Lorsque je suis entrée dans le monde de l'agriculture, j'ai pu observer de vraies injustices qui, heureusement, sont en train de changer...
J’ai été choquée du machisme qui règne encore dans le milieu agricole
J’avais déjà été confrontée au sexisme à travers les différents secteurs de métiers dits “masculins” dans lesquels j’ai travaillé, comme l’immobilier ou encore le mannequinat (j’étais mannequin quand je passais le bac) ; mais en agriculture, j’ai été choquée. Les femmes qui se lancent seule dans ce milieu sont énormément discriminées : aux yeux de certains agriculteurs, ce ne sont pas des agricultrices, mais des bobos, voire des sorcières qui font pousser des plantes.
Pour survivre dans ce monde d'hommes, les agricultrices se coupent de leur féminin
C'est malheureusement la condition pour arriver à être mieux acceptées. Elles sont amenées à refouler cette part d'elles-mêmes, afin de mieux se fondre dans cet univers de gros bras, finalement assez déconnecté de l'émotion et de l'amour du vivant.
Certaines d'entre elles ne récupèrent pas le fruit du travail qu’elles ont fourni
Les femmes qui vivent avec des agriculteurs ont parfois tendance à rester en retrait, dans une sorte de second rôle avec un statut de "conjoint collaborateur" et ne touchent pas leur propre revenu.
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Sauf si elles s’arment et montent un GAEC en coresponsabilité, mais dans la plupart des cas ces femmes ont travaillé toute leur vie, tout en élevant des enfants et en s'occupant de la gestion administrative, sans être payées. Du coup, en cas de divorce elles n’ont rien. Elles ont travaillé des dizaines d'années pour toucher une retraite pas plus haute que le RSA.
Ce livre réunit 10 témoignages de paysannes innovantes
Ceux des neuf femmes passionnées à qui je donne la parole, plus le mien. Je les ai interviewées et toutes m’ont posé des questions. L'une d'entre elle est transformatrice : fromagère, elle n’élève pas ses bêtes, mais pour elle c’est un premier pas pour ensuite devenir agricultrice. Parmi les autres, il y a une vigneronne, une éleveuse de cochon, une maraîchère... chacune venant de la ville ou d'un métier du tertiaire, et ayant réussi à se faire une place dans les champs.
Ce qui est commun à toutes c’est la passion, la connexion à son métier, aux éléments
Cet amour du métier qui fait tenir, malgré les difficultés. Certaines d'entre elle travaillent seules et font face à des contraintes physiques dont elles arrivent à se débrouiller. Elles sont toutes un peu des exploratrices, des conquérantes, elles redémarrent des activités qui n’existaient plus, recréent des filières et donnent une nouvelle identité à ces métiers. Elles sont extrêmement utiles et pourtant dans l’ombre. J'ai voulu les mettre en lumière.
L'agriculture et le féminin sont étroitement liés, notre métier nous reconnecte à la terre
Le travail de la terre a un côté très poétique lié à la spiritualité.. Ce mot fait souvent peur mais cette reconnexion au vivant, à la nature, à son écosystème, entraîne forcément un effet de "nettoyage" qui donne de l’énergie, nourrit notre esrpit.
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Être dans un espace naturel permet de s'ancrer dans le moment présent, en écoutant les bruits de la nature, en respirant ses parfums : on dépose le mental et tous nos sens sont en éveil. Cette ouverture dépend évidemment de nous, mais si on choisit de regarder ça avec amour, ce métier nous apporte énormément, on se sent là où on doit être. C’est un état presque méditatif.
Dans ce recueil on est 10, mais en réalité nous sommes des milliers
Est-ce qu’on ne pourrait pas monter un réseau, nous mettre toutes en lien ? Pour se soutenir, se sentir moins seules, se donner des idées… On démarre une réflexion sur cette idée dans les pages du livre. Rien qu’à travers son écriture, on est toutes devenues amies : quand l'une d'entre nous ne va pas bien, elle parle de ses difficultés et les autres lui répondent, ne serait-ce que ça, ça fait du bien. Nous pourrions le faire à plus grande échelle avec un espace pour s’exprimer et se relier.
Nous sommes la dernière génération de femmes et d'hommes à pouvoir sauver notre espèce et la biodiversité telle qu'on la connait
Dans cette année 2019 qui démarre, on observe un contexte de forte émancipation des femmes (exemple avec le mouvement #metoo) porteuse d’espoir et, plus globalement, une émancipation du féminin, de ces valeurs d'amour et d'entraide pas uniquement réservées aux femmes. Se reconnecter à soi, à ses émotions, permet une reconnexion à la nature qui, aujourd’hui, est plus que jamais nécessaire. Dans cette période un peu violente de revendications légitimes, l’amour et la coopération restent pour moi la seule voie d’actions pour construire le monde de demain.
Infos utiles :
Le livre de Linda Bedouet : Néo Paysannes : 10 femmes engagées témoignent
⇨ Ce samedi 23 février à Paris, assistez à la diffusion du documentaire « Réparer la terre » suivi d’une conférence avec les Néo-paysannes du livre
Et participez à Néo-paysannes : l'atelier