Ils sont à l’origine de beaucoup d’impasses dans la construction amoureuse, ce que je constate avec ceux que je reçois, hommes ou femmes, qui ont une volonté de partager un chemin de vie et qui, selon leur expression, n’y arrivent pas. Si la réponse est très souvent du ressort de la psychanalyse, afin qu’ils puissent appréhender les conséquences des aléas de leur enfance dans leurs relations amoureuses, la plupart du temps, cela ne suffit pas. En effet, il est surprenant de voir comment des phénomènes de répétition inconscients sont à l’œuvre : difficile de se construire sans comprendre ce qu’ont été, non seulement le couple de nos parents, mais ceux des générations antérieures. A la base de ces difficultés d’aujourd’hui se trouve la condition ancestrale des femmes.
La pensée de la femme et du couple moderne ne peut changer ce qui s’est transmis d’inconscient à inconscient entre générations et qui produit parfois des conflits psychiques inexpliqués. Un exemple : une jeune femme très indépendante au niveau professionnel et affectif veut fonder une famille mais elle n’arrive pas se fixer avec un homme. En réalité, la souffrance de ses aïeules, mariées à des hommes qu’elles aimaient peu, ayant eu des grossesses pas toujours désirées, lui a été transmise à travers cette injonction inconsciente: ne pas se stabiliser avec un homme ni avoir des enfants de lui. Françoise Héritier a montré dans La plus belle histoire des femmes (Seuil) qu’avant, on ne se mariait pas par amour. Les femmes vivaient donc des véritables catastrophes de vie car souvent, elles découvraient en même temps leur mari et la sexualité.
Cet archaïsme se retrouve dans un clivage actuel très fréquent chez elles : le prince charmant et le mari. Le prince charmant est celui qu’une femme a eu, qu’elle n’a pas eu, qu’elle aura et qu’elle n’aura pas, ce n’est jamais celui qu’elle a. Aujourd’hui encore, je reçois de très jeunes filles, pourtant inscrites dans la modernité, qui se fabriquent déjà ce prince charmant perdu ; leur conflit amoureux ne fait que répéter inconsciemment celui de leurs ancêtres féminines. Celles-ci n’avaient aucune issue à une union malheureuse, leur jouissance n’étant pas à l’ordre du jour et elles se devaient de rester à la maison. Les hommes pouvaient, eux, vivre la sexualité au dehors. Cet héritage explique de nombreuses difficultés sexuelles féminines actuelles mais aussi le clivage dont beaucoup d’hommes ont hérité, celui de la « maman et la putain », déguisé sous des aspects de modernité. Il peut se révéler dans leur sexualité au moment d’une relation sérieuse. Tant qu’ils sont avec des femmes passagères, ils jouissent, mais quand ils se stabilisent et aiment leur compagne, ils ne jouissent plus, car elle devient alors une « maman ».
Il en est de même pour un certain nombre de femmes qui, ainsi, n’arrivent pas à « aimer ceux qu’elles aiment » car ce sont des « maris ». Aussi, la question de la féminité et du couple, dépendante de ce qui nous constitue intérieurement, femme ou homme, n’engage pas seulement notre enfance et comment nous l’avons vécue, mais aussi ce qu’ont vécu les générations avant nous.
Bruno Clavier est psychanalyste, psychologue clinicien diplômé de Paris VII. Il donne des formations en France, en Belgique et au Canada en psychanalyse transgénérationnelle et psychogénéalogie au sein de l’association le Jardin d’Idées
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