Comment définissez-vous la méditation ?
C'est une troisième voie entre le sommeil immobile et l’éveil actif, une voie de la contemplation dont on a perdu l’habitude dans notre monde surconnecté. Elle nous rend présent à nous-mêmes dans l'instant. Quand on médite, la conscience est active sans pour autant réagir à l'environnement extérieur.
Et concrètement ?
Il n’y a pas une méditation mais des méditations. Cela va de l’exercice formel de trente ou trois minutes le matin, à la pleine conscience en descendant la poubelle ou en écoutant parler un ami. C’est avant tout une forme de présence à ce que nous sommes, à ce qui nous entoure, à ce que nous vivons. Les maîtres de méditation encouragent ainsi à être pleinement présents à chaque moment de la journée.
Que peut nous apporter cette pratique ?
Elle nous rend plus lucides, et donc plus heureux, tout simplement. La méditation régulière nous aide à digérer nos émotions négatives et à savourer l’instant présent. Des études soulignent que la quantité de bonheur qui émane des actes d’une journée ne dépend pas simplement de la nature de ces actes mais de notre présence à eux. Même si ce n’est pas son but initial, la méditation nous rend réellement plus heureux.
Ce n’est pas son but ?
Non, la méditation n'a pas de but. Si vous méditez en espérant un résultat, cela ne marche pas. C’est comme le sommeil. Quand on se met au lit en se disant : “Il faut que je m’endorme absolument”, c’est l’insomnie assurée. Méditer, c’est se poser dans l’instant sans poursuivre d’objectif immédiat.
Pourquoi faut-il se poser dans l'instant ?
Notre cerveau passe son temps à anticiper le futur et à réévaluer le passé. Le risque est alors de ressasser nos souvenirs ou de nous inquiéter pour des problèmes qui ne sont pas encore là. Être là, au présent, c'est mettre en pause la dynamique infernale du cerveau et désarmer ce stress, cette surchauffe cérébrale qui nous détruit, aussi bien nous-mêmes que nos proches.
Les effets bénéfiques de la méditation sont avérés scientifiquement ?
Bien sûr ! Il y a de nombreuses études à ce sujet. La découverte la plus spectaculaire sur le plan biologique est que la méditation ralentit le vieillissement cellulaire. La méditation empêche aussi l’expression de certains gènes liés au stress. Ce n’est rien de miraculeux, mais quand on s'arrête pour méditer, on se fait du bien.
La méditation n'est-elle pas un luxe destiné à ceux qui ont du temps libre ?
Est-ce un luxe de se promener en forêt, de manger sainement, de faire du sport ? Oui, si on est en mode "survie" dans un monde sauvage, mais dans nos sociétés modernes, on a dépassé la plupart de ces contraintes. On peut être préoccupé, mais c'est rarement par une question de vie ou de mort. La méditation est essentielle pour notre écologie intérieure. Méditer n’est pas un luxe. Plus on est occupé et plus on a de mal à méditer, plus il est important de le faire. C’est gratuit, écologique et pas si compliqué ni si long que cela.
Dans votre livre 3 minutes à méditer, vous proposez des outils pour méditer pendant les activités quotidiennes, lorsqu’on fait la vaisselle, par exemple. C'est utile pour ceux qui n'ont pas le temps...
Oui, contrairement à ce qu’on croit souvent, on peut méditer partout et en toutes circonstances. Il y a un monde entre une vaisselle faite en ruminant, en se plaignant, et une vaisselle acceptée comme un moment de vie, durant laquelle on est présent à chaque geste. Avec mon livre 3 minutes à méditer il y a un CD dans lequel je propose quarante petites méditations de trois minutes. Cela aide quand on est débutant et pressé.
La vaisselle, ce n’est pas très relaxant…
Tout dépend de votre état d’esprit. Si vous venez de réchapper à une maladie mortelle, faire la vaisselle peut être une joie simple que vous auriez pu ne jamais plus connaître. En tout cas, ça fait partie de la vie, comme toutes les autres tâches dites “ingrates”. C’est la différence entre méditation et relaxation. Dans la relaxation vous essayez de vous détendre, de visualiser des choses agréables, dans un cadre agréable. La méditation, au contraire, irrigue tous les moments de la vie, ceux qui semblent bons comme ceux qui semblent mauvais. Vous pouvez méditer sur votre mort, la maladie, le bonheur, les choses anodines, et tout cela en faisant la vaisselle.
Mais tous ces petits moments de liberté sont souvent envahis par la technologie : nos téléphones portables, Internet disponible partout... Comment en sortir ?
La méditation est une aide à la prise de conscience de notre servitude face au monde digital. On n'a pas besoin de répondre dès que le portable vibre, comme des chiens qu’on siffle. Internet est un progrès technologique mais c’est à nous de faire les progrès psychologiques nécessaires pour nous y adapter et rester autonomes. Il faut se détoxifier de ces écrans addictifs.
J’ai entendu dire que vous étiez nostalgique. La méditation vous a-t-elle aidé à dépasser ces vagues émotionnelles ?
Comme beaucoup de personnes j’ai un fond anxieux, un peu dépressif. La méditation m’a aidé non pas à ne plus ressentir d’émotions douloureuses, mais à ne pas y sacrifier plus de temps que nécessaire. Comme tout le monde, je m’inquiète et je m’exaspère parfois, et puis je réalise ce qui se passe en moi et je sors du ressassement. Le réel nous fait suffisamment de mal, pas la peine d’en rajouter avec nos pensées.
Comment réguler ses émotions grâce à la méditation ?
On doit d’abord les identifier en étant attentifs à ce qui se passe en nous. Si on se voile la face, on risque de foncer dans l’alcool, le travail, les écrans et autres addictions. Puis il faut faire un bilan complet de notre écosystème intérieur. Prendre conscience de l’énergie qui habite notre corps et notre esprit. Enfin, nous devons décider d’habiter et de surmonter notre émotion au lieu de la fuir ou de s’y enfoncer. Cela paraît plus facile à dire qu’à faire mais, dans la méditation comme dans le sport, tout est une question d'entraînement.
Cette pratique vous aide-t-elle dans votre profession de psychiatre ?
Dans mon métier, on écoute beaucoup. Mais il y a une différence entre écouter quelqu’un et l’écouter en pleine conscience. Lorsqu’un soignant méditant écoute, il ne prépare pas sa réponse, il ne juge pas. Quand le patient a fini de parler, il arrive qu’on ne réponde pas tout de suite. Cela en déconcerte certains. Puis ils comprennent qu’on était dans l'écoute et qu’on a besoin de ce temps d’adaptation pour revenir dans le dialogue.
Vous êtes religieux, y a-t-il un lien entre foi et méditation ?
Non, la spiritualité n’est pas nécessaire pour s’engager dans la pleine conscience. La méditation est une pratique tout à fait laïque et ouverte à tous. Rien ne prouve non plus que la pratique religieuse prédispose à la méditation. Beaucoup d’athées en tirent de grands bénéfices. Mais la méditation aide les personnes croyantes à prier, en les aidant à mieux poser leur esprit dans l’instant, à mieux ouvrir leur cœur.
Pourquoi les religions ne donnent-elles pas cet outil aux croyants ?
En Orient, les pratiques méditatives sont étroitement liées aux religions. Mais ici, le christianisme a mis de côté la méditation, tout comme elle a marginalisé les démarches mystiques. À une certaine époque, l'Église se méfiait de cet accès direct à Dieu. Aujourd’hui, les catholiques redécouvrent la tradition très riche des Pères de l’Église qui pratiquaient la méditation dès les premiers siècles après Jésus-Christ. Le regain de popularité de cette pratique est bienvenu dans un monde religieux parfois rigide et dogmatique.
Face à la violence qu’on voit tous les jours dans les médias, la méditation peut paraître un passe-temps futile...
Au contraire, elle aide à dépasser l’agressivité humaine. L'être humain naît bon, toutes les recherches scientifiques le prouvent. Les enfants savent naturellement consoler et aider. Au fil de la vie, notre éducation et nos fonctionnements sociaux créent une peur en nous. Nous devenons égoïstes et renfermés. Pourtant, notre cerveau est câblé pour la collaboration et l’empathie. Il faut un travail sur nous-mêmes pour retrouver cet altruisme initial. La méditation nous met sur la voie.
Quel est votre espoir ?
Que le monde de demain soit encore plus beau que celui d’aujourd’hui. On se plaint beaucoup de notre époque, on pense qu’elle est violente. Mais les siècles qui nous ont précédés l’étaient beaucoup plus. Le progrès c’est que nous sommes devenus de plus en plus intolérants à la violence. Nous ne supportons pas que les femmes et les enfants soient battus ou que certains soient discriminés à cause de la couleur de leur peau. C’est une très bonne chose. Mais l’inconvénient, c’est que nous nous concentrons sur ce qui ne va pas, sans prendre conscience du chemin parcouru.
Pourtant, il faut continuer d'agir contre la violence. Méditation et action ne sont-elles pas antinomiques ?
Pas du tout ! On est de bien meilleurs citoyens si on est en paix à l’intérieur de nous-mêmes plutôt que ravagés par la colère, la jalousie, l’envie ou la rancune. L’apaisement de notre subjectivité bouillonnante nous est bénéfique à nous-mêmes mais aussi à la société. Gandhi disait : “Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde.” C’est ça le sens profond de la méditation. La paix intérieure facilite la paix extérieure. Il y a d’autres voies pour la paix extérieure : politiques, diplomatiques, économiques, militantes… Mais sans la paix du cœur, elles ne peuvent aboutir durablement.
LE LIVRE
Christophe André publie en ce début d'année
3 minutes à méditer aux éditions L'iconoclaste (19,90 €).