En tant que militante écoféministe, Solène Ducrétot a fondé l’association Les Volonterres ainsi que le Collectif Les Engraineuses. Elle est directrice d’ouvrage du livre Après La Pluie - Horizons écoféministes (Tana Éditions 2020), ainsi que porte-parole de Sandrine Rousseau, candidate écoféministe à la Primaire des Écologistes.
Journaliste spécialisée dans le secteur de l’économie sociale et solidaire, elle réalise depuis maintenant 10 ans des vidéos, produit des podcast et organise des conférences pour contribuer au changement de notre société en partageant au travers de son travail des solutions en France comme à l’étranger. A l'occasion du festival Empow'her au cours duquel elle interviendra, elle répond à nos questions.
FemininBio : vous êtes une figure de l'écoféminisme en France, à quel moment de votre vie avez-vous commencé à incarner ce mouvement ?
Solène Ducrétot : Grâce à mon travail, en 2015, j’ai eu la chance d’être au cœur de l’émulation de la COP21 (Conférence de Paris sur les changements climatiques), qui m’a permis de prendre pleinement conscience de l’échelle globale des dégâts écologiques auxquels nous devons faire face. Puis j’ai été missionnée sur de nombreuses actions de terrain avec des ONG en Afrique et en Inde, où j’ai pu réaliser à quel point ces régions du monde subissent les changements climatiques, les pollutions et la pauvreté dus à des décennies de politiques écologiques et économiques désastreuses - héritage souvent du colonialisme.
S’est ensuite ajoutée à cela la vague du #MeToo en 2017. Ce soulèvement a fait naître chez moi l’envie de passer de la réflexion à l’action, encouragée par le ras-le-bol général des inégalités qui se creusent toujours plus. Au même moment, je découvrais l’écoféminisme. Ce mouvement qui permet une convergence des luttes écologistes et féministes m’est apparu comme porteur de solutions et d’espoir fort pour l’avenir. En moi montait un feu que je ne parvenais pas à éteindre et qui me pousse toujours à contribuer à faire grossir la vague naissante de l’écoféminisme en France.
Issue d’un milieu populaire, handicapée pendant mes études par une dyslexie, je suis toujours suivie par le syndrome de l’imposteur que je dois régulièrement combattre. Mais tant pis : quitte à être une goutte d’eau, autant être celle qui fait déborder le vase !
La chanson "Sorcière" d’Anne Sylvestre reflète parfaitement l’état dans lequel je me trouvais au début de mon engagement :
« J'étais le sol sous vos pas. Et je ne le savais pas. Mais un jour la terre s'ouvre. Et le volcan n'en peut plus. Le sol se rompt, on découvre des richesses inconnues. La mer à son tour divague de violence inemployée. Me voilà comme une vague, vous ne serez pas noyé ». [Extrait de Sorcière - d’Anne Sylvestre].
Vos valeurs vous ont amenée à créer le collectif Les Engraineuses, puis Les Volonterres. Comment est née l'idée de ces projets ?
En France, comme partout dans le monde, les femmes sont les premières victimes des dégâts écologiques. Parce qu’elles sont les plus précaires, elles subissent d’autant plus les crises sociales, écologiques et sanitaires.
Les femmes sont majoritairement en charge des activités agricoles et produisent dans certains pays jusqu’à 80 % de l’alimentation. De plus en plus, elles doivent faire face à des périodes de sécheresses, de désertification et d’inondations, rendant leurs cultures impossibles. Selon l’UNEP (Programme des Nations Unies pour l'Environnement), lorsqu’une catastrophe naturelle frappe une région, le risque de décès est 14 fois plus élevé pour les femmes.
L’objectif de l’écoféminisme est donc de trouver des solutions pour que les femmes ne soient plus victimes des changements climatiques et des pollutions. L’idée est de faire en sorte à ce qu’elles deviennent même actrices des alternatives pour construire un monde plus vivable pour tout le monde.
Découvrez aussi au festival Empow'Her et dans cette interview le collectif LOUVES/
C’est inspirée par ces valeurs que j’ai d’abord co-fondé le collectif Les Engraineuses, avec lequel est né Après la Pluie en 2019, qui était alors le premier festival écoféministe organisé dans l’Hexagone. Cet évènement s’est ensuite décliné en livre sorti sous ma direction : Après La Pluie – Horizons écoféministes, paru chez Tana Editions. Dans cet opus, j’ai eu la joie d’inviter 60 intervenant·e·s à prendre la plume pour explorer les diverses facettes de l’écoféminisme en France. Tou·te·s témoignent de la richesse des pratiques écoféministes qui sont autant de moyens d’action, élaborés à partir des questionnements et d’expériences permettant d’agir ensemble et de changer notre rapport au monde.
C’est en 2021 que naît ensuite l’association des Volonterres, qui a pour ambition de développer le travail amorcé par les Engraineuses et d'amener encore plus loin les réflexions autour de l’écoféminisme. Un travail de recherche et d’action y est mené afin de traduire au mieux ce mouvement sur notre territoire français, tout en l’adaptant au contexte moderne dans lequel nous vivons aujourd’hui. Avec les Volonterres, nous travaillons ainsi à mettre en place des solutions durables et cultiver un monde qui puisse être plus égaliTERRE.
Quelles sont selon-vous les principales solutions à apporter aujourd'hui pour servir à la fois la cause féministe et environnementale ?
Il semble important de rappeler que l’écoféministe a pour vocation de déconstruire ce qui s’appelle le “système d’oppression patriarcale”. Ce système est effectivement à la source de beaucoup de problèmes et agit de la même manière sur tous les plans de notre société. On retrouve ses rouages destructeurs au travers du capitalisme, de l’exploitation de la Nature, des violences faites aux femmes, du racisme, de l’homophobie, du spécisme, etc.
Ces oppressions sont nées du même nœud que l’écoféminisme s’attèle à démêler. Par conséquent, c’est une convergence des luttes qui s'opère, rendant ce combat fondamentalement radical puisqu’il s’agit de repenser la société dans sa globalité. L’écoféminisme est donc un mouvement qui vise à reconstruire une société où toutes les richesses et le pouvoir ne seraient pas détenues par 1% de la planète.
À ce jour, le nouveau rapport du GIEC annonce de nombreuses catastrophes climatiques, des inondations et des feux de forêts ont sévi tout l’été dans le monde, un séisme a encore ravagé Haïti faisant un million de victimes et l’arrivée des talibans à Kaboul menacent gravement les droits des femmes en Afghanistan.
Il est donc impératif d'agir vite et sur le long terme pour limiter au maximum les effets des crises sociales et écologiques qui entraînent toujours plus de femmes dans une grande précarité. J’espère de tout cœur que les sphères de décision auront bientôt le courage de mener une politique qui prendra bien en compte les 99% de la population.
À notre échelle en France, les élections de 2022 seront déterminantes. Pourtant, une grande majorité de la population a très justement perdu confiance en nos dirigeants. Nous manquons hélas cruellement de rôles modèles en politique et encore plus féminins.
Seulement, si toutes les personnes conscientes des risques à venir se désinvestissent de la politique et du rôle de citoyen·ne, nous risquons de vivre des heures sombres.
Mettre en place un avenir meilleur qui prendra en compte les 99% de la population nécessite du courage, mais tout n’est pas perdu. Il est encore temps d'agir. J’ai l’espoir que nous pouvons encore changer les choses. Pour cela, nous avons besoin de toutes et de tous. Comme le dit Sandrine Rousseau « Utopistes debout, oui les temps changent ! ».
Vous intervenez cette année à l'édition 2021 du festival Empow'her, qu'allez-vous y faire et qu'espérez-vous éveiller dans les consciences de chacun.es ?
Le festival Empow'her est un bel écho aux combats de toutes les femmes permettant de prendre conscience du pouvoir que nous avons pour changer le monde.
De mon côté, j’y interviens dimanche 19 septembre à la clôture des conférences en plénière, lors de la table ronde “Les sorcières ou la réappropriation d’un mythe”.
Cette rencontre sera l'occasion d'honorer les dizaines de milliers de femmes condamnées au bûcher il y a quelques siècles. Ces féministes de l’époque sont effectivement devenues aujourd’hui des figures de proue du mouvement écoféministe. Nous voyons notamment se multiplier des slogans lors de rassemblements féministes qui prônent “Nous sommes les petites-filles des sorcières que vous n'avez pas brûlées". Des collectifs féministes militants comme Witch Bloc érigent leurs chapeaux pointus en manifestation et de nombreux ouvrages sortent à ce sujet comme le célèbre livre Sorcières, la puissance invaincue des femmes de Mona Chollet.
La réappropriation de la figure de la sorcière porte en elle un héritage historique permettant de comprendre les origines du fameux système d’oppression patriarcale que les écoféministes cherchent à déconstruire. Comme l’explique Silvia Federici dans son ouvrage Caliban et la sorcière - Éditions Entremonde, la pratique de la chasse aux sorcières est tristement toujours d’actualité. Depuis les années 1990, des dizaines de milliers de femmes dans le monde sont incriminées de sorcellerie, victimes d'accusations, de tortures, d’expropriation et de meurtres. Ces féminicides sont le résultat d’une société qui se délite, fragilisée par un système économique qui favorise les richesses individuelles au détriment de la solidarité des communautés locales.
Il est important de rappeler que les droits des femmes sont encore loin d’être acquis dans de nombreuses régions du monde. En parler dans un festival comme Empow'her permet de s’assurer que le féminisme ne perde pas sa définition, qu’il ne devienne pas juste un hashtag à la mode servant les femmes des pays du Nord.
Enfin, comme le dit Fia Maureen Kakou, poétesse et artiste ivoirienne dans son poème Sororité : “Plus que jamais, les femmes se doivent de mêler leurs feux. Des femelles dont les feux se mêlent, pour flamboyer côte à côte, et ainsi brûler le patriarcat qui continue de brûler nos sorcières. Nous, sorcières. Nous, sœurs fières ! Soyons la lumière de par notre commune puissance, en conjuguant nos incandescences, que rien ne peut éteindre.” [Extrait de Sororité - Poème de Fia Maureen Kakou, publié dans Après La Pluie - Horizons écoféministe, Tana édition 2020].
Retrouvez Solène Ducrétot au Festival Empow’her.
Infos pratiques
- Les vendredi 17, samedi 18 et dimanche 19 septembre 2021
- A La Cité Fertile (14 avenue Edouard Vaillant) - 93500 Pantin
- Pour connaître toute la programmation : cliquez ici
- Le Festival Empow’Her est un événement gratuit mais un ticket d'entrée est nécessaire pour y accéder : je réserve ma place