Être femme n’est pas un long fleuve tranquille. Là où le corps des hommes vit une transformation majeure à la puberté, celui des femmes change tout au long de leur vie. Entre les règles, la contraception, l’IVG, les fausses couches, la ménopause, etc., les femmes vivent potentiellement des bouleversements physiologiques intenses qui ne sont pas toujours entendus par le corps médical, où même le consentement fait parfois défaut.
Dans sa pratique, Martin Winckler écoute les souffrances et les angoisses des femmes depuis plus de quaranteans. Rencontre à l’occasion de l’enregistrement du podcast Métamorphose pour parler du corps et d’une médecine au service des femmes.
Vous êtes un homme féministe qui affirme que la santé a besoin de justice, d’équité, de solidarité, de sororité. Qu’est-ce qui, dans votre parcours, vous a mené à cet endroit ?
Dans ma famille, les femmes avaient la parole et étaient autant considérées que les hommes. J’ai donc démarré dans la vie avec cette idée un peu naïve d’égalité. Je suis devenu médecin, dans la lignée de mon père qui soignait tout le monde sans discrimination. Très tôt, je me suis intéressé à la contraception, préoccupation importante dans les années 1970. J’ai travaillé au centre de planification et ainsi compris que les femmes souffrent plus fréquemment que les hommes de problèmes chroniques liés à leur physiologie. Qui dit soigner les femmes dit les écouter, et les croire sur parole, car je suis un homme et je n’ai pas un corps de femme.
A lire sur FemininBio Contraception masculine : place aux hommes sur une charge portée par les femmes
Vous évoquez dans votre ouvrage la notion de "charge physiologique" des femmes. Pouvez-vous nous expliquer ?
La physiologie féminine est beaucoup plus sophistiquée que celle des hommes, notamment parce que les femmes portent les enfants. Leur biologie complexe peut engendrer des symptômes de façon plus fréquente, ne serait-ce qu’avec les règles. Être une femme, c’est pas de la tarte! À partir de la puberté tout change entre les hommes et les femmes : physiologie, psychologie, sensibilité, etc.
Pourquoi l’attitude et le discours médical échouent à régler les vrais problèmes des femmes ?
C’est surtout vrai en France, qui a une société machiste, patriarcale et sexiste. La formation des médecins reflète ce sexisme, en prenant pour physiologie de référence la physiologie masculine, c’est-à-dire “du tout ou rien”. Les médicaments, dès lors qu’ils sont testés de manière sérieuse, ne le sont pas sur les femmes, car leur physiologie n’élimine pas de la même façon. Donc si vous êtes une femme et que vous prenez un médicament, il n’a pas été testé sur un foie, un rein de femme, les organes qui, par leur fonction d’épuration, déterminent les potentiels effets secondaires. Les scandales ont été nombreux et on peut citer ceux de la Dépakine, de la Thalidomide, du Distilbène… Malgré tout on continue d'être aveugles.
Vous avez le sentiment que les soignantes sont plus attentives à des problèmes de femmes ?
La majorité des professionnelles de santé toutes professions confondues sont des femmes, mais ce sont encore les hommes qui enseignent. Or, homme ou femme, on peut être très bon ou très mauvais médecin en fonction de l’attention que l’on accorde à son patient. Lorsqu’on me dit “tel médecin est très compétent, mais c’est une catastrophe sur le plan humain”, je réponds que ce médecin ne peut pas être compétent. Nous soignons des humains, non des machines ou des “cas”. Heureusement, la situation s’améliore, notamment grâce aux nouvelles générations, beaucoup plus sensibles.
Le poids de ces normes est-il, selon vous, aliénant pour les femmes ?
On est encore victimes de dogmes provenant de l’Ancien Régime, du catholicisme ou encore de la psychanalyse. Un certain nombre de médecins continuent à porter un jugement sur le choix des femmes, notamment concernant les IVG, ou la ligature des trompes. Donner les informations fait partie de la formation du médecin. Dire “dans votre inconscient ce n’est pas ce que vous voulez” ou “vous risquez de le regretter” n’en fait pas partie. Ces actes sont légalement possibles à partir de 18 ans, avec 4 mois de réflexion. Au-delà les femmes comme les hommes sont libres de disposer de leur corps. Le regret fait partie de la vie. Refuser un acte en présumant un regret est paternaliste, sexiste et inacceptable sur le plan moral de la part d’un médecin qui n’a pas à dicter ses propres valeurs à la personne qu’il soigne. Il doit accompagner ses décisions et faire en sorte qu’elle les vive au mieux. Aucune question de cette sorte ne se pose lorsqu’on parle des hommes !
A lire sur FemininBio Pilule contraceptive : pourquoi les règles sont-elles fausses et quelle alternative naturelle privilégier ?
Chaque corps vit et souffre différemment. Quelles conséquences peuvent avoir les tabous autour des douleurs menstruelles ?
Il serait nécessaire d’instaurer une éducation physiologique à l’école pour sensibiliser à la perception de la douleur qui varie en fonction des individus. La notion de “douillet” devrait disparaître du vocabulaire, car c’est quelque chose qu’on ne contrôle pas. La sensation de douleur est aussi personnelle que la faim. Lorsque quelqu’un dit “j’ai faim” on ne conteste pas, et il devrait en être de même lorsqu’on dit “j’ai mal”.
Concernant les douleurs de règles, non seulement les femmes ne sont pas prises au sérieux, mais on leur répond “c’est normal, vous avez vos règles”. Eh bien non, ce n’est pas normal d’avoir mal quand on a ses règles puisque nombre de femmes n’ont pas de douleurs.
La norme, c’est soi-même, et le soin doit être obligatoirement personnalisé.
On a l’impression ces dernières années de découvrir le clitoris. Pourquoi l’organe du plaisir a-t-il été si longtemps ignoré par la science ?
Le plaisir féminin est subversif car il n’a pas besoin d’homme. Dans une société patriarcale, cela est vu comme une menace. La physiologie générale des femmes n’étant pas enseignée, celle du plaisir est encore plus enfouie et encore une fois teintée de nombreux préceptes.
Aujourd’hui, avec la diffusion de l’information, les femmes se rendent compte des mensonges et des oppressions dont elles font les frais, et le changement de paradigme médical interviendra grâce à une pression de la population globale.
La corporéité des femmes est-il vraiment le dernier bastion du féminisme à conquérir ?
Fondamentalement le combat féministe est pour l’égalité de tous, dans le respect et la reconnaissance des spécificités de chacun. Par exemple, dans le travail, la prise en compte des enfants n’est pas du tout la même chose pour un homme ou une femme.
Quand une femme est enceinte, c’est elle qui prend les risques, et ce n’est pas à l’homme de choisir comment mener cette aventure. Toutes les luttes doivent être menées en même temps, pour l’égalité et le respect de la personne pour ce qu’elle est.
Et lorsqu’on subit insultes et violences gynécologiques, alors chacune doit se sentir libre de sortir du cabinet sans payer le praticien qui n’a alors pas le droit de vous soigner dans ces conditions.
En matière de contraception, on voit là aussi beaucoup de pratiques abusives. À quoi les femmes peuvent-elles se référer pour savoir ce qui est normal ou non ?
Il est important que toutes les femmes sachent que les médecins généralistes et les sages-femmes sont tout à fait à même de prescrire un contraceptif. De plus, vous n’avez pas besoin d’être examinée en cas de prescription d’une pilule ou autre méthode qui ne nécessite pas un geste médical. Par exemple, l’examen gynécologique ou des seins chez une jeune fille est inadmissible si elle ne se plaint de rien. Il ne repose sur aucune raison médicale.
A lire sur FemininBio Contraception : bien connaître son cycle et sa fertilité
L’examen préventif annuel chez les femmes de tous âges est également infantilisant et patriarcal. Je ne connais pas de femme qui ne pensera pas à demander conseil si elle souffre. La norme acceptable est de pratiquer un frottis après 25 ans ou huitans après le premier rapport sexuel, puis tous les trois ans si le frottis est normal. Enfin, la pose d’un stérilet demande une information préalable permettant de diminuer le stress, et ne doit pas être douloureuse.
La ménopause est considérée comme une étape positive dans de nombreuses cultures. Comment faire pour qu’il en soit de même dans notre société ?
Selon moi c’est plus un problème de société qu’un problème médical. Le respect offert aux hommes de plus de 50ans devrait être équivalent à celui offert à une femme qui a passé la cinquantaine, avec une expérience de vie inestimable. Contrairement aux hommes, la vie physiologique des femmes de plus de 50ans, même sans maladie grave, a été extrêmement riche, agitée et a conditionné sa vie sociale.
J’ai vraiment appris de toutes les femmes au cours de ma carrière, et je continue à apprendre aussi bien des jeunes femmes que de celles de plus de 50ans. Cela permet de voir la vie après la ménopause comme un moment pour partager tout ce que l’on a appris de son vécu. C’est un changement de paradigme psychologique et social à venir.
Retrouvez l’intégralité de l’interview de Martin Winckler au micro d’Anne Ghesquière dans Métamorphose, le podcast qui éveille la conscience.
Retrouvez les conseils de Martin Winckler dans ce livre passionnant C’est mon corps, paru aux éditions L’iconoclaste, et sur son site internet consacré à la gynécologie, martinwinckler.com.