Qu'est-ce qu'on attend? est un documentaire sur le village en transition d'Ungersheim, en Alsace. Comment vous est venue l'idée du sujet ?
Alors que je présentais Sacrée croissance [film recensant des solutions alternatives à la crise dans le monde entier – NDLR], Jean-Claude Mensch, le maire d'Ungersheim, est venu me voir et m'a dit que, dans son village, ils faisaient déjà cela. Je suis donc allée sur place et j'ai voulu partager leur expérience passionnante. Pour moi, c'est une suite logique. Avec ce film, on est dans le très concret, le très local. Je n'invente rien, je filme des gens formidables!
Maraîchage bio, circuit court, autonomie énergétique… Les solutions proposées à Ungersheim sont-elles transposables dans une grande ville ?
Selon des études, Toronto pourrait couvrir sur son territoire jusqu'à 60% de ses besoins en denrées périssables. L'agriculture urbaine est possible si on préempte des terrains, si on cultive sur les toits… Côté autonomie énergétique, on peut miser sur la création d'un cadastre solaire permettant de recenser les toits bien orientés pour envisager de les couvrir de panneaux solaires. Une autre piste concerne les déchets alimentaires, une biomasse à valoriser. Tout cela entraîne une réflexion globale sur ce dont on a vraiment besoin pour vivre. Je pense que cela encouragerait l'exode urbain.
Justement, ce dernier vous paraît-il être la solution?
Le mouvement est lancé : l'Insee a noté pour la deuxième année consécutive qu'il y a plus de gens qui vont de la ville à la campagne que l'inverse. Il faut rendre désirable un mode de vie rural fondé sur la sobriété. Ce qui ne veut pas dire vivre à l'âge de pierre. Comme on le voit dans le film, c'est même plutôt high-tech! L'avenir est à la campagne, certainement pas à l'agrandissement continu des villes.
À Ungersheim, le projet de transition est porté par une centaine de personnes. Le reste des habitants de la commune suit-il ?
Lorsque 10% de la population adulte d'un territoire, quelle que soit la taille de celui-ci, se mobilise pour un projet commun, les lignes bougent; 10%, c'est un point de bascule. À Ungersheim, la municipalité s'est engagée depuis vingtans et aujourd'hui ils sont arrivés à ce point de bascule. On voit bien que cela permet de transformer un territoire.
Parlez-nous de Richelieu, le cheval de trait comtois mascotte du village…
Le cheval dans la ville, c'est une présence. Avec l'équipe, pendant le tournage, dès qu'on l'entendait arriver, on se réjouissait ! Les enfants aiment le caresser, il les amène à l'école, participe aux travaux des champs… Il impose un autre rythme et nous rappelle que l'on peut changer de mode de vie, de paradigme.
Dans votre film, les interventions face à la caméra donnent l'impression au spectateur d'être directement interpellé…
Les entretiens en studio sont la force du film. Les spectateurs se reconnaissent dans les interventions.
Un jeune diplômé se retrouvera dans Jean-Sébastien, l'ancien vétérinaire devenu maraîcher bio, un cadre dans Muriel, membre de l'éco-hameau, un agriculteur dans Aimé… Je suis très heureuse de cet effet miroir, c'était le pari et c'est réussi : lors des projections en avant-première les gens me disent: "Ça pourrait être nous". Ce n'est pas une belle histoire à l'autre bout du monde, ça se passe dans notre pays. Dans toute la France nous avons les mêmes besoins vitaux et les mêmes moyens : on a tous un maire et un conseil municipal. Si on a envie de faire des choses ensemble, on peut agir.
À travers ce film, vous soutenez des "lanceurs d'avenir". Que signifie cette expression?
Les lanceurs d'avenir font des choses importantes pour la planète mais aussi pour les gens. Dans les pays développés, on pense souvent que la transition implique des sacrifices. Le film montre bien que ce n'est pas le cas. La transition, c'est remettre les choses à l'endroit. Il faut réfléchir ensemble et par soi-même, et être cohérent entre ses propos et ses actions. Se poser des questions, c'est entrer dans une logique d'autonomie intellectuelle, remettre en cause des fonctionnements, rechercher des solutions.
Vous semblez accorder une grande importance à la question du lien…
C'est essentiel! Donner envie aux gens de faire des choses ensemble, ça donne du sens à nos actions et ça rend heureux. Le lien renforce la diversité, donc,par richochet,la résilience, c'est-à-dire la capacité à se préparer pour encaisser les chocs à venir.
Vous insistez sur l'échelon local, mais le but n'est quand même pas de se couper du monde?
Au contraire, il faut rester ouvert, les idées viennent en partageant. Je crois beaucoup dans la force des réseaux. Aujourd'hui, l'économie ne relie rien, elle ne mesure pas les impacts négatifs produits ailleurs pour un service obtenu chez nous. L'économie à venir, c'est celle du "care", c'est-à-dire celle qui prend soin. Il faut réapprendre à prendre soin des ressources, de l'environnement, de l'écosystème, car on en dépend pour vivre. Le soin ne peut se prodiguer que là où l'on est, avec nos proches et les gens avec qui l'on partage un même territoire. Si chacun agit en faisant attention à l'endroit où il vit, tout change par la force du réseau.
Justement, en parlant d'économie, on voit bien dans le film que beaucoup de projets sont avant tout portés par des bénévoles. Est-ce pérenne?
Il y aura toujours des emplois, même dans l'économie du care. Mais, dans une économie post-croissance, le travail salarié ne représentera plus qu'une vingtaine d'heures dans la semaine. Le temps libre sera consacré à des activités au sein d'associations, auprès des plus jeunes ou des plus anciens, ou bien pour soi. À Ungersheim, ils n'ont pas théorisé, ils sont dans la pratique. La conserverie a généré un emploi fixe et s'appuie sur les bénévoles. Lorsque Jean-Sébastien, qui gère la régie agricole, doit planter ses patates, il a besoin de bénévoles pour l'aider. Et tant mieux, les gens sont contents de participer à des projets collectifs.
Il y a de nombreuses femmes dans le film. Quelle est leur place dans la transition?
De manière générale, elles ramènent l'écologie à la maison. En tant que mères, les femmes sont les premières à prendre soin des autres. Je leur ai même consacré un film: Femmes pour la planète [2015 – NDLR]. Partout autour du monde, les femmes sont sensibles au sujet de l'avenir, elles s'inquiètent pour leurs enfants. Je me rappelle une paysanne népalaise qui ne connaissait pas le concept de "réchauffement climatique" mais qui m'en décrivait très bien les conséquences. Elle percevait les risques et, tout de suite, elle disait: "Je suis inquiète pour mes enfants". Les femmes transmettent la vie, mais aussi les modes de vie et la capacité de vie.
À titre personnel, consommez-vous bio?
C'est une évidence aujourd'hui, mais c'est venu progressivement. Quand j'ai commencé à m'y intéresser, ça a été un choc! Dans les années 1990, on n'en parlait pas du tout. Aujourd'hui, je suis bio à 95%. Il y a des aliments que je ne peux absolument pas manger s'ils ne sont pas bio. Je me fournis dans les AMAP (1) ou chez des commerçants en qui j'ai confiance. Il y a un Jardin de Cocagne (2) près de chez moi, j'ai un jardin et mes parents ont un grand potager. Dernièrement, je suis repartie de chez eux avec dixcitrouilles, j'en ai pour tout l'hiver!
D'un côté, ces actions positives. De l'autre, des annonces comme la fusion Bayer-Monsanto (3). Comment conserver notre optimisme?
Au niveau global, on est encore loin des 10% de mobilisation dont je parlais tout à l'heure. Mais si on essaie tous de manger bio, local et de saison, en étant très exigeants sur la provenance des produits et en changeant certaines habitudes alimentaires, eh bien Monsanto et Bayer ont du souci à se faire! Toutes ces multinationales ne tiennent que parce qu'on achète leurs produits. C'est quand même leur grande fragilité. Et donc notre force.
(1) : Les AMAP sont des associations qui mettent en relation petits exploitants et consommateurs dans une logique de circuitcourt et de solidarité.
(2) : Les jardins du Réseau Cocagne sont des structures qui aident des personnes éloignées du marché de l'emploi à se réinsérer. L'activité de maraîchage bio sert de support à la formation.
(3) : Le 14 septembre dernier, Bayer, le géant allemand de la chimie, a annoncé le rachat de Monsanto, fabricant américain de pesticides et de semences OGM, pour 59milliards d’euros.
Le film " Qu'est-ce qu'on attend ?", un documentatire de Marie-Moniqeu Robin, produit par M2R. Sortie le 23 novembre 2016.