Après la chute de l’Empire Romain, le Moyen Âge débute dans une certaine confusion. Peu ou pas d’écrits pendant quelques siècles, les arts et les sciences évoluent dans une certaine obscurité. Puis, à partir du XIIe siècle, la transmission des connaissances semble à nouveau s’organiser. C’est l’époque des grimoires, des alchimistes et des… sorcières, mais aussi des pionniers de la médecine, dans une version moins « sulfureuse ». Parmi ceux-ci se détache la figure d’une héroïne trop méconnue, Trotula, qui consacra sa carrière à la santé des femmes et leur légua un véritable manuel de beauté.
Des écrits sous influence
Les traités de cosmétique sont rares au Moyen Âge, mais ils ont le mérite d’exister. Ainsi, en 1256, maitre Aldebrandin de Sienne, médecin italien exerçant à Troyes, rédige en français un ouvrage de médecine et de diététique, mais aussi d’hygiène, intitulé « Le régime du corps ». De même, dans leurs « chirurgies » (traités médicaux), les médecins Henri de Mondeville (XIIIe siècle) et Guy de Chauliac (XIVe siècle) abordent le thème de l’hygiène et des soins cosmétiques. L’influence de la culture romaine, héritage de Galien et consorts, se fait encore sentir, mais la plus grande partie des soins qui sont compilés dans tous ces ouvrages proviennent d’Orient, inspirés notamment par les écrits des savants perses Rhazès et Avicenne (respectivement des Xe et XIe siècles). Ainsi, « Le régime du corps » ne serait qu’une simple compilation d’informations figurant éparses dans des manuscrits arabo-persans traduits en latin à partir du XIIe siècle.
L’ornement des dames
Dans cette sphère à dominante masculine, évoluent néanmoins quelques femmes savantes. On pense bien sûr à la célèbre Sainte-Hildegarde von Bingen, alors que Trotula di Ruggiero, de Salerne* demeure bien moins connue. Pourtant cette femme médecin qui vécut au XIe siècle fit beaucoup progresser la santé au féminin, allant même jusqu'à promouvoir l’accouchement sans douleur, grâce à l’opium, et sauvant de nombreuses vies en améliorant les pratiques d’obstétrique. Mais c’est aussi à elle que l’on doit l’un des plus anciens recueils de « soins de beauté » de notre ère. En effet, parmi les trois traités qu’elle a légué à la postérité, regroupés sous le titre « Trotula » (abordant les maladies des femmes et leur traitement), le dernier opus est consacré aux soins cosmétiques : De Ornatus Mulierum, De l'ornement des dames.
Une pure beauté
De Trotula elle-même, on sait peu de choses, et longtemps même les historiens allèrent jusqu'à nier son existence ou la faire passer pour un homme. On pense aujourd’hui qu’elle fut l’épouse du célèbre médecin Platearius l'Ainé et qu’elle fut aimée et admirée de son vivant. En 1097, son cortège funèbre aurait rassemblé une foule innombrable.
Selon des témoignages de contemporains, Trotula aurait été l'une des plus belles femmes de son temps, peut être grâce aux secrets dont elle donne les formules. Mais puisque que nous ne disposons d’aucun portait d’elle, il ne nous reste qu’à l’imaginer... Au Moyen-Age, le maitre mot de la beauté féminine est « pureté ». Le maquillage est proscrit par l’Eglise et les icônes, au sens propre du terme, constituent le modèle de l’idéal féminin : pureté, donc, à l’image de la vierge Marie, des saintes et des martyres.
Femme des années 1080, femme jusqu'au bout des seins
Ce sont les peintres et les poètes qui nous fournissent une image précise des canons médiévaux. Dans « Le jeu de la feuillée », de Jean de la Halle (1276), la femme parfaite est décrite comme ayant les cheveux blonds dorés, fournis, ondulés. De la tête aux pieds, sa peau est blanche. Son front est large, dégagé ; l’arête du nez belle et droite ; les sourcils forment un arc fin et bien dessiné ; les yeux, noirs, sont grands sous de fines paupières ; la bouche est fine, mais charnue en son centre, vermeille comme la rose. La nuque est fine, blanche et ronde, sans la moindre pilosité. La gorge est blanche et longue et les seins petits et durs, les bras fins et longs et les mains fines et blanches. Les jambes aussi sont fines et longues, mais le ventre saillant et rondelet… Les représentations d’Agnès Sorel, favorite du roi Louis VII, donnent corps à ce portrait de la femme idéale, qui restera quasiment inchangé jusqu’au XVe siècle.
La dictature de la beauté
Cheveux blonds, mais sourcils et yeux noirs. Peau de lait, à une époque où l’on vit principalement en plein air (le château fort, côté cocooning, c’est pas top…). Teint pâle et bouche vermeille. Bouche fine et charnue. Membres fins, mais ventre rond. OK ! Et tout ça sans maquillage. OK ! Jacquouille aurait raison de s’esbaudir : la mission semble impossible. A moins de bien profiter de sa beauté de « pucelle », avant ses 25 ans, âge auquel la femme entre dans le « désert de l’Amour » (si elle n’a pas déjà rejoint le paradis, morte en couche ou de maladie). Bref, mes fillottes, la tendance médiévale est au jeunisme !
Bien que ces critères exigeants, voire inaccessibles, leurs soient imposés par les hommes, nombre de « nobles dames » usent d’artifices pour parvenir à cet idéal impossible : décoloration des cheveux, blanchiment de la peau et des dents, épilation du visage, mais aussi de la nuque, du front, des tempes. Ce qu’il faut souffrir pour être belle !
La réponse de Trotula
L’ouvrage de Trotula, « L’ornement des dames », apporte toutes les réponses à la quadrature du cercle et de l’ovale… du visage. Il y figure, entre autres, des préparations pour blanchir les dents, blanchir et purifier la peau en faisant disparaitre boutons, dartres et taches de rousseur, colorer les lèvres en rouge, raffermir le buste. On y trouve des liniments pour blanchir les mains, des onguents et teintures pour embellir et colorer les cheveux, des dépilatoires. Mais aussi une formule, à base d’argile et de substances végétales très astringentes, pour… retrouver sa virginité !
Les principaux ingrédients de ces formules sont les plantes médicinales (parfois toxiques), mais aussi des épices, des résines, des farines alimentaires, des vinaigre. Trotula recommande aussi des matières minérales, sympathiques ou pas (argile blanche ou « bol d’Arménie », sel, poudre d’alun, tartre, chaux vive, céruse). Du côté des matières animales, on rencontre des œufs, du miel, de la cire d’abeille, ainsi que des graisses animales de toutes origines. Le « savon gaulois » est conseillé pour le nettoyage du visage. Les ingrédients diaboliques si prisés de l’Antiquité deviennent rares, mais on peut néanmoins citer le lézard vert frit à l’huile, la fiente de pigeon, l’urine d’enfant (sachant que l’urée est un des meilleurs agents hydratants qui soient, c’est pas idiot !). Mais dans l’ensemble, les ingrédients douteux sont très minoritaires et les formules de Trotula apparaissent plutôt inoffensives au regard de nombre de poisons cosmétiques qui ont circulé de l’Antiquité jusqu'aux débuts du XXe siècle.
Une époque beaucoup plus raffinée qu’on ne le pense
On trouve aussi, dans l’ouvrage de Trotula, des compositions parfumées, à base de galanga, rose, girofle, muscade, musc. Quoi de plus exquis et de plus sensuel que cela ? Il s’agit bien là d’une parfaite illustration de ce raffinement que l’on peine à prêter au Moyen-Age. Pourtant, contrairement aux idées reçues, à la fin du Moyen-Age, l’hygiène fait l’objet d’une grande attention. Les bains sont fortement recommandés et, donc, pratiqués. Les plus riches disposent de baquets, les classes moyennes fréquentent les bains publics mixtes, souvent représentés sur les enluminures ou les gravures. Mais ces établissements ne servent pas qu’aux plaisirs… de la convivialité : on se lave le corps au savon ou avec une décoction de racine de saponaire, les cheveux avec des pâtes de savon à base de cendres et de suif. Bref, il y a fort à parier que la belle Agnès Sorel avait une hygiène bien plus irréprochable que son émule plus jeune de trois siècles, la marquise de Pompadour, malgré l’extrême raffinement apparent de cette dernière.
La recette « à la manière de » Trotula (contre le déssechement de la peau)
Vaporiser de l’eau de rose puis, immédiatement après, s’enduire tout simplement le visage de macérat huileux de bulbes de lis (huile de lis). Bien masser pour faire pénétrer. Remarque : ce soin est préconisé « pour protéger le visage, le soir devant le feu », mais il peut être employé dans d’autres circonstances favorisant la déshydratation.
La recette infernale de Trotula (pour teindre la chevelure en noir)
D'abord, appliquer un onguent fait avec un petit lézard vert sans la tête et la queue revenu dans l’huile. Tout de suite, prendre des pommes de chêne, les chauffer dans l’huile, les pulvériser, et mélanger avec du vinaigre et un ingrédient noircissant provenant de la Gaule.