Mise à jour du 17 mai 2017: Nicolas Hulot a été nommé ministre de la Transition écologique et solidaire au sein du gouvernement du Premier ministre Edouard Philippe. Nous l'avions rencontré en 2013.
En tant qu’envoyé spécial pour la protection de la planète, vous cherchez à mobiliser les politiques du monde entier sur les questions environnementales. Est-ce une mission politique ou humaniste ?
Ma mission est politique, au sens où je cherche à convaincre les acteurs qu’il est urgent de repenser le fonctionnement de nos sociétés. Elle est aussi humaniste car c’est la première fois que l’humanité se trouve confrontée à un enjeu universel. Le message que j’essaie de faire passer, c’est qu’au-delà de nos différences, quelles qu’elles soient, nous sommes tous liés. Personne ne peut imaginer tirer son épingle du jeu seul. Il n’y aura que des gagnants ou que des perdants.
Vous rêvez d’une "démocratie adaptée", quelle serait-elle ?
On rêve d’une gouvernance mondiale, éclairée par des sages… Mais il faudrait définir la sagesse ! Il y a des personnalités qui font consensus, mais ce n’est pas tout. En réalité, ce n’est pas un problème de moyens. C’est une question de volonté, qu’il faut partager et coordonner afin de se projeter dans l’avenir autour d’objectifs collectifs, universels et de long terme. Il est temps de faire rentrer le futur dans la démocratie, tant au sein de chaque pays qu’à l’échelle planétaire.
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Quelles sont aujourd’hui vos grandes priorités écologiques ?
Il y a trois grands sujets qui m’importent. Le premier, c’est l’érosion de la biodiversité. La disparition d’espèces animales est un préjudice irréversible pour la planète. Nous ne sommes même pas capables de nous mobiliser pour des espèces emblématiques comme les éléphants d’Afrique, alors qu’en est-il pour toutes les autres ! Ma seconde priorité, c’est le changement climatique. C’est une menace diffuse mais elle aura des conséquences catastrophiques. Enfin, je m’inquiète de la raréfaction des ressources sur lesquelles repose la prospérité de l’humanité. La paix était déjà délicate, elle devient très fragile.
Sommes-nous tous responsables et quelle est la responsabilité de chacun : citoyens, politiques, industriels ?
Face à la complexité du problème, chacun doit prendre sa part de responsabilité. La première, c’est d’accepter l’idée d’un changement, ce qui est difficile en période de crise. Ensuite, pour changer, il ne faut pas pénaliser et surtout ne pas priver de liberté. Il faut au contraire laisser le choix mais l’orienter avec des incitations vers certaines solutions et des instruments de dissuasion qui en tarissent d’autres. Les politiques retrouveraient alors leur rôle d’organisation collective de la société. Ils ont un rôle crucial, car la volonté individuelle s’essouffle si elle n’est pas soutenue et encouragée.
Pensez-vous que les politiques n’aient pas conscience qu’un nouveau monde est en marche et qu’il s’organise tout seul, localement ?
Il y a des solutions qui émergent. Des changements sont en marche dans de nombreuses sociétés, et ces solutions sont souvent reproductibles. Le "down-top" est nécessaire mais il a ses limites. Si en même temps, le système continue sur sa lancée avec ses effets dévastateurs, les actions individuelles sont insignifiantes par rapport à l’impact global.
C’est pourquoi je pense qu’il faut agir sur tous les fronts, car si l’on veut que cela serve à quelque chose, il ne faut pas que ce soit écrasé par la lourdeur du système dominant. Qu’on le veuille ou non, les grandes dynamiques, les grandes trajectoires sont aujourd’hui celles du modèle capitalistique économique financiarisé. Il faut remettre de l’ordre, et pour cela il faut valoriser et multiplier toutes les initiatives qui existent déjà.
Pensez-vous qu’il soit possible d’arriver soudainement à une "bascule" du système venant des citoyens et des actions locales ?
Je dirais oui si nous avions le siècle pour revenir à un peu de sagesse. Il y a eu une prise de conscience. Des forces commencent à se mettre en marche et se rejoindront dans le futur. Le problème, c’est que nous n’avons pas de temps devant nous. Nous sommes au pied du mur, nous devons accélérer notre mutation. Il y a eu une prise de conscience et nous sommes passés de l’indifférence à l’impuissance. Cependant, j’espère me tromper dans la réponse que je vous donne.
Saint-Exupéry disait "Il n'y a pas de solutions, il y a des forces en marche : il faut les créer, et les solutions les suivent". Je prends souvent l’exemple du Printemps arabe : ils ont ouvert le champ des possibles et créé une sorte de démultiplication collective, une aspiration à l’équité. Les choses peuvent s’emballer. Mais en même temps, je vois bien les capacités de résistance du système économique et financier dominant qui est plus puissant que les pouvoirs politiques.
Pourquoi notre société peine-t-elle à s’élever, est-ce l’expression de nos "égos apeurés" comme le note Thierry Jansen ?
Nous avons aujourd’hui une dette écologique car nous avons inversé le rapport entre l’homme et la nature : désormais, c’est nous, humains, qui sommes le facteur déterminant. Nous avons aussi une dette démographique, car nous vivons plus longtemps et mieux, et nous avons une dette économique car nous vivons beaucoup à crédit. Le XXIème siècle doit prendre tout cela en compte. Nous avons du mal à l’accepter car cela nous oblige à remettre en cause le système sur lequel repose notre société.
Jusqu’alors, la croissance était la solution, elle devient le problème. De plus, nous avons pensé que s’affranchir de la nature était un gage de notre intelligence et de notre puissance. Or, de mon point de vue, plus on s’affranchit de la nature, plus on devient vulnérable. Il est donc temps de tracer un nouvel horizon commun. Cela nécessite une réflexion intellectuelle et philosophique pour en redéfinir les fins et les moyens or la majorité des intellectuels sont aux abonnés absents, tout comme un grand nombre d'hommes de foi. Ils ne font pas leur travail !
Est-ce aussi parce que la pensée dominante est focalisée sur l’argent ?
C’est vrai que l’on peut se demander si cela ne nous divise pas et si l’on ne confond pas souvent la fin et les moyens. L’argent tel qu’il existe aujourd’hui est le produit de l’esprit. On peut donc en repenser le sens mais aussi l’usage : peut-être est-il temps de ne plus se baser seulement sur le dollar, d’accepter des monnaies locales ou de développer des systèmes complémentaires... Il est temps de s’ouvrir jusqu’aux frontières de l’utopie !
L’écologie porte-t-elle cette utopie ?
Pas vraiment malheureusement. Nous sommes souvent dans le constat et le refus. Pourtant, l’écologie est une inspiration heureuse de la vie. Il faut dessiner un horizon, penser à ce que peut être l’épanouissement humain demain et incarner ce que l’on veut voir. J’ai souhaité acter ce changement en créant un think tank au sein de la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l'Homme. Son but est de dessiner l’avenir, un futur souhaitable réaliste, atteignable. Il faut garder une part de rêve.
Qu’est-ce qui a changé en vous ces dernières années ?
J’ai appris la complexité des choses, à écouter et à partager, à comprendre d’autres points de vue. Ce n’est pas parce que je pense détenir une vérité que je suis immédiatement compréhensible. Ce qui a changé aussi, c’est que je ne pose plus la question de savoir si ce que je fais va être utile. Je fais, j’agis. Peut-être parce que je crains un peu la réponse…
Nous ne sommes pas toujours conscients des forces qui se construisent, elles sont un peu comme l’eau qui peut rester longtemps sous terre avant de jaillir. Et puis, même si la partie la plus visible de l’humanité n’est pas forcément la plus séduisante, je rencontre des êtres magnifiques tous les jours.
Où puisez-vous votre source d’inspiration et votre énergie naturelle ?
Dans la nature. Je ne me lasse jamais de la découvrir. Je la regarde, je l’admire, je m’en émerveille encore à chaque instant. Je pense que le secret du vivant tient dans la beauté de la nature. Ce n’est pas un hasard si cette beauté est un langage universel. De part mon ancien métier, j’ai aussi pu voir, percevoir, sentir la rapidité des changements. Je pense que j’ai une conscience accrue et aigüe de l’urgence. Je m’appuie aussi beaucoup sur les personnes merveilleuses que je rencontre, avec lesquelles je travaille et qui me donnent la chance de transmettre.
Agissez-vous à l’intuition, à l’inspiration ?
Effectivement, je fonctionne beaucoup à l’intuition. Qu’est-ce qui fait qu’un jour j’ai décidé d’arrêter Ushuaïa et d’accepter une mission bénévole pour l’Elysée ? On m’a demandé toute sorte de choses dans le passé, j’avais refusé. Peut-être que le moment était venu de tourner la page d’Ushuaïa, que c’était cette mission qui m’allait bien. Je me surprends moi-même de certains choix que j’ai pu faire, mais sur le coup, ils m’apparaissent comme une évidence.
On entend souvent qu’il "faut se battre" pour les causes écologiques. Peut-on œuvrer dans la paix pour amener cette mutation si nécessaire de nos sociétés ? A l’instar de Gandhi, Vandana Shiva ou d’autres…
Il faut y croire et l’espérer ! Si la mutation ne se fait pas dans la paix, nous aurons échoué. Certes, nous avons eu recours à un vocabulaire martial, mais il ne faut pas s’arrêter au premier degré. Je suis très attaché à ce que l’on avance de façon pacifique. Le retour à la barbarie est extrêmement facile, même parmi les êtres les plus éveillés, les plus cultivés. J’en ai vraiment conscience et c’est pourquoi je m’engage entièrement. La paix et la démocratie sont des états fragiles.
Quelles leçons tirez-vous de votre échec à la présidentielle ?
Je me suis trompé dans ma façon de partir en campagne, peut-être un peu par faiblesse. Les gens en ont assez de la politique politicienne qui a perdu toute objectivité et qui préfère la consigne à la confiance. Or en me présentant à travers un parti politique, j’ai donné le sentiment que je réduisais mon engagement d’intérêt général à un engagement partisan.
Dans mon esprit, la distinction était claire, mais ce ne l’a pas été pour les électeurs. Cela a décontenancé beaucoup de gens car ils ne voyaient du coup pas l’intérêt de ma candidature. Je l’ai fait un peu par nécessité : j’avais besoin d’une force politique pour m’appuyer.
En réalité, j’aurais dû incarner jusqu’au bout la dimension d’intérêt général de mon engagement en me présentant sans demander le soutien de qui que ce soit. Je n’en tire aucune amertume, juste de l’expérience : cela m’a permis d’explorer une voie dans laquelle je ne retournerai pas.
Quel est le rôle des femmes dans ce nouveau paradigme ?
Il est essentiel. Je le dis en le pensant sincèrement. Dans ma fondation, 80% des salariés sont des femmes. Ca n’a pas été un critère de choix bien sûr, mais le fait est là. Je pense que la force des femmes leur vient d'une sensibilité plus spontanée. On est dans un sujet qui concerne la vie, le vivant. Les femmes sentent ce qui est crucial, vital.
Vous avez l’intuition du vivant, est-ce justement cette part de féminin qui est en vous ?
Nous l’avons tous, mais certains la dissimulent au prétexte que ce serait une marque de faiblesse. Je ne le pense pas du tout, au contraire. Lorsque je dis que la nature me parle, ce n’est pas un mot en l’air. Je la ressens. Que ce soit dans l’observation d’une plante, le spectacle des marées, l’œil d’une baleine ou en caressant un dauphin, il y a des choses qui passent. Pour moi, c’est une manifestation de l’unicité du vivant.
Avez-vous confiance dans la nature humaine, dans sa capacité à évoluer et même à être "évolutionnaire" ?
J’ai déposé mes illusions sur la nature humaine, c’est-à-dire que l’on ne peut plus me surprendre en mal. Depuis, je n’ai que des bonnes surprises ! Tous les jours, j’ai un geste, une rencontre et un échange qui m’émerveillent. D’ailleurs, s’il n’y avait pas tous ces beaux esprits autour de moi, cela fait longtemps que j’aurais raccroché.
Par contre, ce qui est clair et surtout vital pour moi, c’est que je m’épanouis et je me ressource dans la nature. J’ai besoin d’un contact intime avec les éléments, les grands espaces et tout simplement la beauté de la nature. Il faut s’y ouvrir, ce n’est pas inné, ça se développe.
Nous passons une grande partie de notre vie en position fœtale, à nous regarder le nombril. Mais il y a un moment où il faut se redresser, regarder autour de soi et regarder les autres. C’est un processus évolutionnaire, et lorsqu’on le commence, on grandit, on s’enrichit, on s’émerveille de tout ce qu’il y a autour de nous.
Avez-vous l’impression que nous sommes à un tournant dans l’histoire de l’humanité ?
Indéniablement. D’ailleurs on le sent bien : nous sommes à un carrefour de civilisation. La preuve en est que depuis que je suis né, on entend parler de crise. C’est donc que nous traversons une crise systémique et non simplement une crise économique.
L’humanité a un rendez-vous critique avec elle-même. C’est passionnant et si on ne le voit pas comme tel et qu’on l’esquive, nous sommes perdus. Il faut redéfinir le progrès : est-ce aller sur Mars ? Pour moi, ce n’est pas ce progrès dont nous avons besoin. Je pense plutôt à l’épanouissement partagé et à l’évolution de la condition humaine.
On attribue à André Malraux la phrase "le XXIème siècle sera spirituel ou ne sera pas". Pensez-vous que la crise est aussi spirituelle ?
Tout n’est pas à rejeter dans le matérialisme. Je pense surtout que le XXIème siècle sera solidaire ou ne sera pas. Si nous ne sommes pas capables de savoir où nous allons, si nous agissons juste parce que nous savons le faire, nous n’irons pas loin. Il y a un moment où il faut réconcilier conscience et science.
Quelles grandes figures vous inspirent ?
Parmi les personnalités contemporaines, j’admire Nelson Mandela. Sinon, Théodore Monod est une personne qui m’a beaucoup inspiré et j’invite chacun à relire ses écrits.
Votre livre préféré ?
Il y a beaucoup de livres intéressants. J’apprécie en particulier Se libérer du connu, de Krishnamurti que je relis régulièrement…
Interview réalisée en 2013.
- Nicolas Hulot nommé ministre de la Transition écologique et solidaire
- Françoise Nyssen nommée ministre de la Culture
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