Est-ce parce qu’elles ont eu tant de rôles à jouer sur l’échiquier social (mère, épouse, collègue, entrepreneuse, amie…) que les femmes de ma génération ont ce sentiment d’imposture ? Comme si avoir assumé toutes ces postures les avait privé de leur place véritable.
La double contrainte dans le quotidien des femmes
La théorie de la double contrainte fut proposée par l’anthropoloque Gregory Bateson en 1956 au sein de ce qui deviendra la célèbre école de thérapie Palo Alto[1]. Il s’agit d’un ensemble de deux ordres, explicites ou implicites, intimés à quelqu’un qui ne peut en satisfaire un sans violer l’autre. Quand j’ai découvert cette notion, j’ai réalisé à quel point les femmes de ma génération ont connu la double contrainte. En famille, en société, au travail, elles ont dû répondre à des sommations contraires : sois innovante mais ne change rien au système. Sois une mère disponible et aimante mais assure en tant que professionnelle. Sois féminine mais tiens-toi comme un homme. Sois intelligente mais étouffe ton ambition…
Le plafond de verre psychologique
Ces défis impossibles, les femmes de la génération X les ont relevés de manière admirable. Pourtant, loin d’en tirer une fierté légitime, elles ignorent souvent le chemin qu’elles ont parcouru. Cet aveuglement agit à la manière d’un plafond de verre psychologique qui les empêche d’éclore et d’accéder à leur propre liberté. À l’aube de mes 40 ans, j’ai rencontré la méditation et j’ai compris qu’elle serait la voie royale pour reconquérir nos existences.
Une remise en question fertile
S’asseoir en silence nous apprend d’abord à voir plus large. C’est fondamental, car le nez collé à la contrainte nous n’avons aucune chance de nous en libérer. Par la méditation, nous apprenons à sortir du cadre. À réinterroger tout ce que l’on nous a mis dans la tête et que nous nous sommes cru obligées d’intégrer pour appartenir à ce monde de contraintes. Nous sentons que nous avons la possibilité de changer notre rapport au système, de le remettre en question. C’est quoi un couple ? C’est quoi une mère parfaite ? C’est quoi travailler, se reposer, vivre ? C’est quoi aimer ? Nous commençons à inventer nos propres réponses.
Contempler le chemin parcouru
La méditation permet ensuite de voir plus clairement ce qui a été traversé. Il ne s’agit pas d’une pratique pour se calmer et devenir – encore – plus docile, mais d’un entraînement à mieux discerner les choses et les situations.
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Au fil des séances, la méditation nous éclaire sur notre propre existence : qu’ai-je vécu, qu’ai-je accompli dans ma vie, quelles sont mes réussites, mes points d’achoppement ? Et sur notre manière de répondre au monde : quels sont mes motifs de colère, de tristesse, de peur, qu’est-ce qui me rend heureuse ? Peu à peu se revèle à nos yeux une vie digne d’intérêt : la nôtre. Qui est beaucoup plus riche que l’idée un peu floue et grossière que nous nous en faisions. Nous apprenons à nous assumer au lieu de nous excuser d’être celle que nous sommes. Je conseille d’ailleurs de ne pas hésiter à écrire sa vie, à raconter son histoire. Quel que soit votre style ou votre talent, poser sur la feuille blanche votre propre aventure est la clé d’accès à une dimension intérieure riche et créative.
Court exercice méditatif
Asseyez-vous simplement, sur une chaise ou un coussin. Vous pouvez sentir le poids de votre assise, votre ancrage corporel, très naturellement, pas la peine de changer quoi que ce soit. Votre assise vous donne place exactement là où vous êtes. À présent, fermez les yeux. Et visualisez une image de vous enfant. La première qui vient. Par exemple comme une photo dans un album. Ou alors le souvenir d’une atmosphère de votre enfance. Prenez la première image qui vous vient, le premier souvenir qui se présente. Et à présent invitez cet enfant à venir s’asseoir avec vous.
« Viens, ma petite chérie, vient t’asseoir avec moi. J’ai de la place pour toi. Prenons un moment ensemble, simplement assises ensemble, tranquillement, sans histoire. »
« Il est bon d’être assises ensemble là maintenant, en silence. Je te respecte, je te laisse place. Tu as entièrement ta place auprès de moi. »
« Ne t’inquiète pas. Je peux tout à fait prendre soin de toi en t’accueillant, en te laissant place… »
Restez là sans bouger, assises ensemble. Tranquillement. En sentant peut-être une certaine chaleur environnante, une douceur dans l’air, un accueil tout simple.
Au bout de quelques minutes, vous pouvez laisser l’enfant partir… Laissez-la faire sa vie… Laissez l’image se dissoudre…
Ouvrez les yeux et, gentiment, sans précipitation, reprenez contact avec votre environnement, avec ce qui vous entoure…
Retrouver un corps
Si elle nous aide à voir plus clair, la méditation nous offre aussi un trésor inestimable : notre corps. Celui-là même que, dans un monde « où l’expérience féminine a moins de valeur que la pensée d’un homme »[2], trop de femmes ont mis de côté pour privilégier la raison. La méditation nous reconnecte à notre présence corporelle, bonne, entière, pleine de sensations et d’intuition. Notre corps redevient cette boussole qui sait nous indiquer quand une situation ne nous convient pas. Nous commençons à reconnaître et sentir la contrainte au lieu de la subir. C’est le début de la libération. Dans l’immobilité de la méditation, nous découvrons un corps vivant, vibrant, sensuel, intelligent. Nous faisons silence pour l’écouter et lui donner l’occasion de se déployer. Nourri de notre attention, notre corps peut alors retrouver sa force. Il redevient le temple de notre confiance en la vie. Il nous redonne notre place.
Court exercice méditatif
Coupez votre téléphone. Asseyez-vous sur une chaise, un fauteuil ou un coussin et restez immobile quelques minutes. Essayez de sentir votre corps. Essayez de sentir la faim que votre corps a de vous. Il vous attend. Il attend que vous le considériez : sa fatigue ou sa lassitude, ses inconforts, son excitation, ses crispations ou ses sensations de vie. Sans bouger, prenez cela en compte. Votre corps vous attend, il est vivant, il mérite toute votre attention. À présent – vous pouvez fermer les yeux –imaginez, toujours sans bouger, que vous prenez votre corps dans les bras. Vous pouvez être une mère pour vous et vous bercer. Vous pouvez aussi être une amante pour vous et vous inviter à danser. Imaginez-vous gentiment bercée, sensuellement dansée. « Laissez-moi danser… » Prenez soin de vous, de votre corps, laissez-le danser. Puis ouvrez les yeux doucement et reprenez contact avec la lumière et les sons qui vous entourent. Il y a autant de manière de retrouver sa sensualité qu’il existe de femmes.
Renouer avec les forces de vie
Plus nous méditons, mieux nous apprenons à reconnaître ce qui nous fatigue et nous diminue ; ce qui nous donne de la joie et de l’enthousiasme. Cela nous oriente vers ce qui peut nous nourrir en profondeur. Nous réalisons que nous pouvons être en phase avec ce qui nous arrive, là maintenant, au lieu de l’imaginer. Nous commençons à vivre notre vie en direct au lieu de la vivre en différé. C’est la clé de notre nouvelle puissance.
Le livre
En allant à la rencontre des femmes de sa génération, Marie-Laurence Cattoire met à jour le mécanisme de la double contrainte dans Eclore enfin ! qui, tant qu’il reste non visible, empêche de trouver leur juste place et de s’épanouir. Le livre offre de nombreuses clés concrètes et des exercices pour se libérer, se réjouir et éclore enfin.
[1] https://mri.org/
[2] Iris Brey, Le Regard féminin, une révolution à l’écran, Éditions de l’Olivier, 2020.