Considérées comme des maladies à part entière, les troubles de l'alimentation (boulimie, anorexie mentale, accès hyperphagiques), touchent principalement les femmes. Enfermées dans le cercle infernal, les malades alternent périodes de "gavage" et restriction drastiques. Ayant elle-même souffert de ces troubles, Catherine Gourevitch s'en est sortie en prenant conscience du lien entre nutrition et gestion des émotions.
FemininBio : Quel a été le processus de votre conversion dans la nutrition ? Par intérêt et/ou expérience personnelle ?
Catherine Gourevitch : Mon processus de conversion dans la nutrition est venu de mon expérience personnelle et plus particulièrement des réalisations que j’ai pu faire pendant mon parcours de guérison d’un trouble alimentaire. J’ai en effet souffert pendant de nombreuses années de boulimie sévère. Grâce à mon travail avec un coach en nutrition, j’ai heureusement fini par comprendre que les crises remplissaient plusieurs fonctions : celle de calmer un inconfort émotionnel, mais également celle de fournir à mon corps les lipides et les glucides complexes dont je le privais le reste du temps par peur de grossir. Cette révélation a été clé : espérer guérir d’un trouble alimentaire avec un corps en carence est illusoire. L’instinct de survie de celui-ci sera toujours plus fort et il continuera de réclamer ce dont il a besoin.
La réintégration d’aliments que je m’interdisais a eu un impact décisif dans la disparition des crises de boulimies. Selon moi la première chose à faire pour se sortir du cercle infernal des TCA est donc d’accepter de lui fournir tous les nutriments essentiels à son bon fonctionnement. Mais quels sont-ils et quel rôle jouent-ils exactement ? Ma motivation pour guérir s’est alors transformée en une quête d’informations sur la nutrition et j’ai décidé de m’inscrire au Institute for Integrative Nutrition, l’école New Yorkaise auprès de laquelle mon coach s’était lui-même formé.
Le principe de votre programme repose sur le lien entre l'alimentation et les émotions. Peut-on dire que les troubles du comportements alimentaires (TCA) trouvent leur origine dans cette inhérence ?
En théorie, l’ingestion d’aliments est une réponse aux besoins nutritionnels de notre corps pour assurer un fonctionnement optimal de nos organes. En pratique, notre manière de nous alimenter reflète bien plus que notre appétit : nous sommes les seuls animaux à cuisiner notre nourriture et à la détourner ainsi de sa fonction première. Les repas sont synonymes de plaisir et de convivialité et nous avons tous associé certains goûts – souvent le sucre et le gras – à un sentiment de réconfort ancré dans des souvenirs d’enfance.
"Les personnes qui souffrent de TCA sont de nature hypersensible"
Les personnes qui souffrent de TCA sont de nature hypersensible, c’est-à-dire que l’amplitude de leurs émotions est plus grande que la moyenne, et que la potentialité des facteurs déclencheurs est démultipliée. Un événement mineur, une remarque anodine pour d’autres, une simple pensée négative suffisent souvent à provoquer une réponse émotionnelle qu’on pourrait qualifier de « disproportionnée » et engendrent un état anxieux très inconfortable. Le cerveau va alors chercher des moyens de remédier à cet état, et le réconfort que nous associons à l’ingestion de nourriture apparaît comme une solution immédiatement disponible.
En effet lorsque nous mangeons, notre corps produit plusieurs hormones et notamment de la sérotonine – hormone du plaisir – qui va apporter un soulagement temporaire. Ce « succès » va être enregistré et lorsqu’une telle situation se reproduira, le recours à ce mécanisme compensatoire qui consiste à ingérer très rapidement une grande quantité d’aliments s’imposera progressivement.
Ces périodes de « gavage » alternent souvent avec des phases de restriction drastique ou de vomissement des aliments caloriques dans une tentative de reprise de contrôle. Cette famine artificielle va inciter le corps à se défendre en réclamant férocement les nutriments dont on le prive. Des fringales irrépressibles apparaissent. Parallèlement la honte et la culpabilité ressenties renforcent les croyances négatives et amplifient terriblement l’anxiété. Pour pallier à ces émotions pénibles, l’individu touché cède à nouveau aux pulsions qui le tenaillent : c’est le cercle infernal des TCA.
De ce point de vue on peut donc dire que les troubles alimentaires trouvent leur source dans le lien qui existe entre émotions et alimentation. Heureusement cette même inhérence induit qu’en travaillant sur l’un, on peut agir sur l’autre. C’est cette certitude mais aussi et surtout les actions menées lors de mon propre processus de guérison que je transmets désormais aux personnes qui suivent mon programme. Il s’agit de désapprendre les mécanismes qui se sont mis en place en donnant au cerveau des options vertueuses et pérennes pour gérer les émotions et sortir de ce cercle infernal.
"L’existence d’une prédisposition biologique est un élément explicatif à ne surtout pas négliger"
Je me dois cependant de faire une précision importante. L’existence d’une prédisposition biologique est un élément explicatif à ne surtout pas négliger au regard des nombreuses études qui ont été menées sur le sujet. On retrouve en effet chez les personnes concernées un pourcentage largement supérieur à la norme de troubles de l’humeur telles que la bipolarité et la dépression à des degrés très divers. Ces troubles sont eux-mêmes la résultante d’anomalies des médiateurs chimiques au niveau du cerveau qui empêchent, perturbent ou retardent la régulation des émotions. C’est la raison pour laquelle une médication appropriée facilite souvent le traitement des TCA et que j’encourage les personnes concernées à rencontrer un professionnel de santé si elles ne l’ont pas déjà fait.
En quoi la nutrition, la santé et le développement personnel sont-ils liés ?
Il est facile de comprendre que la nutrition est au cœur de notre santé lorsque l’on sait que les cellules de presque tous nos organes se renouvellent entièrement plusieurs fois au cours de notre vie. Oui, nous devenons ce que nous mangeons et il est donc bien opportun de fournir à notre corps ce dont il a besoin. Or, l’apparition de l’agriculture et notamment l’introduction des céréales et des sucres rapides a bouleversé notre régime alimentaire jusque-là principalement constitué de végétaux, de produits carnés et d’insectes. Conséquence : notre organisme peine à s’adapter et on associe aujourd’hui à une mauvaise alimentation une liste de maladies qui ne cesse de s’allonger : diabète, obésité, cancers, maladies chroniques et auto-immunes, Alzheimer, autisme etc. Lorsque nous nous nourrissons mal, c’est l’intégralité de notre corps qui est impacté.
"Notre instinct nous pousse avec la même force vers ce qu’on appelle « la quête du bonheur. »"
Mais alors, suffirait-il de suivre un régime alimentaire « parfait » pour se prémunir de tous les maux des temps modernes ? La formule se complique lorsque l’on réalise que l’Homme est un animal à part de toutes les autres espèces. En effet nous sommes les seuls pour qui la perpétuation de l’espèce n’est pas l’unique et ultime but. Notre instinct nous pousse avec la même force vers ce qu’on appelle « la quête du bonheur. » Ainsi, il n’est plus à démontrer les effets du stress, de la dépression et de la solitude sur la santé. Vous pouvez manger tout le chou kale que vous voulez, si vous détestez votre travail, que vous êtes dans une relation toxique ou au contraire très isolée, fort est à parier que vous développerez tout de même des problèmes de santé.
C’est donc vers un équilibre entre nutrition et développement personnel que nous devons tendre et cette équation est propre à chacun. Lorsque l’on soigne un trouble alimentaire, il est donc primordial d’appréhender la personne dans sa globalité et de l’aider à remettre du sens et de l’intention dans ses actions. Quels sont les rêves qui l’animent ? Qu’est-ce qui l’empêche de les atteindre ? Que peut-elle faire dès maintenant pour avancer dans cette direction ? C’est lorsque nous nous épanouissons dans notre vie que l’alimentation peut enfin reprendre sa place et remplir sa fonction première : garder notre corps en bonne santé.
Quelles sont les règles de base pour "dompter" son cerveau et retrouver une alimentation qui respecte nos besoins ?
Pour dompter son cerveau et retrouver une alimentation qui respecte nos besoins il est important de comprendre son fonctionnement. Notre cerveau a gardé des réflexes d’un temps très ancien où nous ne connaissions pas la sécurité d’aujourd’hui. Il cherche en permanence à nous protéger et dès que nous essayons de déroger à notre routine, quand bien même ce changement serait bénéfique pour notre santé, il est interprété comme une menace. C’est pourquoi il est si difficile de modifier une habitude même si celle-ci dessert nos objectifs.
Pour faire cesser cette résistance systématique, il faut être capable de la reconnaître pour ce qu’elle est - un simple mécanisme de défense - accepter l’inconfort émotionnel temporaire qu’elle crée, et aller au bout de ce qu’on peut appeler « une action intentionnée et courageuse ». Ce n’est qu’en expérimentant que l’on finit par dissoudre ses craintes. Une fois notre cerveau rassuré par quelques répétitions de cette action qui n’aura finalement engendré aucun traumatisme - par exemple, opter pour un plat riche en légumes et glucides complexes plutôt qu’un burger de fast-food - ce qui était source d’anxiété s’inscrit désormais dans notre zone de confort élargie et il devient très facile de faire les bons choix alimentaires.
Là encore, l’apprentissage de la gestion de ses émotions notamment par un travail de pleine conscience et d’exercices très simples de respiration se révèle clé. Grâce à ces méthodes très abordables et pleines de bons sens, il est possible de s’entraîner à reconnaitre ces mécanismes afin de les contourner et d’agir enfin dans notre meilleur intérêt.