle est la clé d'une vie équilibrée selon vous ?
C'est une question très personnelle, ça dépend de chaque individu. Je dirais, de se sentir "aligné", d'avoir sur une même ligne ce qu'on veut faire, ce qu'on pense devoir faire, ce qu'on a envie de faire... et ce qu'on fait vraiment. Être en phase avec ses valeurs et ses envies, sans se déconnecter de ses besoins. Être utile aux autres est évidemment une source d'équilibre.
Qu'est-ce qui a changé dans votre vie suite à votre burn-out ?
Depuis mon burn-out, je ne bois plus du tout de Coca. Ca peut paraître hors sujet mais pas du tout, on est en plein dedans. Quand on s'épuise, on a tendance à sur compenser avec des boissons caféinées, sucrées, énergisantes... qui ne nous hydratent pas, créent des appels au sucre, bref nous empoisonnent ! J'ai aussi quitté la région parisienne : l'environnement joue un rôle dans l'équilibre. On se sent plus fort, et apte à faire plus de choses, quand on vit dans un environnement sûr et bienveillant.
Comment rechargez-vous vos batteries ?
J'accepte d'avoir des temps improductifs. Je prévoie dans mon agenda des plages horaires avec écrit : "RIEN" même si c'est le soir ou le week-end. Et j'avise sur le moment : vélo, yoga, lecture, bain, repos, sortie avec les enfants… Quand on est travailleur indépendant comme moi, avec de surcroît un mandat électif, on est à la disposition des gens. Mais il faut réussir à trouver l'équilibre qui fait que l'on reste suffisamment vaillant pour être utile aux autres. J'ai appris à dire "non" et "je ne pourrai pas" quand on me demande des choses qui vont trop loin. Par ailleurs, je réussis à me déconnecter et à laisser de côté le Net plusieurs jours quand je sens que c'est nécessaire.
Quels conseils pouvez-vous donner aux lectrices de FemininBio ?
Remplir et colorier la batterie cartonnée détachable du livre J'arrête de m'épuiser. C'est une manière de rester visuellement connectée à ses besoins, et d'envoyer des signaux à son cerveau disant "voilà où j'en suis de mon épuisement." Je crois que c'est le fil conducteur du livre: se reconnecter à ses besoins. Quand un téléphone clignote en rouge on le rebranche pour recharger sa batterie. Pourquoi, quand c'est notre corps, on tire sur la corde encore un peu plus ?