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Pourquoi les abeilles sont toujours menacées ?

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Audrey Etner
Audrey Etner
Mis à jour le 25 février 2021
Alors qu’on multiplie les actions pour protéger les abeilles, celles-ci continuent à s’éteindre. Une récente enquête commandée par l’Unaf* révèle que les mesures de sauvegarde de notre principal pollinisateur sont totalement insuffisantes. Et si on réenchantait le monde en plantant les bonnes graines ?

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Cet article a été publié dans le magazine Fémininbio #15 Février-Mars 2018

Voilà un bon moment qu’on a compris que les abeilles disparaissaient en masse. Un peu plus de vingt ans. Voilà aussi qu’on s’inquiète pour nous, humains, parce qu’on sait qu’une grande partie des cultures à travers le monde dépendent des insectes pollinisateurs, en particuliers des abeilles (1). Ces dernières jouent donc un rôle essentiel pour notre survie : gardiennes sacrées de la biodiversité, elles assurent notre sécurité alimentaire et produisent de précieux outils médicinaux tels que le miel, le pollen, la propolis et la gelée royale. Alors, que fait-on pour régler ce problème majeur qui menace notre écosystème ?

D’un côté, il y a ceux qui travaillent à des solutions de remplacement, comme l’intelligence artificielle et ses mini drones capables de reproduire les trajets de pollinisation.

De l’autre, ceux qui espèrent sauver nos chères pollinisatrices, ne serait-ce que pour des raisons économiques.

Depuis 2013, des plans de sauvetage gouvernementaux sont mis en place, interdisant l’usage des "produits phytosanitaires ayant des effets délétères sur les pollinisateurs […] Au niveau européen, suite à l'avis de l'EFSA de 2013, la Commission européenne a décidé d'interdire l'utilisation de substances néonicotinoïdes sur les cultures qui attirent les abeilles et sur les céréales […]." (2)

"Néonicotinoïdes", de quoi parle-t-on ici ? Derrière ce nom scientifique, des insecticides utilisés depuis 1994 en France, qui sont absorbés par les plantes et qui se retrouvent dans le pollen et le nectar des abeilles. Le problème c’est qu’ils agissent directement sur le système nerveux central des abeilles et les tuent.

Toujours exposées aux insecticides neurotoxiques

Bonne idée, donc, d’interdire leur utilisation ! Sauf que la réalité est tout autre. Déjà, le marché compte aujourd’hui 7 molécules différentes de la famille des néonicotinoïdes autorisées. Sur les 7, seulement 3 ont été interdites d’usage sur les plantes attractives pour les abeilles, qu’on nomme "mellifères".

Ensuite, ces insecticides ont la particularité d’être extrêmement persistants dans les sols. On parle d’une rémanence de 80 à 98 %. Lorsque des cultures traitées laissent place à d’autres, non traitées (grâce à la rotation), celles-ci sont contaminées par le sol. Un cycle infernal.

Enfin, des analyses ont démontré l’omniprésence de ces neurotoxiques dans tout notre environnement (eau, air, sols) et donc dans le corps humain, malgré des risques pour la santé prouvés par plusieurs études, dont une de l’Anses.

Aujourd’hui, on compte 6 millions d’hectares de cultures traitées aux pesticides néonicotinoïdes (3), soit par pulvérisation, soit directement au niveau des graines que l’on sème dans les champs, les semences. Un chiffre qui serait même largement sous-estimé selon une enquête de l’Unaf.

Enrober les semences… une perte considérable pour notre mémoire collective

Des graines traitées aux pesticides ? Voilà une pratique dont on entend peu parler. Comment en sommes-nous arrivés là ?

Il y a fort longtemps, on semait les graines à la main. Une époque révolue depuis l’après-guerre et l’avènement de l’agriculture "industrielle" : des machines ont remplacé le travail manuel pour nourrir la population. Les graines, de toutes formes et de toutes tailles, ont été enrobées d’argile pour avoir toutes le même calibre et être plus facilement déposées mécaniquement dans les champs. C’est dans cet enrobage que les fabricants ont ensuite eu l’idée d’intégrer différents agents phytosanitaires (le nom commercial des pesticides) pour qu’elles poussent dans des conditions optimales.

Un problème très sérieux selon Karine Fleith, actrice du Mouvement des femmes semencières, qui anime des ateliers sur la semence. "On a devant les yeux la merveilleuse encyclopédie de la nature, et le système actuel efface cette mémoire. On assiste, impuissants, à l’uniformisation de nos vies à travers le premier maillon de notre alimentation". Elle poursuit : "Les graines enrobées sont l’équivalent des poissons carrés ; les enfants croient que les graines sont des boules de couleurs uniformes", et c’est ainsi que la connaissance de la variété des semences se perd de génération en génération.

Des semences traitées en "prévention"

Constatant que la mortalité des abeilles ne diminue pas malgré les mesures prises pour réduire l’usage des néonicotinoïdes, on est en droit de se questionner : ces produits ne seraient donc pas en cause ?

Ce serait oublier une partie de l’usage qui en est fait. Car si la directive européenne pour une utilisation durable des pesticides prévoit que "ces produits ne devraient être appliqués que si la présence de ravageurs est constatée et la fréquence des traitements agrochimiques devrait être réduite autant que possible", le traitement au niveau de la graine est bien préventif (le champ n’est pas encore attaqué) et systématique, car réalisé en usine et standardisé.

Et si un espoir est permis avec l’interdiction totale de ces molécules prévue par la France en septembre 2018, il faut bien comprendre que, jusqu’alors, le traitement des semences échappe totalement à la réglementation.

Oui, on peut se passer des néonicotinoïdes...

Le changement est très difficile, car l’agriculture intensive est organisée autour de l’utilisation de ces molécules. C’est tout un système qui nourrit cette pratique. Mais des alternatives existent, notamment en bio, pour remplacer ces insecticides, et ce, sans baisse de rendement lorsqu’on sait cultiver sans chimie (4).

…et reprendre la main, chacun à son niveau

Tout cela nous paraît se jouer hors de notre portée. Et pourtant, les solutions sont là. C’est ce que prouvent les animations de Karine Fleith autour de la semence, dont la dernière s’est déroulée dans l’univers bétonné du quartier de La Défense, en bordure de Paris.

Au milieu des tours grises, les boîtes-loupes de Karine, contenant chacune une graine différente. Relier chaque plante à sa graine. "Ces moments sont toujours source de joie et d’enthousiasme, car les gens ont naturellement ça en eux, même les plus urbains. Au contact de la terre, les souvenirs, les mémoires, la sensibilité émergent, partage Karine, j’ai toujours droit à des confessions entre deux cueillettes."

Reine des abeilles, ouvrières, bourdons… Un modèle si parfait de vie en communauté qui s’éteint peu à peu sous nos yeux. Replongeons au cœur de la ruche, et saisissons notre chance de nous émerveiller encore devant ces mystérieuses alvéoles hexagonales dont dépend notre survie. Il n’est presque pas trop tard.

NOTES

* Union nationale de l'apiculture française, enquête du 19 octobre 2017.

(1) Inra, Abeilles, reines de la survie. Les pollinisateurs servent à la reproduction de 80 % des plantes à fleurs selon l'INRA. Les chiffres varient pour les plantes cultivées dans leur ensemble, certains disent 80 % ou plus, et d’autres 2/3. Cela dépend si on parle des variétés ou des volumes produits. Le blé, par exemple, qui représente de gros volumes de production en France, s’autopollinise. Donc, difficile d’être précis.

(2) Le rôle prépondérant des pesticides et des agents pathogènes dans le déclin des abeilles

(3) Pour comparaison, la surface des grandes cultures est estimée à 15 millions d’hectares et la surface agricole utile de terres arables est estimée à un peu plus 28 millions d’hectares (chiffres issus de l’enquête de l’Unaf).

(4) À l’exception de la culture du blé.

Pour aller plus loin
L'association Pollinis : pollinis.org
L’enquête
Le Mouvement des femmes semencières

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