Cet article a été publié dans le magazine FemininBio #17 juin-juillet 2018
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Depuis que mon livre est sorti, la question est rituelle: "Mais finalement, qu’est-ce qu’une sorcière?" Et chacun d’y aller de sa supposition ou de son image toute faite, qui va de la guérisseuse sensuelle à la révolutionnaire gothique.
Et moi, à chaque fois, de décevoir les un(e)s et les autres: les sorcières que l’on a brûlées en Europe pendant plusieurs siècles, et particulièrement durant la Renaissance, sont mortes pour une raison principale, parce qu’elles étaient des femmes.
Oui, certaines d’entre elles étaient détentrices d’un savoir thérapeutique, oui, d’autres possédaient des pouvoirs, certains politiques d’autres énergétiques.
Mais dans ce monde en mutation, il ne faisait pas bon être une femme. Avant tout.
La Renaissance, un tournant qui coupe l'homme de son être
Ce qu’il importe de comprendre, selon moi, est que la Renaissance a été le commencement de la mise en place du monde d’aujourd’hui.
Un monde (encore plus) hiérarchisé, centralisé, patriarcal, compétitif, capitaliste, mécaniste. Il est bien normal que nos livres d’histoire, porteurs de l’idéologie dominante actuelle, en aient fait une période de transformation positive.
Pourtant, après avoir enquêté, après d’autres, sur ce passage de l’histoire, je constate qu’il correspond à quatre ruptures fondamentales.
Quatre points de ruptures
L’être humain se trouve coupé du ressenti de son propre corps avec l’arrivée d’une médecine dispensant sa science d’en haut, avec un contrôle de plus en plus contraignant de la sexualité sous l’effet des réformes protestantes et catholiques.
Il se retrouve aussi coupé de ses semblables car le risque de se faire dénoncer comme sorcier ou sorcière pousse chacun à se méfier des autres.
De plus, il est coupé de la nature avec la fin des rites marquant le cycle des saisons et les prémices de l’industrialisation.
Enfin, la dernière rupture concerne la fin de l’immanence, conception selon laquelle la valeur sacrée réside dans chaque élément du monde sans y être apportée par un dieu qui lui serait extérieur.
L’immanence, qui avait survécu au catholicisme à travers les pratiques et les croyances qu’incarnaient entre autres les sorcières, ne résiste pas à la mise en coupe réglée de la culture populaire qui se joue alors et s’est prolongée jusqu’à maintenant.
Renouer avec les vraies valeurs
Mon hypothèseest que nous sommes aujourd’hui en train de connaître collectivement le virage inverse.
La médecine est largement tombée de son piédestal, tout comme les dogmes religieux. Le monde capitaliste et patriarcal est de plus en plus contesté et nous prenons conscience des dégâts irréparables causés par sa course perpétuelle en avant.
Nous est alors proposée l’opportunité de renouer avec ce à quoi nous avions renoncéil y a quelques siècles.
Renouer avec notre propre corps, en faisant confiance à notre ressenti; renouer les uns avec les autres en apprenant la coopération, l’intelligence collective et peut-être et surtout la confiance; renouer avec la nature en la respectant, en la célébrant, en la découvrant; renouer enfin avec la transcendance, une spiritualité intime, singulière, personnelle, qui n’a pas besoin du cadre du dogme, même si on peut aussi faire le choix de l’exprimer dans une religion spécifique, chacun étant libre de choisir ce qui lui sied.
L'importance des rituels
C’est ici que les rituels ont toute leur place. Car si à travers eux nous célébrons notre corps, notre essence, notre puissance, nous honorons aussi la rencontre avec les autres à travers la danse, le chant ou simplement la présence, la coopération dans la construction d’un autre monde.
Il existe aussi de nombreux rituels en lien avec la nature, le rythme de la lune et des saisons, par lesquels nous pouvons exprimer notre reconnaissance, notre gratitude et notre joie.
Enfin, par certaines initiations ritualisées, nous accédons à la dimension sacrée de l’existence, en célébrant humblement l’hypothèse d’un possible qui dépasse notre ego.
La magie, une fête de la vie
La magie est un jeu sérieux et un art joyeux. C’est une fête de la vie, du temps qui passe, des saisons qui se succèdent. C’est une célébration du corps, de la rencontre, de la sensualité. Une ode à la joie, à l’incarnation.
C’est un art qui utilise l’intuition pour se connecter et l’imagination pour participer à la dynamique créative qui unit l’être humain aux différents milieux dans lequel il évolue.
C’est une manière puissante de prendre sa vie en main, de déterminer ce que l’on veut vraiment, en profondeur, et de s’en donner les moyens.
Grâce à elle, acteurs de nos vies, au cœur du monde et en lien avec la nature, c’est tout un espace de jubilation et de subversion que l’on s’autorise à laisser émerger puis grandir.
"Une sorcière est une femme de Pouvoirs"
Alors, lorsque l’on me pose la fameuse question évoquée en introduction, j’ai coutume de répondre: "Une sorcière, c’est une femme de Pouvoirs."
Et chacun de froncer les sourcils: je dois alors expliquer que le Pouvoir avec un grand "P" n’est pas celui que l’on attribue aux dirigeants du CAC40 ni aux hommes politiques. Non, le Pouvoir est celui que l’on possède tous au cœur de soi et qui ne demande qu’à émerger afin d’agir au monde de la manière la plus juste pour soi.
Une sorcière, c’est quelqu’un qui ose exprimer son ou ses pouvoirs, et qui peut aider, le cas échéant, les autres à exprimer le leur. Ce pouvoir de l’intérieur. Celui-là qui n’a rien à voir avec l’abus de pouvoir auquel nous sommes tellement habitués.
Oser penser par soi-même
C’est pourquoi j’ai la conviction que les sorcières et les sorciers d’aujourd’hui ne sont pas nécessairement là où on croit les trouver, qu’ils ne portent pas forcément des chapeaux pointus ni ne dansent tout nus dans les prés.
Elles et ils sont surtout ceux qui osent déranger, être "trop", penser par eux-mêmes, hors du cadre, défier les différentes formes d’autorité, interroger le monde, repenser la démocratie, soigner sans avoir le blanc-seing de la faculté, jouir de la vie même si c’est hors des cadres préétablis.
Ceux qui aspirent à la liberté quel que soit le prix à payer: les lanceurs d’alerte, les hackeurs, les audacieux, les désobéissants. Ceux qui veulent réenchanter le monde à leur manière: les créateurs, les artistes, les poètes.
Les soeurs sorcières
De très nombreuses femmes sont probablement aussi sorcières, car il me semble que chacune sent au fond d’elle-même être détentrice d’un pouvoir spécial, capable de donner la vie, donc la mort aussi.
En échangeant, en partageant la singularité de leur condition, en se reconnaissant comme sœurs et non plus en se comparant, elles renforcent un tel pouvoir et la joie qui en découle.
Détrôner la raison pour l'intuition
Ce sont aussi toutes ces personnes qui s’engagent pour une économie et un savoir partagés, comme la professeure de sciences politiques Elinor Ostrom qui réinvente les biens communs et devient prix Nobel d’économie.
Dans cette nouvelle vision du monde, les valeurs relationnelles – la sensibilité, l’intuition et l’imagination créatrice – retrouvent un rôle central qui leur avait été dénié.
Le processus d’empowerment du rituel et de la magie vise alors à développer le potentiel de chacun afin de s’émanciper de l’emprise exercée par l’hégémonie de la raison et des différents excès de la société de consommation.
Il nous permet de nous réapproprier notre corps, notre savoir, notre connaissance, notre vie, afin de les propulser dans une nouvelle direction que nous aurons nous-mêmes choisie.
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