L’apparition des premières règles incarne peut-être le mieux cette transformation bouleversante. Je me souviens de ce moment.
Nous étions partis en classe de neige. J’étais en CM2, je devais avoir 10 ou 11 ans. J’avais déjà découvert des traces de sang peu de temps avant mon départ. Ma mère avait dû m’expliquer ce qui m’arrivait, mais je n’avais pas bien compris. Dans tous les cas, je ne me sentais pas à l’aise et je n’en étais pas fière.
Pour me préserver, ma mère m’avait donné des serviettes hygiéniques. Mais j’avais honte. Je n’osais pas les montrer à mes amies de classe qui pourtant étaient proches. Elles n’avaient pas encore eu leurs règles et j’apparaissais comme une enfant à part.
Cacher ces règles que je ne saurais voir
J’ai demandé à plusieurs femmes d’âges différents de me raconter leurs premières règles, comment leurs parents leur avaient expliqué ce changement. Si elles avaient été prévenues ou non.
Au final, j’ai découvert que plusieurs styles coexistaient. Entre l’absence totale de transmission, le langage purement informatif ou la dimension exclusivement emphatique, chacune des femmes que j’ai interrogées avait majoritairement trouvé son propre chemin pour accueillir, comprendre et intégrer sa révolution métabolique. Mais peut-on se satisfaire de ce parcours solitaire ?
Les règles, finalement, appartiennent encore au monde tabou de la sexualité, de la masturbation, ou de la contraception, on n’en parle pas, ou juste ce qu’il faut. Tout se passe dans le secret de l’alcôve. Ou tout devient très explicatif et informatif ; ce qui n’est déjà pas si mal.
Mais on oublie la force symbolique et la révolution organique de ce passage. Au point que dans certaines cultures, puberté signifie encore mariage ! Dans ces traditions archaïques patriarcales, la dimension ritualisée peut par ailleurs perdurer, mais on vole leur adolescence à des jeunes filles qui sont soumises et sacrifiées sur l’autel de la coutume.
En Occident, même si les femmes de ma génération cherchent à ne pas reproduire le manque de transmission, qu’elles s’informent et trouvent les mots pour s’adresser à leurs filles, il n’en reste pas moins que la célébration de la puberté est rare, pour ne pas dire absente. Force est donc de constater que cette étape si primordiale dans la vie d’une femme n’est pas honorée comme elle le devrait. Pourquoi ?
De nouveaux rituels de passage vers la puberté
Nous vivons dans un monde rempli de contradictions. La tradition peut à la fois nous enfermer et nous enseigner. Il nous faut donc faire preuve de discernement. Le fait est que nous nous sommes coupés de traditions millénaires qui portaient en elles le sens sacré et fondateur pour une jeune femme du rituel de passage.
Nirmala Gustave, relaxologue, nous explique : "Il n’y a rien en Occident pour honorer la puberté. Juste un grand vide. En Inde, il existe un magnifique rituel de passage. La jeune fille est honorée comme une déesse. On la pare de son premier sari, on lui offre un massage, une friction du corps, pour qu’elle se sente bien dans sa corporalité de toute jeune fille. On l’honore grâce à des cadeaux, à un rituel. On met en mouvement cette nouvelle énergie de jeune fille et de future femme. Je crois que les jeunes filles françaises sont désireuses de cette célébration."
Comment dès lors pourrions-nous trouver un nouveau chemin pour instaurer des rituels de passage si nécessaires ? Des rituels qui ne reproduisent pas une tradition, mais qui retrouvent le sens sacré de cette transformation unique dans une vie.
Paule Lebrun, fondatrice de "Ho, rites de passage", a beaucoup réfléchi sur le sujet :"Quand une jeune femme devient-elle adulte ? Est-ce quand elle peut voter ? Quand elle obtient son permis de conduire ? Quand elle fait l’amour pour la première fois ? Quand elle devient indépendante financièrement ? Quand elle est menstruée pour la première fois ?"
Ces expériences sont toutes à leur façon des initiations, mais vécues sans l’encadrement culturel et la signification existentielle qui leur étaient donnés dans les anciennes tribus. Nous devons donc trouver une nouvelle voie.
Honorer notre féminin
Peut-être que le premier pas pour une jeune femme serait de mieux connaître son corps, son sexe, comment son processus hormonal fonctionne, à quelles transformations elle doit s’attendre. Le regard de la société va changer, mais aussi celui des hommes, et des femmes.
Un cap est franchi : l’enfance s’éloigne un peu plus chaque jour et la femme n’est pas encore pleinement incarnée. Il existe encore quelques va-et-vient entre les deux pans de sa jeune vie. Pour peu qu’on l’initie, avec délicatesse et légèreté, elle va pouvoir aimer, chérir, préserver et célébrer ce corps ouvert à une nouvelle sensualité et à de nouveaux désirs.
Extrait du livre "Féminin sans tabou" de Delphine Lhuillier. Editions Eyrolles 2014.
L'experte :
Delphine Lhuillier est ethnologue de formation. Responsable éditoriale de generation-tao.com, elle a participé à la création du Centre Tao Paris et est également formatrice en Wutao®. Elle est initiatrice du Festival du Féminin®, né en 2012, qui a désormais acquis une dimension internationale.
Boutique FemininBio