Cet article a été publié dans le magazine Fémininbio #16 Avril-Mai
Tiens, c’est la première fois que je regarde vraiment des yeux bridés de face et de près. Elle doit être japonaise.
Ou chinoise. Ou coréenne. Ou française.
– Et lui, qu’est-ce qu’il a à me regarder un peu par en dessous, en souriant ? Avec son petit nez pointu et ses cheveux longs. Si ça se trouve, il est gay. Ou juste gai.
Ou c’est celui-qui-dit-qui-est ?
– Ouah ! Cette force qui se dégage de cet homme ! Et son nez, on dirait le museau d’un lion !
– Mais c’est quoi ce visage qui fond ? J’hallucine ? Tiens, le visage d’un enfant… Hop, une vieille dame ! Seraient-ce les visages passé et futur de cette personne ?
– Et si j’arrêtais d’observer-détailler-calculer-commenter-juger-papoter-jacasser ? Et si je tournais mon attention vers ma respiration, les yeux calés dans les yeux de cette personne assise devant moi ? Et si j’écoutais mes sensations ? Et si, au-delà du ressenti, je laissais toute la place à la présence ?
Être là, en présence de l’Autre. Accueillir ce qui est. Mmmh, quelle douceur ! Quelle tranquillité quand le mental se calme voire se tait ! Être en présence. Deux êtres, les yeux dans les yeux, en présence. Présents l’un à l’autre. Cadeau !
Pour ma première séance d’eye-contact, place de la République, à Paris, j’arrivais avec enthousiasme et quelques croyances... "Les yeux sont les fenêtres de l’âme". Mais alors, si on se regarde dans les yeux, à travers le trou noir de la pupille, va-t-on voir nos âmes respectives ? Faut-il passer par la pupille gauche ou la droite ? Et ça ressemble à quoi, une âme ? C’est beau ?
Je m’installe pour expérimenter, face à un ami. Commencer par du facile. Pas d’appréhension face à l’étranger. On se sourit. Envie de rire. Interaction. À fond ! Conversation silencieuse. Tranquille. Paisible. Mon regard est superficiel, j’observe la surface de ce visage, la forme de la bouche, du nez, l’implantation des sourcils, un grain de beauté, un bouton. Regard flottant. Et moi, comment il me trouve ? Ai-je un poil qui dépasse du nez ? On se calme, on descend. Mon regard se stabilise, ma vision se dilate. Je ne cherche plus à "attraper" avec mes yeux, juste à recevoir. C’est étrange, nouveau. Doux. Tout va bien.
Je suis prêt pour une autre rencontre, les yeux dans les yeux. Une pratique toute simple pour nourrir les relations humaines. Nous nous retrouvons dans notre humanité commune, ici et maintenant. Vivante et vibrante.