Cet article a été publié dans le magazine FemininBio #18 août-septembre 2018
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S'habiller, couvrir son corps face aux aléas climatiques, est un besoin fondamental. Au cours de son histoire, l'humanité en a fait un marqueur culturel. Il y a quelques siècles, des lois réglementaient les tenues autorisées en fonction de l’origine sociale et du métier.
Et il y a quelques décennies, le port de certains vêtements, comme le pantalon, était interdit aux femmes. La fin de ces règlements et l'essor du prêt-à-porter ont démocratisé la mode.
Des créateurs en ont fait un support pour accompagner les aspirations à l'émancipation d'une partie de la société, de la fin du corset au smoking d'Yves Saint-Laurent.
La mode est avant tout l'expression d'une identité, de ses inspirations et de ses aspirations. C'est un vecteur de transmission, une manière d'entrer en dialogue de manière non verbale et de sublimer sa personnalité.
La mode industrielle se délocalise
La démocratisation du prêt-à-porter a entraîné le développement d'une immense industrie. C'est l’une des premières et des plus importantes grandes révolutions industrielles qu'a connues la France au XIXe et au XXe siècle. En employant des centaines de milliers de personnes dans des entreprises de fabrication de textiles, de confection et de vente, la mode a entièrement façonné des régions, à l'image du Nord-Pas-de-Calais.
Dans les années 1990, l'industrie de la mode fait face à une demande croissante. La fabrication de tissus et de vêtements se poursuit et est sous-traitée dans des pays à bas coût de main-d'œuvre, essentiellement en Asie-du-Sud-Est où sont aussi produites les matières premières comme le coton. Cette évolution de structuration de la filière est mondiale. Nike a été la première marque à mettre en œuvre ce nouveau modèle d'organisation.
La production s'accélère jusqu'au malaise
En 2000 la production de vêtements était estimée à 50 milliards de pièces par an. Elle pourrait atteindre les 140 milliards en 2018. L'industrie de la mode est entrée dans une nouvelle ère, celle de la "fast-fashion", la mode rapide. Il s'agit de produire, vendre, consommer, jeter toujours plus, acheter toujours moins cher, toujours plus vite.
Exit les deux collections par an (printemps-été / automne-hiver). Le réassort est permanent pour amener le client à revenir en boutique le plus souvent possible. Zara produit ainsi 12 000 vêtements différents chaque année. Dans un marché saturé, c'est une course folle pour les enseignes. Comment, dans ces conditions, avoir le temps de se soucier de l'impact environnemental, des droits humains des travailleurs, des clients ?
Un bilan écologique et social désastreux
Pour trouver des solutions, il est important de connaître l'origine du malaise.
Le bilan écologique est sans appel : la mode émet plus de gaz à effet de serre que le transport aérien et maritime, elle est la troisième consommatrice des eaux d'irrigation dans le monde et deux tiers des vêtements testés par Greenpeace en 2012 contenaient des substances toxiques.
Le bilan social n'est pas plus réjouissant : FairWear estime que le salaire d'un travailleur représente0,6 % du prix d'un tee-shirt fabriqué au Bangladesh. S'il n'est pas bon pour la planète, le système de la mode entraîne-t-il le bonheur des consommateurs ? Rien n'est moins sûr : 30 % de ce que nous achetons ne sera jamais porté et 70 % des Françaises déclarent vouloir maigrir.
Du côté des entreprises, ces dix dernières années, le marché français de l'habillement a perdu 17 % de sa valeur ; 50 % des vêtements sont achetés pendant les soldes, qui sont désormais quasi permanents.
Une nouvelle révolution pour la mode
L'industrie de la mode doit s'engager dans une nouvelle mue, une nouvelle révolution. L'économie circulaire consiste à agir dans trois grands domaines : écoconcevoir, vendre moins mais mieux, et recycler.
Ces principes, déjà appliqués dans de nombreux secteurs, constitueraient une véritable révolution pour la mode. Les enseignes se réapproprieraient le choix des matières premières en cherchant les plus écologiques (lin, chanvre, ortie), en valorisant les savoir-faire, en cherchant la plus grande qualité et la plus faible toxicité. Elles pourraient aussi créer de nouvelles relations avec leurs clients en proposant des relations et des services fondés sur la transparence et la collaboration. Elles pourraient enfin utiliser les stocks de textiles usagés ou invendus pour créer les nouvelles collections.
Grâce aux nouvelles mesures (comme l'interdiction de la destruction des invendus, ou l'affichage environnemental sur les vêtements) prévues par la feuille de route pour l'économie circulaire du gouvernement, publiée en avril 2018, ces évolutions pourraient s'accélérer.
La révolution est déjà là
Sans attendre qu'une loi les y oblige, des créateurs et des marques s'engagent. Des entreprises plus anciennes, comme Armor-Lux, ont fait le choix de conserver leurs activités de confection en France.
D'autres, plus récentes, comme la marque 1083 de Romans-sur-Isère, ont réussi le challenge de produire et de vendre à prix abordable des jeans.
Partout des fab labs textiles inventent de nouvelles façons de créer et de vendre leurs créations. Ils proposent des ateliers de retouche, de cocréation et des services aux clients qui participent à la vie de la structure.
Les plateformes digitales de location de vêtements pour enfants ou pour femmes se développent. Et avec 50 % de Françaises qui déclarent avoir acheté un vêtement de seconde main en 2017, l'essor des magasins ou des plateformes collaboratives de revente de produits de mode se confirme.
Moi aussi je fais place au changement dans ma garde-robe
Chacune d'entre nous peut faire sa révolution. La première étape consiste à reprendre le pouvoir sur ses actes d'achat en consommant moins mais mieux. C'est une révolution intérieure. Nous baignons dans une société de l'avoir, en d'autres termes ce que nous possédons est censé nous définir. Il s'agit de remettre les objets à leur place pour passer de l'avoir à l'être.
Cette mise à distance peut passer par des étapes telles qu’apprendre à mieux connaître sa morphologie et adapter ses choix vestimentaires à son style de vie. Ce n'est qu'à ce prix que l'acte d'achat peut prendre une nouvelle dimension.
En s'intéressant aux matières qui composent le vêtement et à son histoire, cela lui donne une autre valeur, qu'il soit de seconde main ou issu d'une boutique de mode éthique. Il durera probablement plus longtemps et, même s'il est peut-être plus cher, il pourra être recyclé ou transmis. Il nous inscrira différemment dans le temps et il nous ressemblera davantage. Surtout, il nourrira une soif plus profonde qui fait la vraie élégance : celle de vivre en accord avec ses valeurs et de contribuer à préserver le vivant.
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