Cet article a été publié dans le magazine FemininBio #16 Avril-Mai
Certaines ont été excisées petites et n’en gardent aucun souvenir, d’autres n'oublieront jamais ce jour sanglant. Chaque femme excisée porte une histoire unique, mais toutes ont en commun d’avoir été victimes d'une coutume millénaire qui ne s’appuie sur aucune justification scientifique légitime.
Une réalité invisible
L’origine de l’excision est méconnue. On estime qu’elle remonte à une époque antérieure à l’apparition des religions monothéistes et qu’elle se serait développée à partir de la Nubie (région couvrant plus ou moins l’Égypte et le Soudan actuels). Plusieurs ethnies l’ont ensuite adoptée, au point qu’aujourd’hui les justifications de cette pratique sont très variées selon les régions. Globalement, il s’agit d’assurer un contrôle de la femme par l’homme au sein de la communauté. Cette violence physique s’accompagne souvent d’autres formes de domination, comme le mariage forcé ou le viol conjugal.
D’après l’Unicef, plus de 200 millions de femmes vivaient avec une mutilation génitale à travers le monde en 2016. En France, elles seraient plus de 53000 et, chaque année, selon l’association Excision, parlons-en!, 3 jeunes filles sur 10, dans les communautés originaires de pays qui pratiquent l’excision, courent un risque. "Jusque dans les années 1980, il y avait des cas d’excision en France, explique Marion Schaefer, déléguée générale de cette association. Grâce à une forte mobilisation, ce n’est plus le cas. Cependant, on a remarqué que le danger s’était déplacé vers les adolescentes, qui peuvent être excisées lors de vacances dans le pays d’origine de leur famille. Il reste donc encore du travail pour sensibiliser les parents et leurs filles à ce sujet(1)."
La pratique de l’excision se concentre principalement dans la zone allant de l’Afrique de l’Ouest à la Corne de l’Afrique en passant par le Sahel. En Somalie, 98 % des femmes de 15 à 49 ans étaient excisées, contre 1 % au Cameroun et en Ouganda. Dans de nombreux pays de la région, le pourcentage de femmes touchées dépasse les 50 %, avec parfois de grandes disparités à l'intérieur d'un même pays.
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Assimilée à une mutilation, l’excision consiste en l’ablation partielle ou totale des organes sexuels externes de la femme. Premier visé, le clitoris. L’excision la plus "légère" consiste ainsi en une clitoridectomie, qui vise à supprimer toute trace extérieure de l’organe du plaisir féminin. "Dans certaines communautés où l’excision se pratique, le plaisir sexuel féminin est tabou quand il n’est pas interdit ou assimilé à de la sorcellerie, note le docteur Arnaud Sevène, sexologue à la Maison des Femmes de Saint-Denis, une structure qui accueille les femmes victimes de violence. La sexualité est tournée vers l’homme et la recherche de son plaisir."
Dans ces conditions, chercher à comprendre comment fonctionne son corps et se procurer du plaisir peut sembler osé. Impressionné par ses patientes, "extraordinaires de détermination et de force", le Dr Sevène souligne une subtile nuance: "les femmes excisées ont été victimes d’un acte violent, mais elles ne s’enferment pas dans un statut de victime". Il est ainsi tout à fait possible d’être une femme excisée et d’avoir une sexualité épanouie ou d’en revendiquer le droit.
Les difficultés commencent souvent lorsque la femme se sent différente, pointe le Dr Ghada Hatem, médecin-chef de la Maison des Femmes: "Si vous avez été excisée jeune, vous n’en avez peut-être aucun souvenir. Tant qu’autour de vous l’excision est une pratique courante, vous ne vous sentez pas différente.Tout peut basculer le jour où vous faites face à l’altérité et que vous pensez que vous n’êtes pas normale."
Reprendre les rênes de sa sexualité, une renaissance
Le chemin vers une sexualité épanouie est souvent long et complexe. "C’est une démarche holistique, explique le Dr Sevène. Les problèmes sexuels d’une personne s’intègre dans un cadre plus large, à la fois socio-économique, culturel, religieux…Je me souviens d’une patiente avec qui j’ai discuté pendant trois consultations de ses droits. Elle n’imaginait pas que l’on pouvait dire non. Or, en France, un acte sexuel non consenti au sein d’un couple est considéré comme un viol. Lorsqu’elle l’a compris, nous avons franchi une étape importante."
Blocage, douleur, peur, méconnaissance de son corps, revendication… les patientes qui consultent ont chacune leur propre parcours, leurs questions et leurs doutes. "La sexualité, c’est compliqué, le plaisir aussi, rappelle le Dr Hatem. Parfois, les patientes me disent qu’elles ont du plaisir mais qu’elles ne savent pas si c’est le vrai, si c’est le bon, si c’est suffisant. Comme elles se sentent différentes, elles ne savent pas ce qu’elles doivent penser de leur sexualité. Mais quelle femme ne se pose pas de questions après avoir lu des magazines?"
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Se réapproprier son corps et son intimité est une étape cruciale. Comme leur clitoris n’est plus apparent, de nombreuses femmes excisées n’ont pas l’idée de chercher à se procurer du plaisir seule. Parfois, elles ne savent même pas où s’aventurer dans leur intimité: pour elles, il n’y a plus rien dans cette zone. "Or, le clitoris est juste derrière, on sait très bien que des femmes même excisées peuvent avoir du plaisir", précise le Dr Sevène.
Parfois, le mal-être est plus profond: "Se sachant excisées, certaines femmes ne se sentent pas féminines, pas belles 'là'. Elles ont une image très dégradée de leur corps et ne veulent pas montrer cette zone. L’homme n’y a alors pas accès et elles-mêmes ne cherchent pas à l’explorer. Or, se priver de la caresse du clitoris, c’est se priver de la meilleure façon de ressentir une excitation sexuelle."
L’apprentissage de la sexualité passe par des discussions, de la théorie et des exercices pratiques que les patientes doivent faire chez elles. Certaines, venues en demandant une réparation chirurgicale, changent d’avis lorsqu’elles comprennent que rien n’est automatique en matière de plaisir sexuel. "Lorsqu’elles réalisent que c’est normal d’avoir besoin de préliminaires et de fantasmes pour ressentir du plaisir, cela débloque quelque chose en elles, constate le Dr Hatem. Certaines patientes ne souhaitent alors plus se faire opérer."
Les progrès de la médecine permettent en effet de réparer les dommages de l’excision. La technique de reconstruction chirurgicale du clitoris a été mise en place par le docteur Pierre Foldes, un urologue français sensibilisé à cette problématique par son expérience sur le terrain avec Médecins du Monde. L’opération permet de réparer les dommages causés par l’excision. Ce n’est pas de la chirurgie esthétique, mais bien de la chirurgie réparatrice: la femme opérée ne retrouvera pas le sexe d’une femme non excisée, mais elle aura de nouveau un clitoris fonctionnel, irrigué par des nerfs et des vaisseaux sanguins. "Cela permet à certaines femmes de se sentir de nouveau ‘entières’, fait remarquer le Dr Hatem. Mais cela ne résout pas tout d’un coup: la qualité de la relation avec l’homme est primordiale pour bien vivre sa sexualité."
Pour les deux professionnels de santé, il ne fait aucun doute que la sexualité est un sujet clé dans l’épanouissement personnel. Excisée ou non, une femme a droit au plaisir et au respect de son corps. "Bien vivre sa sexualité, résume le Dr Sevène, c’est aussi une manière de se vivre en tant que femme, de faire attention à soi, d’être respectée et de se respecter. C’est vraiment important, car en ayant les clés de leur sexualité les femmes accèdent à une certaine estime d’elles-mêmes et à une confiance en elles qui rejaillissent sur le reste de leur vie."
Notes :(1) L'association Excision, parlons-en ! mène une campagne de sensibilisation sur le sujet.
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