Cet article est issu d'une édition spéciale distribuée au public du Parlement du Féminin, événement organisé le 18 décembre 2017 à l'Opéra Comique.
L'intimité du corps des femmes devient public
Le corps des femmes a récemment fait irruption dans le débat public sous ses aspects les plus intimes. De la taxe sur les protections hygiéniques à la dénonciation des violences obstétricales, en passant par l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, la figuration du clitoris dans les manuels scolaires, le débat sur les modes de contraception, et jusque dans l’explosion des révélations liées au harcèlement et aux atteintes sexuelles, il n’est guère de thèmes corporels féminins qui ne soient devenus objets de réflexion et de revendication.
Ce n’est pas selon moi un hasard : ce sont les fondements mêmes de l’émancipation féminine qui sont dépliés dans toutes leurs implications. Socle des premiers combats féministes sur le versant procréateur, le corps des femmes a été investi comme le lieu par excellence de la subordination féminine. Depuis les années 1970, il est ainsi envisagé dans les termes de l’aliénation. Parce que l’objectif d’une libération des femmes visait d’abord à les affranchir des chaînes de la nature qui étaient aussi celles du patriarcat, la vie amoureuse et conjugale, la sexualité, la maternité, ces thèmes constitutifs de l’existence corporelle des femmes sont devenus le socle de nouvelles revendications : droits à la contraception et à l’avortement, mais aussi libre disposition de son corps sexuel et droit au plaisir !
Deux combats : un contre les atteintes subies et un pour l'égalité
Depuis lors, deux lignes de force féministes se sont développées de concert : d’un côté, les luttes contre les atteintes faites aux corps féminin (harcèlement, violences conjugales, viol, prostitution), de l’autre, les combats pour l’égalité entre les sexes sur le terrain social et professionnel (plafond de verre, écarts de salaire, parité).
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Quoique très différents dans leur inspiration et leurs fondements, ces combats partagent une même approche qui fait du corps féminin un carcan empêchant la pleine égalisation des conditions féminine et masculine. Le lien ainsi établi entre corporéité et infériorité est toutefois en train de se desserrer avec l’arrivée, au tournant des années 2000, d’une génération caractérisée par un nouveau rapport au corps placé sous le double signe du contrôle et de la liberté. Les jeunes femmes nées dans les années 1980 ne s’inquiètent plus d’une éventuelle grossesse mais se préoccupent de leur plaisir sexuel, elles ne souffrent plus de la cyclicité implacable de leurs règles mais s’en débarrassent de façon hormonale, elles ne fantasment plus sur le modèle de la conjugalité maritale mais multiplient les parte- naires et assument leur célibat, elles ne s’enfermement plus dans les canons esthétiques d’un féminin prétendument éternel mais s’en saisissent pour les distordre et s’extirper de la binarité genrée.
Une liberté corporelle sous forte contrainte
Ce mouvement d’appropriation ne se fait pas sans difficultés, il constitue même un véritable défi. Après n’avoir été pendant des siècles que des corps, soumises aux hommes comme à la nature, voilà que les femmes doivent assumer une liberté nouvelle, dans le domaine procréatif évidemment mais, bien au-delà, dans tous les domaines corporels (vie amoureuse et sexuelle, maternité, santé, souci esthétique). À chaque fois, elles se trouvent en position de choisir parmi un éventail d’options très large, sous la pression des multiples sommations que la société et les médias leur adressent. Cette expérience quotidienne d’une liberté corporelle sous forte contrainte n’est pas chose aisée, il n’est donc pas étonnant que des femmes s’emparent de ces questions et que les sujets liés aux organes sexuels féminins soient rendus publics et débattus.
Sur le versant négatif du corps comme vecteur d’aliénation, on observe une dynamique sans précédent de "mise au jour"de la prise masculine sur les corps féminins. L’affaire Weinstein et ses répercussions en vague provoquent un bouleversement dont on ne mesure pas encore bien la portée mais qui annonce une nouvelle ère. Jusqu’à présent, on s’était accommodé d’un paradoxe : sur le plan des principes et, de plus en plus, dans les fait, les femmes devenaient les égales des hommes dans la sphère sociale, mais dans le domaine intime, elles restaient sommées d’accepter en silence les règles inégalitaires et sexistes régissant les relations amoureuses et sexuelles. En rendant publiques les outrages et les violences qu’elles subissent dans ce domaine, c’est le caractère inquestionné de la prise physique des hommes sur les femmes qui est dénoncé.
Des droits fondamentaux transgressés
Il s’agit de rendre public ce qui jusque-là pouvait rester secret, de donner à voir ce qui se dissimulait, de révéler ce que l’on retenait. Les réseaux sociaux sont le moyen de cette mise au jour, il n’en sont pas la raison ni même la condition. Ce que les femmes exigent désormais, ce n’est pas que les agissements des hommes soient de part en part rendus visibles, c’est qu’ils soient montrés lorsqu’ils transgressent les droits fondamentaux supposément garantis à toutes, et notamment le droit à l’intégrité de sa personne et le droit à la sécurité. Cette monstration permet notamment de prendre la mesure du phénomène : pas une femme ou presque n’a échappé à l’une quelconque des formes que prend le sexisme quand il s’applique au corps féminin. Mais il se passe également des choses sur le versant positif du corps comme lieu de réalisation de la liberté conquise, et notamment un phénomène inédit de publicisation des questions liées à la génitalité féminine.
Après des siècles à éprouver en silence les changements et les tournants liés à leur physiologie génitale, les femmes rendent publiques les thématiques et préoccupations qui y sont associées : baisse du taux de TVA appliqué aux protections hygiéniques, campagne d’information sur l’endométriose, modélisation en 3D du clitoris, débats sur les modes de contraception (la pilule mise en cause), discussions sur les nouvelles pratiques autour des règles (coupes, congés menstruels, etc.), médiatisation de la question du plaisir féminin (les chroniques de Maïa Mazaurette pour le journal Le Monde ou les initiatives de groupes féministes comme le "Cabinet de curiosité féminine" ou "Les chahuteuses").
Cette irruption des sujets liés aux organes sexuels féminins dans l’arène médiatique et le champ politique marque selon moi un tournant féministe. Les femmes ont enclenché un processus de réappropriation de leur corporéité qui constitue l’ultime étape du mouvement d’émancipation, celle qui leur permettra de faire des choix libres et informés dans tous les domaines de leur existence corporelle.
Le Parlement du Féminin est un événement co-organisé par le magazine FemininBio et le Parlement des Entrepreneurs d'avenir, avec le soutien de GENERALI, Engie, Kering, Opéra Comique, Sodexo, TF1 Initiatives, Weleda.
Mention spéciale à notre partenaire majeur GENERALI, soutien depuis le début de cette initiative.