Autrefois décriés comme de dangereux dénonciateurs, les "lanceurs d’alerte" ont progressivement trouvé grâce aux yeux des médias et de l’opinion publique, et ce notamment en raison de l’action d’associatifs engagés à leurs côtés. Ainsi, près de vingt-trois ans après l’introduction du terme "lanceur d’alerte" en langue française, celui-ci est aujourd’hui presque devenu un lieu commun dans l’espace médiatique, si bien que se sont retrouvées affublées du qualificatif des personnalités aussi diverses que Luther (à titre posthume), Juliette Binoche et… Gaston Lagaffe !
Une figure à protéger
Pourtant, on ne s’improvise pas lanceur d’alerte, on le devient "malgré soi" en raison d’un conflit de conscience, lorsque ce dont on est témoin sur son lieu de travail ou de vie entre en telle contradiction avec l’intérêt public que se taire n’est plus une option envisageable.
Souvent assimilé au "diseur de vérité" de l’Antiquité grecque, le lanceur d’alerte est ainsi exposé à des représailles en raison de l’information qu’il porte sur la place publique ou auprès des autorités, d’où la nécessité de protéger celui-ci. Reste à savoir pourquoi et comment répondre à cette nécessité, ce qui implique d’avoir un idée précise de ce qu’est une alerte et de qui peut bénéficier du statut protecteur de "lanceur d’alerte".
Une figure à définir
Une première réponse consiste à affirmer qu’est "lanceur d’alerte" tout individu qui s’expose à des risques pour avoir signalé aux autorités ou pour avoir rendue publique une information sur une violation de l’intérêt général au sens large.
Cette conception, qui apparaît dès 1971 sous la plume de l’avocat et activiste américain Ralph Nader, s’attache à combler un vide législatif et à remédier à la vulnérabilité de celui qui lance l’alerte en améliorant sa protection au sein de son organisation.
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Cette conception, qui limite généralement le statut de lanceur d’alerte aux salariés du secteur public ou privé, cherche à favoriser la citoyenneté d’entreprise et à encourager les salariés à dénoncer les abus dont ils prennent connaissance sur leur lieu de travail, et vient compléter les failles du statut juridique de "témoin".
Il s’agit ainsi de permettre à ceux qui dénoncent des faits contraires à l’intérêt général ou à l’éthique, mais qui ne constituent pas des délits ou des crimes, de bénéficier d’une protection. Pour distinguer délation et lancement d’alerte, les législations exigent généralement que les lanceurs d’alerte soient de "bonne foi", c’est-à-dire qu’ils n’aient pas lancé l’alerte dans le but exclusif de nuire ou en diffusant sciemment et en connaissance de cause une information fausse.
Une définition plus large
Une autre conception, plus large, consiste à se focaliser non sur le lanceur mais sur l’alerte. Le lanceur d’alerte désigne alors toute personne qui détient une information susceptible de contribuer à un débat public d’importance et/ou de vitaliser la démocratie en fournissant au public des informations inédites ou de nature à susciter une polémique d'intérêt général. Sous l’empire d’une telle définition, des journalistes, des collectifs de citoyens ou de riverains et, plus largement toute personne en possession d’informations d’intérêt général, sont susceptibles d’être qualifiés de lanceurs d’alerte.
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Proche sur de nombreux points de la précédente, la conception du lancement d’alerte portée par les sociologues Chateauraynaud et Torny souligne d’ailleurs que le lanceur d’alerte ne cherche pas tant à dénoncer un comportement qu'à pointer les signaux avant-coureurs d’une catastrophe, dans l’espoir que les pouvoirs publics se saisissent de l’alerte, analysent la réalité de ce que est dénoncé afin d’y mettre un terme pour protéger les populations. Ce qui importe alors, c’est que les pouvoirs publics et la société au sens large se saisissent des alertes.
Ces deux conceptions ne s’excluent évidemment pas, et la loi Sapin II, en dépit de défauts majeurs, protège "toute personne physique" qui lance l’alerte, sans restreindre la protection aux seuls salariés.
Des représailles qui perdurent
Ce qui unit ces deux conceptions, c’est surtout qu’en dépit de l’image désormais positive véhiculée à propos des lanceurs d’alerte, les représailles à leur égard n’ont pas cessé. Hier comme aujourd’hui harcèlement, agressions, pressions, procès, licenciement restent le lot commun de ces courageux individus. Isolés et fragilisés, ceux-ci passent souvent par une phase de grandeprécarité et de vulnérabilité.
Si les lanceurs d’alerte continuent à faire l’objet de représailles pour avoir agi dans l’intérêt général, c’est en partie parce que le droit n’est pas pleinement adapté à leur protection. En effet, si la loi Sapin II a posé les jalons d’une protection des lanceurs d’alerte en protégeant ceux-ci contre l’ensemble des mesures de rétorsion pouvant les viser, cette protection reste enserrée dans des conditions relativement strictes.
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Surtout, faute d’autorité indépendante capable d’accompagner les lanceurs d’alerte et d’agir à court terme pour réinstaurer ceux-ci dans leurs droits, ils n’obtiennent souvent gain de cause qu’à l’issue de nombreuses années de combat. Entre temps divorces, dépressions, faillites, perte d’emploi restent le lot quotidien des lanceurs d'alerte.
Les lanceurs d'alerte ne sont plus seuls
Convaincus qu’agir en faveur de l’intérêt général ne devrait pas conduire à être mis à l’index mais – au contraire ! – à être protégé et reconnu, dix-sept associations et syndicats ont créé, le 22 octobre 2018, une "Maison des Lanceurs d’Alerte". Initiative unique au monde, la Maison des Lanceurs d’Alerte s’attache à apporter aux lanceurs d’alerte une aide individuelle juridique, technique, financière, sociale, psychologique et médiatique. Face à une législation souvent très complexe et peu compréhensible, il est difficile pour les personnes souhaitant lancer l'alerte de savoir quelles démarches accomplir.
La Maison travaille donc avec une équipe de juristes afin d'aider ces personnes à connaître leurs droits et les protections dont elles bénéficient, et œuvre à rétablir ceux-ci dans leurs droits, lorsqu'ils font d'ores et déjà l'objet de représailles en raison de leur action, et à leur apporter une aide technique pour communiquer de manière confidentielle lorsque cela est nécessaire. Outre cet accompagnement juridique, la Maison fournit aux lanceurs d'alerte un accompagnement psychologique et social et organise des campagnes de collecte de fonds afin de les accompagner financièrement.
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Toutefois l’aide individuelle n’est pas suffisante ; pour améliorer la situation des lanceurs d’alerte sur le long terme, il faut changer la loi. La Maison des Lanceurs d’Alerte s’attache donc à poursuivre des activités de plaidoyer afin de faire changer la loi en mobilisant l'opinion publique, afin de rendre les dispositifs de protection des lanceurs d'alerte plus efficaces. En complément, elle forme aussi tous ceux qui travaillent aux côtés des lanceurs d’alerte pour qu'ils puissent les accompagner au mieux.
Au-delà de cette initiative, soulignons que c’est la société toute entière qui devra, à terme, se saisir de la protection de personnes qui, trop souvent seules sur le front de l’intérêt général et de la démocratie, sont exposés à mille dangers.