C’est une mauvaise habitude que nous avons tous ou presque : nous croire au centre du monde. Non seulement on risque de paraître odieux aux yeux des autres, mais en plus, cela nous rend inconscients de l’épuisement de la biodiversité qui nous entoure et dont nous faisons partie. Pourquoi et comment en est-on arrivé là ? C’est ce que nous explique Philippe J. Dubois, un homme aux multiples casquettes, dans un petit livre percutant qui recadre les fondamentaux de l’écologie.
Ornithologue, ingénieur écologue, journaliste scientifique, éditeur naturaliste (éditions Delachaux & Niestlé) et ancien attaché de presse et porte-parole de la Ligue de Protection des Oiseaux, Philippe J. Dubois part de son expérience pour illustrer sa thèse, simple à résumer mais lourde de conséquences : nous perdons la mémoire. Non pas la mémoire de notre vie, mais la mémoire de notre environnement. Nous sommes incapables de nous souvenir de l’état de la biodiversité avant nous. Une raison principale à cette situation, explique l’auteur : l’absence de transmission intergénérationnelle du savoir écologique. Résultat, chaque génération réinvente le point de référence de l’état de santé de la nature.
Il devient donc impossible de prendre conscience que l’état de la biodiversité s’est détérioré. Il nous parait incroyable qu’il ait existé plusieurs centaines de variétés de pommes, de poires et d’autres fruits, que les campagnes françaises aient été peuplées de plus de dix races de vaches et de moutons. Pourtant, il a existé des centaines de variétés de pommes et de poires, au nom aussi gourmand qu’original : la Beurre Bosc, l’Ah mon Dieu, la Calville blanc d’hiver, la Chataîgnier… Et il fut un temps pas si lointain où la Garonnaise, la Blonde du Quercy et la Blonde des Pyrénées meuglaient dans nos campagnes. Toutes on été « fondues » dans la nouvelle race Blonde d’Aquitaine, créée en 1962. Trois de perdues, une de créée.
Tout au long de son essai, Philippe J. Dubois propose de nombreux exemples de races et de variétés victimes de notre amnésie. Loin de tomber dans le nostalgique, les exemples choisis sont autant de constats et de mise en garde. Car l’amnésie concerne aussi bien les espèces qui disparaissent que les espèces venues d’ailleurs et qui envahissent les bio-systèmes locaux sans que l’on s’en apperçoive.
L’auteur ne se contente pas de faire le point, il propose aussi de reprendre la main : « si nous ne prenons pas conscience de ce que nous sommes en train de perdre, nous risquons de nous réveiller trop tard et de ne pas être à même de prendre les bonnes mesures pour remédier à la situation », écrit-il. Recréer les conditions de la transmission intergénérationnelle lui semble être un impératif, mais il faut aller plus loin, et Philippe J. Dubois livre à travers ces pages un plaidoyer pour faire rentrer l’écologie à l’école. Pour les adultes, tout aussi concernés que les enfants, le chemin passe par la (r)évolution écologique, que chacun peut commencer à mettre en œuvre. Il est possible de sortir de l’impasse, mais il faut s’y mettre maintenant.
Le livre : DUBOIS Philippe J., La grande amnésie écologique, Delachaux & Niestlé, Paris, 2012
On aime aussi : la campagne pour la biodiversité de proximité de la Ligue de Protection des Oiseaux (plaquette d'information en PDF)