“On fait des économies de bout de chandelle pour éviter les dépenses. On jongle avec les fournisseurs, on paye à 60 au lieu de 30 jours. On est tous dans le même cas, mais je ne sais pas comment on va s'en sortir.”
Ce témoignage a été recueilli le 17 avril 2020.
Sa vie avant le Covid-19
Amandine est à la tête d’une exploitation agricole de 60 hectares de vignes dans le Bordelais, à Porte-de-Benauge, une nouvelle petite commune de 500 habitants. Mariée, deux enfants de 5 et 7 ans, elle a repris l’exploitation familiale au décès de son père il y a deux ans. Un tournant de vie qu’elle est loin d’avoir anticipé.
A 19 ans, après des études de commerce, Amandine prend le large très loin de la vigne familiale. C’est entre Saintes et Royan qu’elle s’installe, rencontre celui qui deviendra son mari, et exerce pendant 20 ans dans la vente. Cette vie près de la mer, elle l’apprécie énormément. S’en suivent des événements à la fois douloureux et surréalistes qu’Amandine relate avec émotions “Je n’avais jamais évoqué avec mon père le fait de reprendre l’exploitation. A Noël il y a deux ans, mon mari a dû placer son magasin en liquidation judiciaire. Quatre jours plus tard mon père m’appelait pour nous proposer quelque chose. Nous n’avons jamais su de quoi il s’agissait car il est décédé 6h plus tard”. Le moment est décisif. Venue sur la propriété familiale pour régler les aspects administratifs liés à la disparition de son père, Amandine ressent comme un appel “Je suis rentrée et j’ai avoué à mon mari que de toute ma vie, je ne m’étais jamais sentie aussi à ma place”. La famille déménage quelques mois plus tard.
Pour les aider à prendre en main le domaine, le couple peut compter sur l’employé de son père qui l’accompagnait depuis 28 ans. Il s’occupe du travail de la terre, tandis que le papa d’Amandine gérait la vinification réalisée à l’ancienne “comme travaillais mes arrière grands-parents” explique-t-elle. “Ici, on ne produit que des vins de garde et de grande garde demandant 5 années d’élaboration.” Peu à peu, elle apprend la technicité du métier, tout en constatant ses propres facilités, comme si tout cela était enfoui en elle par les longues après-midi passées à en entendre parler. “Quand je marchais dans les vignes, j’avais l’impression d’être traversée par un flux d’énergie.” avoue-t-elle, gênée, tant son esprit cartésien refuse ces croyances-là. Depuis, Amandine n’a jamais été aussi motivée de se lever le matin. Pourtant le métier est exigeant et les conditions difficiles.
Chaque jour, le réveil sonne à 6h30 et le couple s’occupe de l’administratif avant le réveil des enfants. Elle “embauche” à 8h à l’arrivée des employés, tandis que son mari emmène les enfants à l’école. A partir de fin novembre, il faut travailler la vigne pendant neuf mois. Taille, pliage, épamprage et travail du sol s’enchaînent jusqu’à la fameuse saison des vendanges de septembre à novembre. Une période éprouvante et presque sans repos qui commence chaque jour à 5h pour se terminer vers 3h du matin avec la vinification. Et parce que “ le tanin lui coule dans les veines” comme aime à plaisanter son époux, Amandine s’octroie un maigre revenu variant de 500 à 1000€ par mois. Son vin, elle le vend aux particuliers et également sur les foires, salons et marchés. Une petite partie de la production ira aux grandes surfaces pour garantir une trésorerie, mais les prix sont tellement cassés que ce n'est pas rentable.
Sa vie depuis le Covid-19
Pour la famille, la période est critique. Si la jeune femme se réjouit d’être au grand air et de pouvoir continuer à travailler, la main d’oeuvre saisonnière se fait rare, et surtout, elle et son mari ont les enfants à charge. Par conséquent, ils ne peuvent travailler qu’en alternance et rallongent leurs journées pour absorber leur masse de travail. “Les conditions climatiques font que la vigne est très en avance cette année, et je travaille de 6h à 20h30 pour parvenir à tout faire. Je vois moins mes enfants que d’habitude, et nous sommes si fatigués que la patience nous manque.” déplore Amandine. Car l’accueil d’urgence de l’école est réservée aux enfants des soignants, sans dérogation possible. “Nous sommes dans une situation critique mais il y a aussi les caissières, les livreurs etc qui sont forcés de poser des congés pour garder leurs enfants.”
Et si Amandine aimerait bien pouvoir souffler, elle explique que la vigne n’attend pas. Pas de travail cette année signifie pas de récolte l’an prochain. “Nous sommes tenus de travailler mais aucune solution d’aide n’est proposée pour nos enfants, ou pour trouver du personnel. On nous propose un report des charges sociales, mais elles sont cumulables avec celles de juin-juillet que nous devrons payer sans rentrée d’argent.” C’est ainsi qu’à ce stade, la vigneronne ne voit pas de solution, et souhaiterait qu’on remette l’agriculture au centre de l’attention française. “Lorsque les produits de base vont nous manquer, nous importerons. Et on voit bien en ce moment que ce n’est pas une solution”.
L’autre problème auquel il faut faire face : les ventes réduites à néant. Amandine explique n’avoir aucun revenu depuis deux mois, au coeur de la période clé des salons, foires et marché en vue des mariages de l’été. “Tout est annulé, on ne peut pas livrer hors de la région alors que mes clients sont plus loin. Nos charges ont augmenté pour compenser la main d’oeuvre perdue.” Pour elle l’emprunt proposé par l’état n’est pas une solution, car il reste une dette difficilement remboursable si le moindre problème supplémentaire venait à se présenter. Alors elle préfère entamer sa trésorerie personnelle, en espérant que cela ne dure pas trop longtemps.