La production de fraises est en constante augmentation au niveau mondial depuis les années 1990, dépassant les 3,5 millions de tonnes en 2004 (Source FAOstat2006). Privilégiant la texture et le gabarit au goût, la production de fraises d’Espagne hors saison est le symbole même de la concurrence acharnée que se livrent les producteurs de fruits à l’heure de la mondialisation et le pire exemple d’une agriculture non durable. Au niveau mondial, l’Espagne est le deuxième producteur de fraises (derrière les Etats-Unis), au niveau européen, elle occupe le premier rang, avec 330 000 tonnes de fraises produites en 2006.
Mais derrière cette réalité chiffrée se cache une toute autre réalité, bien moins gaie pour nos papilles et notre âme bio-écolo. En effet, la fraise hors saison d’Espagne n'a aucun goût. Mais cela ne concerne à la rigueur que ceux qui les achètent, alors que la pollution qui découle de leur production et de leur commercialisation concerne tout le monde. Le prix à payer pour ces fraises est certes faible pour le consommateur, mais il est très élevé pour l’environnement, sans parler des enjeux sociaux qui se cachent derrière l’innocente fraise de la barquette à 1 euro...
Fades, les fraises d’Espagne hors saison ?
Pour avoir des fraises en février, alors qu’elles ne devraient pas arriver sur nos étals avant mai (voir le tableau des fruits et légumes de saison), il est évident que la main de l’homme est passée par là. Un petit tour au réfrigérateur pour les plants de fraises créés in vitro permet de faire croire aux jeunes pousses que l’hiver est venu. Du coup, quand ils sortent du froid pour être plantés en serre, les plants commencent à se développer : le redoux équivaut dans l’horloge biologique des plantes à l’arrivée du printemps.
Les fraises hors saison grandissent sous serre, plantées dans un sol préalablement traité de manière radicale : on passe sur la terre sablonneuse du bromure de méthyl et de la chloropicrine, qui sont tous deux des violents poisons, le premier détruisant la couche d’ozone, le second très dangereux pour la santé humaine. La terre ainsi stérilisée n’offre rien aux plants de fraises, qui sont protégés par un plastique noir sensé laisser respirer la terre et permettre à la pluie de s’infiltrer, en réalité, sans apport artificiel d’eau et d’oligoéléments, les plants mourraient. Ils sont donc irrigués au compte goutte avec une eau bourrée d’engrais, de pesticides et de fongicides. Il s’agit de faire des fraises grosses et bien lisse, et tant pis si le goût n’est pas au rendez-vous.
Une fraise bien polluante
La pollution en lien avec la production de fraises hors saison n’est pas limitée aux techniques de stérilisation des sols évoquées précédemment. Cela commence avant même la plantation des fraisiers : les installations de production de fraises s’étalent sur près de 6000 hectares, aux portes du Parc Naturel de Donana (en Andalousie), mais aussi, et ce, totalement illégalement, sur le territoire du parc. On estime ainsi que seules 60% des cultures de la région sont autorisées, le reste implanté frauduleusement sur le territoire du parc sans que les autorités régionales se mobilisent.
Or, le Parc Naturel de Donana est l’un des plus grands sites naturels protégés d’Europe, inscrit au Patrimoine Mondial de l’UNESCO. C’est un écosystème exceptionnellement riche, qui abrite entre autres de nombreuses espèces d’oiseaux nicheurs et migrateurs, dont certaines sont menacées. L’irrigation sauvage que pratique les producteurs pour arroser leurs fraises a un impact considérable sur la faune et la flore locale. L’eau provient de forages illégaux qui, dans leur immense majorité, pompent plus qu’ils ne sont autorisés à le faire. La région s’assèche donc peu à peu, les oiseaux partent. Espèce en voix de disparition, les lynx pardelles vivent dans la forêt environnante dont la superficie diminue chaque année pour laisser place à la culture intensive et ils ne trouvent plus de nourriture : les lapins, base de leur alimentation, sont de moins en moins nombreux.
La fraise pollue aussi une fois cueillie : le transport se fait principalement par camions, qui traversent toute l’Europe pour amener les fraises dans les pays importateurs. Rien que pour la France, ce sont 10 000 camions par an parcourant chacun 1500 km… Et une fois la saison terminée (début juin, lorsqu’elle bat son plein en France), les kilomètres de plastique noir qui avaient servi à recouvrir les pieds de plants de fraises sont brûlés, enfouis dans le sol ou laissés libres de s’envoler au gré du vent. C’est autant de la pollution des sols et des paysages que des risques pour les animaux (ils risquent d’avaler le plastique et de s’étouffer). Bref, la fraise est une calamité pour l’écologie.
Les conséquences sociales désastreuses de la fraise d’Espagne
Last but not least, comme dirait nos amis d’outre Manche, la production de fraises a aussi un impact social considérable. Les producteurs font venir de la main d’œuvre à bas coût d’Europe de l’Est, du Maroc et d’autres pays africains. Comme depuis 2007, la Roumanie est rentrée dans l’Union européenne, l’attrait pour les travailleurs saisonniers roumains est nettement moindre de la part des producteurs espagnols car ils ne peuvent pas les renvoyer facilement chez eux. Ces travailleurs sans droits, souvent sans papiers, sont mal logés et sous payés. Exposés sans protection à des produits hautement toxiques, ils contractent des maladies pulmonaires et affections de la peau. Renvoyés sans ménagement à la fin de la saison, ils n’ont pas les moyens de se faire soigner par la suite, quand les symptômes se déclareront.
Face à la recherche de profits, les producteurs espagnols ont commencé à délocaliser au Maroc. Les producteurs espagnols ont commencé par vendre la technologie et le savoir-faire de production de fraises hors saison aux Marocains en échange de l’utilisation de leurs terres. Dès lors que la loi sur les baux ruraux a été modifiée (il est toujours impossible pour un étranger d’acheter des terres agraires au Maroc, mais il peut désormais se voir octroyer un bail de long terme – 30 ans), ces mêmes producteurs espagnols se sont engouffrés dans la brèche et une partie toujours croissante de la production labellisée Espagne provient en réalité du Maroc.
Le Royaume chérifien devrait cependant se méfier : face au désastre écologique annoncé en Andalousie, les producteurs espagnols risquent de délocaliser quand la production ne sera plus rentable chez eux et de reproduire le même schéma sur l’autre rive de la Méditerranée. Surtout que la Maroc présente à leurs yeux l’avantage de ne pas nécessiter de faire appel à une main d’œuvre étrangère peu chère : elle est sur place.
Alors que faire ?
Le geste le plus écolo est bien entendu de manger local et de saison. Acheter des fruits de saison, c’est le minimum que l’on puisse faire pour notre planète. Il existe une incroyable variété de fruits et légumes auxquels on ne pense pas (voire que l’on ne connaît pas) à cause de l’uniformisation de l’offre qui nous est proposée. L’absence de saison telle qu’induite par la présence en continu de fruits qui ne devraient pas être présents en dehors d’une période précise est une calamité pour la planète. Les fruits viennent de plus en plus loin pour une qualité médiocre et un goût insipide. Tout le monde y perd.
Manger local induit forcément que l’on va manger des fruits et légumes de saison. Cela participe à l’économie locale car c’est une action que soutient directement les agriculteurs de la région (cela passe par les AMAP et les cueillettes, par exemple). Les fruits et légumes sont frais et de qualité, surtout si l’on s’engage auprès d’un agriculteur bio. L’attitude locavore est aussi un geste pour l’environnement car le transport est minimum (et la pollution également par conséquent). En plus de ravir vos papilles, vous découvrirez avec plaisir des variétés locales peu connues. Ainsi, il existe en France pas moins de 85 variétés de fraises différentes…
Face à l’embarras du choix, on ne sait que choisir et seules la Mara des bois et la Guariguette ont une notoriété nationale. Pourtant, les Bretons peuvent être fiers de la Fraise de Plougastel, qui jusqu’en 1940 représentait le quart de la production nationale de fraise), tandis que l’Aquitaine, devenue le cœur de la production française de fraises, regorge de variétés aux noms aussi orignaux qu’inconnus du grand public… Cigaline, Pajaro, Ciflorette, rendez-vous sur le marché local pour faire connaissance !
Les fraises espagnoles hors saison sont certainement l’exemple le plus flagrant d’une agriculture non respectueuse de l’environnement. Il faut toutefois préciser que les Espagnols savent aussi faire des fraises de saison, qui sont pour le coup bonnes, mais surtout souligner que les fraises sont loin d’être le seul fruit touché par ce mode d’agriculture : on connaît les cerises du Chili en hiver, par exemple. Si les producteurs français tendent à augmenter les surfaces réservées à l’agriculture intensive et hors saison (certains produisent des fraises dès février et continuent jusqu’en novembre), les grandes surfaces, qui cherchent avant tout à baisser les coûts, ne favorisent absolument pas la production locale.
Alors, n’oubliez pas, quand vous faites vos courses de regarder la provenance des fruits et légumes sur les étales et privilégiez ceux qui viennent de France : le transport aura été plus court donc moins polluant, et les fruits et légumes sont alors de saison. Gardez à l’esprit qu’un fruit clairement moins cher qu’il ne devrait est souvent synonyme d’agriculture intensive. Préférez manger régulièrement un fruit courant (pomme ou poire, entre autres) et vous offrir de temps en temps un bon fruit (une belle barquette de Guariguettes par exemple). Enfin, ne vous laissez pas berner par l’aspect : ce n’est que du marketing, vous risquez d’être déçue par le goût d'une grosse fraise bien rouge... mais pleine d'eau.
Pour en savoir plus
- L'article de Claude-Marie VADROT, à partir du quel le sujet a éclaté au grand jour
- Un article sur la fraise française
- Le site de l'Association Interprofessionnelle de la Fraise du Lot-et-Garonne : informations et chiffres clé.