Interview du Docteur Yasmine Lienard (photo ci-contre), psychiatre à Paris, spécialiste, entre autre, de la thérapie cognitive basée sur la pleine conscience (MBCT-Mindfulness Based Cognitive Thérapy-).
Comment peut-on définir la pleine conscience ?
Le terme vient de l'anglais « mindfulness ». Il s'agit d'un état d'esprit où l'on est véritablement présent, où l'on observe tout ce qui est dans l'instant, sans jugement de valeur et en acceptant tout ce qui se passe. Ainsi faisant, on se met en rapport aux choses. Cela se travaille avec la méditation : la pleine conscience peut durer une minute, mais bien plus longtemps si l'on s'aide de la méditation
Par exemple, peut-on se retrouver en pleine conscience sous la douche ?
Oui, tout à fait. On peut être en pleine conscience à tout moment. C'est tout simplement être là, présent à ce que l'on fait, aux sensations corporelles, aux sons et à ce qui nous environne dans l'instant présent.
Les enfants peuvent-ils être en état de pleine conscience ?
C'est vrai que l'état de pleine conscience peut donner l'impression de retourner en enfance, où l'on était très présent. On regardait un oiseau sans se demander s'il est beau ou laid, on le regardait en s'émerveillant, un point c'est tout. Je ne pense toutefois pas que les enfants soient continuellement en état de pleine conscience, car ils ont du mal à se fixer dans le moment présent. La pleine conscience est avant tout une démarche volontaire de porter son attention sur les choses en dehors de l'esprit.
En quoi la méditation peut développer cette aptitude de pleine conscience ?
Ce n'est pas naturel d'être en pleine conscience. L'humain a très vite fait de poser des hypothèses, réfléchir, raisonner, ce qui le coupe de la conscience de l'instant. Se maintenir en pleine conscience est un entrainement de l'esprit. Dans ce sens, plus l'on pratique la pleine conscience à travers la méditation, plus on peut être présent en dehors de la méditation.
A qui cela profite-t-il et quel bénéfice peut-on tirer de la pleine conscience ?
Le bénéfice est général, tout le monde a intérêt à être plus présent. Aujourd'hui, on a tendance à être beaucoup ailleurs et à avoir du mal à être en rapport aux choses mais aussi aux autres. La pleine conscience permet donc d’être plus présent et ouvert à ce qui est véritablement plutôt que dans les illusions de son esprit. Par exemple, lorsque l'on est face à un tableau, on se met en rapport avec l'expérience que l'on est en train de vivre à l'instant, comme les vibrations ressenties par les couleurs que l'on voit, plutôt que de le juger ou de lui mettre une étiquette de beau ou de laid. La pleine conscience est donc une façon de sortir de la représentation conceptuelle qu’on a souvent des choses et de les voir vraiment.
Y a-t-il un rapport avec la spiritualité ou les énergies extérieures ?
Pas du tout ! La pleine conscience n'est pas de l'ésotérisme, c'est au contraire très élémentaire. Il s'agit d'être attentif à ce qui se passe au moment où ça se passe. Rien ne vient de l'extérieur comme quelque chose de fabriqué. On ne fait que s’ouvrir à la réalité et non à créer un état de transe. Par contre vous parlez de spiritualité. On fourre tout dans ce terme, mais le spirituel est ce qui est en rapport à l’esprit, donc en ce sens pratiquer la méditation de pleine conscience a à voir avec un travail sur son esprit. Mais il n’y a aucune croyance à la quelle on s’accroche, c’est bien le contraire : on se détache de toutes ses croyances.
Comment aborder la pleine conscience la première fois ?
Il peut être utile de l'aborder avec des livres et des stages, mais ça dépend de notre but. D'une manière générale, mieux vaut être guidé, car au début, seul, c'est difficile. La pleine conscience est une voie développée dans certaines méthodes thérapeutiques de la dépression, car les dépressifs ont du mal à être dans le temps présent. Dans ce cas, le travail est très encadré et il est recommandé de le faire avec un professionnel de la maladie mentale car il y a un protocole strict à respecter. Mais on peut s’entraîner à la pleine conscience dans des stages de MBSR (Mindfulness Based Stress Reduction Program) axé sur la gestion du stress ou alors dans un centre de méditation vipassana si c’est plutôt dans une optique de développement personnel ou de mieux être.
Vous parlez de thérapie, que soigne-t-on avec la pleine conscience ?
D'une manière générale, la pleine conscience peut être utile pour tous types de troubles anxieux ou dépressifs, ce que l’on appelle les névroses. Il peut être utile d'apprendre aux gens à être plus dans la réalité.
Elle est utilisée pour les troubles graves de la personnalité ou les problèmes d’addiction. Pour la schizophrénie, il existe une thérapie basée sur la pleine conscience qui a montré une diminution des hospitalisations mais encore une fois, cela doit être fait avec un professionnel et dans le cadre d’un protocole. Méditer n’est pas la panacée à toutes les maladies mentales !
Comment se développe la pleine conscience en France ?
Par rapport aux États-Unis, nous sommes très en retard. La pleine conscience peine à se développer en France, car nous sommes très, très, très stressés, mais aussi car nous sommes beaucoup plus cartésiens. Les Français sont imprégnés de l'esprit rationnel et scientifique et ont donc du mal à penser de manière plus nuancée. Nous avons également extrêmement peur des dérives sectaires.
Qu'aurait pensé Freud de la pleine conscience ?
Il aurait fallu que je puisse discuter avec lui ! Il y a aujourd'hui des psychanalystes qui sont beaucoup dans le « laisser parler ». Le patient s'installe et parle. La pleine conscience, c'est exactement l'inverse. On ne veut pas être dans le mental, on veut apprendre à être dans son corps. Il y a tout de même des points communs, à commencer par le fait que le « moi » est au centre du travail. Il y donc un lien entre Freud et la pleine conscience, tout comme il y en a entre Freud et le bouddhisme. Car la méditation est une voie de libération de l’égo, de la représentation de soi qui nous enferme. On peut donc méditer en faisant une analyse, cela peut bien se compléter, je pense.