La pionnière du sexe n'a pas fini de faire parler d'elle. Celle qui commençait déjà à populariser le féminisme au début des années 2000 revient cette année avec non pas un, mais deux livres qui occuperont certainement les tables de chevet de bon nombre d'entre nous. Publiés en pleine période de libération de la parole des femmes, l'essai Sortir du trou, lever la tête et la compilation de chroniques Le sexe selon Maïa tombent à pic pour qui veut remettre ses pendules à l'heure sur la sexualité, la vraie. A cette occasion, la sexperte a accepté de répondre aux questions de FemininBio, sans langue de bois.
FemininBio : Dans votre livre Sortir du trou, lever la tête, vous soulevez le fait que les femmes sont victimes de nombreuses injonctions et que la période MeToo a permis de mettre en avant ces problématiques. Ces questionnements représentent-ils un danger pour la sexualité contemporaine ?
Maïa Mazaurette : Absolument pas, au contraire ! Les questions ne sont jamais un danger, c’est au contraire quand on se complaît dans les certitudes que les choses se compliquent, parce qu’on manque d’agilité intellectuelle. La sexualité, c’est du relationnel, y compris avec soi-même. Pour dialoguer, il faut pouvoir être ébranlé, changer d’avis, retourner carrément sa veste. L’alternative consiste à ignorer ses partenaires ! Nous sortons doucement d’une longue période de silence sur les questions sexuelles, et ce silence a manifestement desservi tout le monde. Même si nous traversons une période troublée, elle est beaucoup plus riche et c’est une chance !
Et pour le plaisir féminin ?
Même réponse : tout l’imaginaire voulant que les femmes prennent du plaisir en étant désirées uniquement, en étant passives, en faisant preuve de masochisme, en fusionnant dans la pénétration, est non seulement invalidé par les études en sexo, mais aussi par quantité de témoignages. Il était plus que temps de sortir des vieux modèles, parce qu’ils ne fonctionnent pas. En tout cas pas pour une majorité des femmes (les trois-quarts). Ensuite, on n’est pas obligés d’abattre l’ancien monde non plus. Tant qu’il y a une prolifération de discours, moi, j’estime que le boulot est fait. S’il reste des femmes qui préfèrent le tout-pénétratif bourrin, et que sincèrement elles sont heureuses, amen.
Comment pouvons-nous repenser la sexualité après toutes ces remises en question ? Cela doit-il passer par une réappropriation des corps ?
Une réappropriation des corps dans leur entier (être une femme du clitoris aux orteils), mais aussi de tout le spectre du genre (féminin, masculin et au-delà), du cerveau (faire attention à l’instant présent), des imaginaires (et pas seulement le porno), des sentiments, des valeurs, de la relation... souvent en sexualité, on nous demande de nous découper en morceaux. Moi, je propose de tout aligner.
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Qu'est-ce que la sexualité vanille ? Pourquoi est-elle autant discutée ?
La sexualité vanille est un mot qui vient des milieux alternatifs, et qui décrit les pratiques dites normales. C’est dit avec beaucoup de condescendance, puisque la vanille, c’est le parfum qui plait à tout le monde, un peu bateau, pas très intéressant. Le sexe vanille s’oppose au sexe pimenté, dont les ressorts reposent sur la douleur, la honte, la contrainte, la précipitation, l’insulte, la dissolution, le danger, l’humiliation... Personnellement, je trouve que le sexe vanille est bien plus vaste que le missionnaire auquel on voudrait le réduire. C’est ce dont je parle dans mes livres : qu’est-ce qu’on peut proposer comme répertoire érotique solaire, lumineux, qui ne fasse de mal à personne et qui soit quand même varié.
Que pensez-vous des alternatives au sexe dit "conventionnel" comme le slow sexe ou le tantrisme ?
Ce n’est pas très alternatif, en fait. On reste sur des choses très genrées, low-tech, avec beaucoup de pénétration vaginale. C’est intéressant, bien sûr. Mais à mon sens, premièrement ça ne suffit pas, deuxièmement il faudrait dépoussiérer ces schémas. Mais évidemment, je ne peux que recommander d’explorer ces pistes, pour les réinventer et les dépasser.
Dans votre livre, vous faite référence à l'altérité qui oppose Vénus et Mars. Comment cette dernière influence t-elle la sexualité entre les femmes et les hommes et ce phénomène est-il inévitable (si tant est qu'il faille l'éviter) ?
Je trouve cette altérité intellectuellement stérile : on pense par deux, ce qui est vieux comme le monde (un certain monde d’ailleurs, puisque certaines cultures ont plus que deux sexes) - or la science nous montre que les notions de féminin et de masculin sont archi-bancales. Je préférais qu’on pense en plus que deux, en courbes, en trajectoires, en cercles, en ondulations, et bien sûr en profondeur.
Surtout que cette binarité n’est généralement pas bien généreuse : même si on a une façade de bienveillance (les nanas sont formidables), cela construit des oppositions (elles sont formidables mais elles ne savent pas faire de créneaux), voire des incompréhensions (on trouve ça dans les articles pour se décrypter mutuellement, personnellement je parle la même langue que les hommes). Alors qu’on pourrait penser en continuité. Surtout, en 2020, il est temps d’inventer autre chose, avec des corps qui se mélangent de mille manières différentes. Cette contre-culture qui monte est ambitieuse, stimulante, et elle nous rapproche les uns des autres. C’est tout le mal que je nous souhaite !
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Notre sexperte
Maïa Mazaurette est l'auteure de Sortir du trou. Lever la tête paru aux éditions Anne Carrière et Le sexe selon Maïa aux éditions de La Martinière.