Cet article a été publié dans le magazine FemininBio #17 juin-juillet 2018
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Il était une fois, au cœur de la forêt de Brocéliande, le Centre de l'Imaginaire Arthurien et le château de Comper, perché sur le bord du lac de la fée Viviane... À peine une heure d'échanges suffit à Claudine Glot pour nous transporter au rythme des histoires merveilleuses qu’elle a si souvent contées. Ces récits, issus de la tradition orale, ont d’abord été transcrits par des femmes,bannies de la “grande littérature”, alors réservée aux hommes. C’est par l'oralité, donc, que la fée et la mythologie celtique sont apparues en France au XIIe siècle, sous l'impulsion notamment de Marie de France.
Quelques figures féminines emblématiques
Tout d'abord, Mélusine. C'est un personnage à forte polarité féminine, nous explique Claudine Glot : "Condamnée par sa mère à être serpent un jour par semaine, elle le passe cachée pour ne pas être jugée sur son apparence. Son mari brise la promesse de ne pas la voir ce jour-là et la condamne à s’enfuir, le cœur brisépar la trahison. Cette femme, qui vient distribuer ses bienfaits à l’homme, ne reçoit en retour que de l’ingratitude et un sort funeste." Bien que très actuelle, cette réflexion sur la femme a été écrite au milieu de la guerre de Cent Ans ! Ce personnage existe aussi dans d'autres cultures, une récurrence qui pourtant ne relève pas de la "contamination culturelle". Pour la spécialiste, ces récits créés en différents endroits ont répondu aux mêmes besoins et aux mêmes interrogations de l'homme au fil du temps.
Ensuite, Morgane, la demi-sœur magicienne du roi Arthur, recèle une identité complexe. La littératurela qualifie tantôt de bénéfique, tantôt de maléfique.
L'autre personnage cher à Claudine Glot et qui se dévoile au fil des lectures enchantées est celui de Guenièvre, de par son côté guerrière.
Femmes libérées
Tous les contes celtiques révèlent la toute-puissance de la femme. Le personnage de la fée, notamment, porte une image populaire et a un impact sociétal. Il est l’expression de la nature du désir féminin et également une représentation de son envie de liberté. Selon notre spécialiste, la féerie ne se résume pas aux paillettes mais dévoile la femme de destin qui connaît les secrets de la nature tout en restant vulnérable.
Les fées abritent toutes une forme de sacralité, qui passe d'ailleurs rarement par la maternité, mais plutôt par le désir et le corps. Leur présence féminine surnaturelle les rend garantes de la fertilité sans avoir besoin d'en donner l'exemple. Et c'est là que la fée contribue à répondre au positionnement des femmes dans notre société, dans cette liberté qui chemine, notamment celle de se reproduire ou pas.
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Outre les fées, d'autres personnages féminins ont un impact fort dans l'ordre social. Ces femmes qui ont dans leurs mains le destin des hommes. En effet, les contes portent une connotation masculine très forte, rythmés par des batailles dont les hommes sont les héros. Mais, en arrière-plan, ce sont les personnages féminins qui traversent le temps, à tel point qu'un roi n’est sacré roi que lorsqu'il épouse une reine. Dans les romans celtiques, la reine Guenièvre en est une parfaite représentation. Ils sont des dizaines à l’enlever pour qu’elle devienne leur compagne et ainsi leur permettre d'accéder au sacre de la royauté.
Le rôle de l'eau dans la mythologie celte
Il est fascinant de constater que tous ces personnages féminins manipulent l’eau. La fée Viviane est la plus associée à cet élément. Merlin la rencontre près d’une fontaine, puis il lui apprend à jouer avec l'eau et à faire apparaître une rivière. De plus, son palais est caché sous les eaux. Pour Morgane, le royaume est une île. Ainsi, quand elle se retire, elle est isolée dans un pays entouré par ce fluide symbolique. Quant à la reine Guenièvre, dont le nom est vraisemblablement issu du mot gallois "gwenhwyfar", qui signifie "blanc-fantôme", elle apparaît, comme les fées, souvent près de l'eau.
L’eau est donc omniprésente dans les légendes de Brocéliande, soit dans des proportions gigantesques, comme la mer, une rivière, ou un lac, soit comme vecteur de pouvoir. Parfois, ce liquide est représenté sous forme de vin, comme celui se trouvant dans la coupe donnée à boire. Ainsi, nous conte Claudine Glot, "dans l'histoire de la fondation de Marseille, le pouvoir de la fille du roi est de donner au jeune homme qu’elle a choisi une coupe à boire le jour des fiançailles. S'il boit le liquide contenu dans la coupe, l’union est effective". La symbolique est similaire pour la reine Guenièvre, qui choisit Arthur parmi une troupe de guerriers ; cette transmission à travers l'eau est le témoin de la puissance et de la liberté de la femme.
L’eau, un rituel de passage
Depuis la nuit des temps, l'eau est un passage obligatoire à franchir pour accéder à l’Autre Monde. Ainsi, au travers d'une chute dans l'eau ou alors accompagné d'un passeur, un personnage se retrouve dans le royaume de l'au-delà parfois sans bien comprendre de quelle manière il est arrivé là. À noter que tous les châteaux de contes de fées, qu’ils soient maléfiques ou bénéfiques, sont entourés d'une douve ou se trouvent non loin d'une rivière.
Le symbole se retrouve dans l'histoire du départ du roi Arthur pour l’île d’Avalon, après sa dernière bataille. "Les fées, dont Morgane, viennent chercher le roi mourant pour l’amener sur leur île. Il ne reste qu’un seul écuyer qui accompagne le roi, celui qui est allé jeter l’épée Excalibur dans un lac. Lorsqu'il revient vers le roi, la barque des fées arrive. Un rideau de pluie se dresse alors entre les deux mondes. L’écuyer reste dans le monde des hommes et le roi par tvers celui des fées. Le passage au travers de l’eau pour le monde des fées est ici à la fois vertical (la pluie) et horizontal (le lac) ", nous explique Claudine Glot.
Renaître grâce à l’eau
Base sacrée de toute vie matérielle et spirituelle, l’eau se retrouve dans les rites religieux, comme le baptême chrétien ou les ablutions pratiquées en Inde. Il existe une mystique de l’eau et une mystique des eaux sacrées qui traversent les âges.
Dans nos vies actuelles, nous avons accès, grâce à une douche ou un bain, à ce miracle de pouvoir nous verser de l’eau sur le corps pour emporter souillure et fatigue. La force rituelle de cet acte, oubliée par l'habitude, permet de réinitialiser le corps et l’esprit et, lorsque l'on en prend conscience, de réenchanter notre quotidien par son impact bienfaisant.
Le rôle du conte dans la compréhension du monde
Claudine Glot nous confie ressentir un devoir de transmission par l’écriture, ce rite de passage qui apporte la lumière et l'étrangeté nécessaires à notre vie. Car le conte nous permet de basculer du réel à l’imaginaire en créant des êtres intermédiaires afin de nous rassurer, de donner forme à des phénomènes innommables et d'expliquer ce monde. Le conte, par sa forme accessible, renoue avec quelque chose de très ancien chez chacun d'entre nous.
Au Centre de l’Imaginaire Arthurien, des balades contées sont proposées dans la forêt de Brocéliande, et l’après-midi dans le cadre majestueux du château de Comper, qui ajoute de la magie à l'histoire. En effet, le conte est une longue mémoire, une réflexion, mais c’est surtout et avant tout un plaisir comme aime à l'exprimer Claudine Glot : "Le conte permet de rouvrir l'âme et de basculer, le temps de la lecture, dans un autre monde."
Notre experte :
Claudine Glot est l'auteure d'une longue bibliographie sur la mythologie celte. Elle est aussi la cofondatrice du Centre de l’Imaginaire Arthurien, qui propose de nombreuses activités au château de Comper (56).