Oui, il y a les grandes catastrophes "noires" (esclavage, apartheid, etc.), mais il y a l’impact de ces expressions, de ces phrases en apparence anodines. Ces petits coups de couteaux au quotidien qui sapent, qui minent la femme noire que je suis mais également d’autres individus de la même couleur de peau et qu’il m’a été donné de rencontrer.
Il y a également cet état de fait : la langue française symbolise le caractère problématique d’une situation, d’un évènement en le rattachant à la couleur noire. Ma couleur de peau justement...
J’ai longtemps refusé de reconnaître pleinement que ces phrases et cette symbolique me faisaient mal. On me disait et je voulais m’en persuader, que j’étais trop sensible. Que ce n’était pas grave d’assimiler "noir" et "problème". Il s’agissait d’expressions malheureuses dont la langue française regorgeait mais il ne fallait y voir aucune malveillance chez la plupart des gens qui les énonçaient.
N’empêche, ces phrases résonnaient douloureusement en moi. Dès que j’entendais ces expressions, je sentais poindre, de plus en plus forte, une colère dont je ne voulais pas. Un énorme ressentiment se formait, grossissait.
J’ai alors fait le choix de décortiquer les sentiments que provoquaient en moi ces expressions. Non, je n’étais pas trop sensible, seulement traumatisée par cette assimilation pathogène entre la notion de problème et la couleur noire, ma couleur de peau, une partie si intime de moi qu’elle n’est même plus une partie. Je suis noire. Je ne suis pas en partie noire. Je suis noire.
Comment ne pas se sentir vrillée, blessée, amochée, abîmée, salie, souillée, avilie lorsque votre couleur de peau sert à symboliser ce qui est problématique ?!
Assez qu’on ne voit dans ma réaction que de la sensiblerie,
Assez qu’on me demande de ne pas m’offusquer de ces expressions,
Assez que l’on tente de me persuader que tout cela n’avait pas d’importance, que tout avait été dit à ce sujet et qu’il n’y avait rien de plus à en dire.
Pourquoi n’aurais-je dû ne rien devoir dire de ce que je considère comme un traumatisme, aussi personnel soit-il ? Pourquoi laisser aux autres le soin de parler de ce que je ressentais ? J’ai décidé de prendre la parole et de la donner aussi à des hommes et des femmes noires. Comment reçoivent-ils ses propos ?
Etais-je la seule à être pareillement traumatisée ? Etais-je folle ?
Comme souvent chez moi, le cheminement artistique a constitué le meilleur antibiotique à cette colère. Ainsi est née l’idée de cette performance "Mais je ne suis pas noire !"
Pour assister à "Mais Je ne suis pas noire !"
Rendez-vous du 9 au 13 juillet à Vitry-sur-Seine à 19h, à gare au théâtre
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