Beaucoup de patients mettent un terme à leurs thérapies, parfois même dès le premier entretien. Plus connu sous le nom de drop out, cet intriguant phénomène d'abandon de thérapie à fait l'objet du livre "Construire la relation thérapeutique" qui s'adresse aux thérapeutes mais aussi à leurs patients. Pierre Gaudriault et Vincent Joly se sont intéressés à ce qui constitue le socle commun à toute psychothérapie.
Pierre, Vincent, pouvez-vous nous dire qui vous êtes et ce que vous faites ?
Pierre : je suis psychologue, j’ai longtemps travaillé en psychiatrie et maintenant en addictologie auprès d’adultes qui ont des difficultés avec la prise de substance ou avec la nourriture. L’aide psychologique peut être de quelques entretiens pour réfléchir à une situation de crise mais ça peut aussi durer plus longtemps, on établit alors une sorte de contrat d’entretiens réguliers, c’est ce qu’on appelle une psychothérapie.
Vincent : je suis psychologue, je travaille comme thérapeute d’enfants dans deux centres médico-psycho-pédagogiques à Nevers et La Courneuve. J’y pratique des thérapies d’orientation psychanalytique avec les enfants et les adolescents tout en gardant une grande place au travail avec les parents qui me semble essentiel.
Vous avez co-écrit ce livre, qu'est-ce qui est à l'origine de ce projet de co-écriture ?
Pierre : il y a cinq ans, nous avons commencé à participer à une équipe de recherche sur l’évolution en psychothérapie de femmes boulimiques. Nous avons présenté nos observations dans plusieurs congrès, à Louvain, à Angers et à Nancy. Et puis, à partir de 2010, nous avons eu envie de généraliser nos observations sur la psychothérapie, d’où ce livre.
Vincent : l’idée du livre s’est vraiment construite peu-à-peu. Notre travail sur les thérapies des boulimiques nous a amené à réfléchir à ce qu’est le processus d’une thérapie et notamment à ce moment si particulier et finalement assez peu étudié du début de la thérapie. Pourquoi quelque chose accroche ou n’accroche dans les premiers temps de la thérapie ? La question était suffisamment complexe et intéressante pour qu’il y ait matière à un livre.
Pouvez-vous nous expliquer à qui s'adresse ce livre ?
Pierre : en fait, nous aurions aimé expliquer à beaucoup de gens qui veulent entreprendre une psychothérapie un certain nombre d’embûches que l’on rencontre dans ce parcours et comment les surmonter. Mais quand nous avons présenté le projet à l’éditeur, il nous a dit que c’était beaucoup trop technique et qu’il fallait orienter le livre vers les professionnels. Je crois en effet qu’il peut intéresser tous les praticiens de la psychothérapie, mais après tout, il n’y a rien à cacher, et les personnes qui entrent dans cette aventure peuvent aussi tirer profit du livre que nous avons écrit, je crois, dans une langue claire et accessible.
Vincent : il me semble qu’on peut lire le livre de deux façons. On peut d’abord le voir comme un ouvrage permettant aux professionnels le soin de réfléchir sur ce qui se joue dans la relation thérapeutique, dans la rencontre thérapeutique. Mais certains lecteurs qui avaient vécu la thérapie de l’autre côté, du côté du patient, et qui ne sont pas psychologue m’ont dit que l’ouvrage leur permettait de regarder autrement ce qu’ils avaient vécu.
Pourquoi commencer une thérapie, à quoi cela sert-il et que peut-on en attendre ?
Pierre : c’est une question un peu plus compliquée qu’elle en a l’air. Je crois que beaucoup de personnes viennent à ce projet avec des raisons différentes qui leur sont propres. Elles se disent un jour que ça ne peut plus durer, elles ne se supportent plus comme elles sont et ont envie que ça change. Ou alors c’est leur entourage qui ne les supporte plus et leur conseille de se faire aider. Dans tous les cas, il y a une certaine souffrance psychique. On peut souffrir de pensées ou de peurs qui viennent de soi ; mais on peut aussi souffrir de situations insupportables comme la perte d’un être cher, la maladie, le chômage. Dans les deux cas, il peut y avoir un bouleversement psychique. D’où l’intérêt d’en parler à quelqu’un qui n’est ni un ami ni un maître à penser, mais avec qui on peut trouver un apaisement et une meilleure compréhension de soi.
Vincent : pour continuer sur ce que dit Pierre, on entend parfois dire qu’une thérapie "ça ne sert pas à grand-chose" ou que c’est un peu du luxe. Je crois que les thérapeutes sont parfois trop frileux sur cette question. Même si la question de la guérison est complexe, il faut dire que de nombreuses thérapies apportent un vrai changement et un vrai mieux être. C’est ce qui m’a le plus surpris quand j’ai commencé à travailler avec les enfants : dans des situations qui semblaient très difficiles et figées, on peut voir des changements extrêmement important en termes d’apprentissage, de qualité de vie de relation aux autres et à soi-même. Mais évidemment le chemin qui mène à ces changements n’est pas un long fleuve tranquille...
Vous parlez d'alliance, comment sait-on quand on est client ou patient que l'on a trouvé le "bon thérapeute", d'ailleurs qu'est-ce qu'un bon ou un mauvais thérapeute ?
Pierre : On a beaucoup dit que l’alliance était tout dans la thérapie, une sorte de bonne à tout faire pour le patient. C’est exagéré. Mais la question de l’alliance ne peut être négligée, parce qu’elle conditionne la capacité de s’engager, réciproquement, patient et thérapeute. Un bon thérapeute, c’est d’abord quelqu’un d’honnête et de bien formé professionnellement et personnellement. La formation est longue et difficile, il n’existe pas en France de formation officielle, mais la plupart des psychothérapeutes sont à la base psychologues ou psychiatres*. Enfin, un « bon » thérapeute pour un patient peut être moins bon pour un autre, ce qui ramène à la question de l’alliance.
Vincent : on voit d’ailleurs que deux patients pourront avoir des avis très divergents sur un même thérapeute. Il conviendra pour l’un mais peut-être pas pour l’autre. C’est pour cela qu’il est important quand on entreprend une thérapie de ne pas hésiter à aller consulter différentes personnes et ne pas se dire : « si cela n’a pas collé du premier coup c’est que la thérapie n’est pas faite pour moi ».
* Un psychologue clinicien est titulaire d’un master 2 de psychologie clinique et psychopathologie ; un psychiatre est un médecin spécialiste.
Qu'est-ce qui fait que l'on peut avoir envie d'abandonner sa thérapie et que l'on passe "à l'acte" sans parfois pouvoir en dire un mot ?
Pierre : C’est une question insuffisamment explorée, c’est ce que nous avons dit dans le premier chapitre du livre. Les abandons précoces de la thérapie (drop-out) sont fréquents, les raisons sont nombreuses et varient avec chaque cas. Je dirai surtout qu’il ne faut pas s’étonner ni se culpabiliser si la thérapie ne s’enclenche pas du premier coup : c’est peut-être une des caractéristiques de ce genre d’entreprise de passer par des moments de recul et d’avancée. Et ce qu’on n’a pas pu dire à un thérapeute peut se dire à un autre qu’on a rencontré plus tard.
Vincent : il y a d’abord cette dimension de rencontre dont je parlais un peu plus tôt. Il arrive aussi que l’on consulte sans vraiment savoir ce qui ne va pas. "Je viens vous parce que mon fils est agité à l’école". Certes. Mais au fil de la discussion, le patient – ici le parent qui emmène son enfant – peut se rendre compte que d’autres choses ne vont pas et cette prise de conscience peut être douloureuse.
Finalement, que serait une thérapie réussie ?
Pierre : on ne réussit pas une thérapie comme un coup de poker ou un examen. Mais on peut avoir le sentiment, ou pas, d’être arrivé à un stade satisfaisant. Ca n’est pas donné d’avance et il y a toujours une incertitude. Ca passe par la construction d’une relation avec le thérapeute et nous avons repéré cinq éléments dans cette construction : la demande, l’alliance, le transfert, la temporalité et le cadre. C’est ce que nous avons appelé des opérateurs de changement psychique, c’est-à-dire des moyens d’avancer vers un plus grand accord avec soi-même. Difficile à expliquer en quelques mots. Pour en savoir plus là-dessus, je vous invite à lire le livre. Lisez également le beau conte soufi de Farîd-Ud-Dîn’Attar, Le langage des oiseaux. Cette histoire raconte un voyage qui ressemble un peu à celui qu’on fait dans une thérapie.
Vincent : la réussite de la thérapie, à la fin du compte, c’est le patient qui l’évalue. Difficile d’en dire quelque chose de valable pour tous. Et on se rend compte que cette réussite correspond rarement (pour ne pas dire jamais) à ce que le patient pouvait imaginer au début du processus. De ce point de vue là, la thérapie est une histoire dont on ne connait pas la fin avant de l’avoir écrite.
"Construire la relation thérapeutique, prévenir l’abandon précoce, définir les enjeux du processus thérapeutique" par Pierre Gaudriault et Vincent Joly aux éditions Dunod.