Cet article est un extrait du livre Cuisiner sans recettes, guide de résilience alimentaire, de Véronique Bouchard, aux éditions écosociété, à paraître le 4 février 2021.
Nous approchons de la fin d’une époque faste où les aliments étaient disponibles en quantité et en variété phénoménales et à bas prix. On sait déjà que les changements climatiques amèneront de plus en plus d’événements météorologiques extrêmes (sécheresses, pluies diluviennes, tempêtes de grêle, ouragans violents, tornades, etc.) et d’infestations de nouveaux insectes ravageurs ayant un impact direct sur l’agriculture. En parallèle, l’eau et les ressources minérales seront de plus en plus limitées. La destruction des milieux naturels exerce une pression sur les populations d’animaux, qui perdent leur habitat et entrent davantage en contact avec les humains et les élevages industriels qui, par des densités élevées et l’utilisation préventive d’antibiotiques, offrent les conditions propices au développement de super-bactéries résistantes aux antibiotiques et à l’apparition de nouvelles maladies d’origine animale transmises aux humains.
Le moment est venu de régénérer la biodiversité dans nos fermes, nos champs, nos cuisines et nos assiettes pour lutter contre la crise climatique, la crise sanitaire et la crise engendrée par les entreprises qui ont pris le contrôle de notre alimentation. Vandana Shiva
Il faut s’attendre à une hausse importante du prix de certaines denrées, à une baisse de diversité, à des famines ainsi qu’à des tensions et à des conflits autour de l’accès aux aliments et à l’eau, surtout dans les pays du Sud.
On nous parle de plus en plus d’adaptation aux changements climatiques. La crise de la COVID-19 nous a donné un avant-goût de ce qui nous attend et de ce que cela pourrait représenter comme changements dans nos habitudes de vie. L’alimentation de demain nous demandera inévitablement de nous adapter. La créativité et la souplesse culinaire deviendront essentielles pour bien s’alimenter dans ce nouveau contexte. En développant notre capacité à cuisiner avec ce qu’on a sous la main, nous pouvons devenir dès maintenant des acteurs de changement et bâtir des systèmes agroalimentaires plus écologiques, plus équitables et plus résilients qui deviendront le socle de notre culture culinaire et alimentaire de demain.
La cuisine sans recettes : pourquoi et comment
Si on veut adapter son alimentation, pour cause de crise environnementale ou sanitaire ou pour des raisons éthiques, afin d’y intégrer les aliments de saison, les aliments bio et locaux ou équitables et d’utiliser ce qu’on a sous la main, on doit s’affranchir de la recette, du moins en partie, et développer son autonomie et sa résilience culinaire et alimentaire.
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Lorsqu’on apprend à danser ou à chanter, on doit d’abord assimiler certaines notions et principes de base, puis s’exercer pour intégrer les notions apprises, gagner progressivement en assurance et en confiance. Il faut aussi retrouver l’enfant en soi, l’imagination et l’émerveillement qui mènent à la création… et accepter de se tromper parfois. Cuisiner sans recette implique pareillement de développer à la fois créativité, confiance et connaissances.
La créativité
La créativité est une compétence essentielle à l’art ou à l’innovation qui n’est malheureusement pas assez valorisée dans notre culture. Nos grands-mères et arrière-grands-mères se devaient pourtant d’être créatives en cuisine (comme dans bien d’autres domaines) pour réussir à nourrir leur famille avec un éventail très limité d’ingrédients. Nous avons la chance aujourd’hui de pouvoir exprimer notre créativité culinaire dans un contexte d’abondance. Désormais, les contraintes viennent davantage des allergies et intolérances alimentaires, ou encore de considérations environnementales et éthiques. Contrairement à ce qu’on tente de nous faire croire, manger local n’est ni ennuyant ni restrictif, c’est même parfois une toute nouvelle diversité inconnue qui s’offre à nous. On n’a qu’à penser à tous ces produits sauvages (champignons de toutes sortes, têtes de violon, etc.) ou à ces légumes méconnus poussant très bien dans notre climat (topinambour, kale, céleri-rave, etc.) que l’on peut acheter en saison, cueillir ou faire pousser soi-même.
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La créativité est une compétence qui peut se développer à tout âge. En musique, on peut improviser en se basant sur des gammes (des notes qui vont bien sonner ensemble) et des styles musicaux (blues, reggae, rock). En cuisine, on pourra improviser tout en respectant certaines proportions, en se basant par exemple sur des combinaisons d’aliments et d’aromates issues des cultures culinaires de différents pays (italien, indien, mexicain, etc.).
La confiance
Le manque de confiance peut limiter la créativité en cuisine. Pour l’acquérir, il faut à la fois une base de connaissances et un peu d’expérience. Bref, plus on cuisine plus on devient confiant et compétent, plus on se sent à l’aise de prendre des libertés. Si vous n’avez pas eu la chance de développer cette confiance en cuisinant avec vos parents, il n’est pas trop tard pour le faire en cuisinant avec des amis, en participant à des cuisines collectives, en apprenant dans des livres, en visionnant des capsules vidéos.
Les connaissances
La cuisine se base entre autres sur des connaissances en biochimie, en chimie et en microbiologie des aliments ainsi qu’en nutrition. Malheureusement, le cursus scolaire ne comprend plus l’enseignement des principes de base de l’alimentation et de la cuisine. Est-ce que l’on considère que ces savoirs ne sont plus essentiels ? Préfère-t-on limiter ces savoirs afin que les citoyens consomment davantage de produits de l’industrie (et ainsi fassent rouler l’économie) plutôt que de produire et cuisiner eux-mêmes ?
Quelle place pour les livres, blogues, magazines et émissions de cuisine ?
Si, en vue d’une révolution alimentaire, il apparaît souhaitable de s’affranchir du carcan de la recette, il n’est nullement nécessaire de dresser un grand bûcher pour brûler tous les livres de recettes ou de partir à la chasse aux sorcières et discréditer les blogueurs et blogueuses, les chefs charismatiques ou les animateurs et animatrices d’émissions de cuisine. On peut voir les livres, les blogues, les émissions et les magazines de cuisine comme des sources d’information et d’inspiration. On peut commencer par repenser notre relation avec la recette pour laisser plus de place à la créativité et à la souplesse, afin de transformer le système alimentaire par notre alimentation au quotidien. En adoptant une posture critique, on peut par contre éviter de surconsommer ces contenus culinaires, par exemple en ne remplissant pas nos bibliothèques de livres de cuisine que nous n’utiliserons que quelques fois ou en ne perdant pas notre précieux temps à feuilleter des livres de recettes ou à visionner des démonstrations de cuisine plutôt qu’à cuisiner.
Ensuite, on peut commencer à explorer la création culinaire progressivement à partir de recettes, en changeant quelques ingrédients à la fois, notamment pour y inclure les produits locaux et de saison (plus goûteux et habituellement plus économiques). Que l’on soit professionnel ou amateur, il faut absolument goûter ! Si vous cuisinez pour vous, il est essentiel que le résultat soit à votre goût. Ajoutez les aromates progressivement, en goûtant. Au lieu de simplement suivre des recettes, intéressez-vous à la logique et tentez de décoder le rôle de chaque ingrédient dans le goût et la texture du résultat recherché.
Au fur et à mesure que vous prendrez de la liberté en cuisinant, vous aurez assez confiance pour modifier les recettes, faire à votre tête et même éventuellement créer vos propres recettes ! Dans cette section, nous résumons certaines de ces connaissances et principes de base en alimentation et en cuisine afin que vous puissiez explorer davantage la création culinaire et faire des choix santé qui contribueront à rendre nos systèmes agroalimentaires plus écologiques, plus solidaires et plus résilients.
L'auteure :
Véronique Bouchard est fermière et épicière de famille, agronome, conférencière et citoyenne écoféministe engagée dans sa communauté. Elle a cofondé la Ferme aux petits oignons, une ferme maraîchère biologique diversifiée à Mont-Tremblant.
Le livre :
Cet article est un extrait du livre Cuisiner sans recettes, guide de résilience alimentaire, de Véronique Bouchard, aux éditions écosociété, à paraître le 4 février 2021.