La métamorphose de notre société est devenue une nécessité. Explications.
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"Le changement, c'est maintenant"... Voilà une idée que nous pourrions trouver bien enthousiasmante de la part du politique. Enfin un changement de modèle de société nous est proposé! Mais à y regarder de plus près, en scrutant à la loupe les projets et programmes de tous bords de gauche comme de droite, on y voit bien la proposition d'un changement d'homme, claire, nette, ou de prolongement d'une politique en cours, mais point de changement de paradigme à l'horizon... Une nouvelle fois les véritables enjeux de notre société ne sont pas abordés dans cette campagne. Une nouvelle fois on nous a ressorti la boite à sparadraps, à patchs, à bandelettes pour tenter de colmater - avec une ribambelle de mesurettes qui vont être débattues jusqu'à plus soif - ce modèle occidental de société à bout de souffle, qui prend l'eau de toutes parts, dans une attitude de quasi-acharnement thérapeutique. Une nouvelle fois nous avons assisté à un ballet d'homo-gestionnairus de l'économie de marché, spécialistes de chiffres abscons, de fiscalité et de budgets, et non de visionnaires qui cherchent à emmener un peuple vers son nouveau destin pour éviter le pire en proposant le meilleur. Une nouvelle fois, on n'a pas voulu voir.
On n'a pas voulu voir que la métamorphose de notre société est malheureusement devenue une nécessité, et que de toutes façons le monde se transforme déjà autour de nous. On n'a pas voulu voir que notre économie est maintenant très fragile car trop complexe et non soutenable, que le "court-termisme" à tout va ne peut perdurer sans conséquences dramatiques, que les ressources naturelles se raréfient à vue d'oeil, que la préservation du vivant sous toutes ses formes n'est pas une priorité (pas moins de 90% des cours d'eau français sont par exemple contaminés par les pesticides, quand les animaux sont encore considérés dans notre Code civil comme des "biens meuble"), que les inégalités criantes détruisent nos liens sociaux et divisent nos communautés, que le quantitatif est devenu roi et a pris le pas sur le qualitatif, que le sacro-saint pouvoir d'achat a remplacé le "pouvoir de bien-être", et enfin que l'homme est principalement devenu un acteur économique au service de la finance. Ce dernier point nous a d'ailleurs enfin permis de voir que notre pays était criblé de dettes, 363 milliards d'euros en 1990, 1591 milliards en 2010, que de chemin parcouru! Nous voyons donc maintenant l'arbre de manière claire, mais il va encore falloir ajuster nos lunettes pour apercevoir la forêt...
Et si la seule manière de gagner les élections, c'était de ne pas avoir de programme ? Alors pourquoi la réponse des politiques n'est-elle pas à la hauteur de ces enjeux ? Jacques Attali nous livre une première réponse "il existe un lien entre les dérisoires bataillent de chefs au sein des partis et les répliques données aux grandes menaces qui pèsent sur notre monde: les unes distraient de la peur des autres"(1). Comme si la seule manière de gagner des élections, c'était de systématiquement s'opposer par des postures, des petites phrases et autres prises de paroles polémiques - en résumé d'alimenter le spectacle médiatique - et surtout de ne pas avoir de programme! On ne sait jamais, avec des mesures de changement structurel on pourrait mécontenter bon nombre d'avantages acquis, il vaut donc mieux promettre en permanence la sécurité et la protection... Est-ce parce que l'économique a pris un tel ascendant sur le politique qu'il n'a plus la capacité d'agir ? La gestion de la crise financière de 2008 vient justement de nous prouver que l'Etat a de beaux restes pour venir en aide en cas de nécessité à l'économie. Est-ce parce que nos élites, cumulards de mandats, ont fait de la politique un métier - ce qu'elle n'est pas dans beaucoup d'autres pays - et de ce fait se retrouvent être une génération plutôt immobile, vieillissante, manquant de courage, de sens du risque et de créativité, et qui s'accroche d'abord et avant tout à ce qu'elle connaît ? Cela paraît bien probable.
12% seulement des Français sont satisfaits de leur démocratie Serait-ce parce que les citoyens ne veulent pas du changement ? Une nouvelle étude Ifop pour Colibris(2) nous apporte justement quelques réponses. On y apprend par exemple que pour 56% des Français, notre démocratie "ne fonctionne plus réellement car désormais ce sont les intérêts économiques et financiers qui priment", et que pour 32% la démocratie "est un bon système mais les citoyens devraient être plus associés aux décisions", il nous reste donc 12% des sondés satisfaits de la démocratie "pour répondre aux enjeux actuels". Pas bien encourageant, et de quoi faire réfléchir quelques politiques... Mais on y lit aussi que 95% souhaiteraient un changement de modèle agricole vers du raisonné ou du biologique, que 64% souhaitent "développer les énergies renouvelables et abandonner progressivement les énergies fossiles et le nucléaire", que 75% voudraient "lutter fortement contre la spéculation pour privilégier l'économie réelle", ou que 60% privilégient le fait de "mettre en place une organisation plus écologique des villes". Oui, les Français sont prêts pour le vrai changement dès maintenant.
Et l'émergence du mouvement des Indignés - de Madrid à Athènes, de Wall Street à Reykjavik - semble nous montrer que les citoyens veulent un véritable changement de cap. Même si la France n'est pas l'Islande, elle pourrait s'en inspirer. Ce petit pays insulaire de 320 000 habitants, dûrement touché par la crise de 2008, a ainsi décidé de dire "non" par référendum au renflouement des banques privées, et de revoir sa Constitution en consultant les citoyens par l'organisation d'un forum national et l'élection de 25 citoyens au suffrage direct chargés de mener à bien ce chantier. Il faut dire qu'avant la crise, l'Islande était au premier rang des pays les plus développés au monde selon l'Indice de développement humain des Nations Unies. Elle est maintenant un modèle pour enclencher un changement de société.
La France est à un tournant de son histoire Comme nous le rappellent sans cesse nombre de penseurs, de Jeremy Rifkin à Joseph Stiglitz, d'Edgar Morin à Jean Ziegler, la France comme d'autres pays semble donc à un tournant de son histoire, et les Français, bien plus que les politiques ne le croient, sentent bien - avec l'accumulation des crises financières, du travail et du social, de l'environnement (climat, pollutions, biodiversité), de l'alimentation, de l'énergie, de la santé, de la démocratie - que nous sommes à la croisée des chemins et qu'un nouveau modèle de développement et de "vivre ensemble" est à déployer pour les années à venir.
Mais comment faire "plus" alors que pèsent sur les finances publiques une dette colossale et que la France est déjà l'un des pays les plus taxés au monde? Tout simplement parce qu'il s'agit de faire "mieux" et "différemment". Parce que la plupart de nos systèmes et de nos habitudes collectives datent d'il y a cinquante ans au moins, parce que le temps politique (au mieux cinq ans) ne permet pas de repenser des systèmes complexes, ceux-ci ne sont ajustés qu'à la marge. Alors que toutes les solutions sont là sous nos yeux, souvent expérimentées au niveau local, et qu'il suffit d'avoir le courage de les mettre en place. On ne rappellera jamais assez qu'en chinois, l'idéogramme "crise" signifie à fois danger et opportunité...
Dans nos sociétés, il existe une tendance universelle à croire que le progrès équivaut à la croissance (qui est en baisse constante et ne pourra sans doute plus subvenir à nos besoins dans l'avenir), alors qu'en réalité, le progrès équivaut à... l'équilibre. "L'économie doit être au service de l'homme et non l'homme au service de l'économie" nous rappelait très justement le prix Nobel d'économie Maurice Allais. Et comme dans la nuit, plus on roule vite, plus les phares doivent porter loin, il est donc maintenant urgent de construire ce projet durable d'une société équilibrée, humaniste, écologique, coopérative et éthique. C'est la société dont nous avons dorénavant besoin, celle que l'on sera fier de transmettre à nos enfants et aux générations futures.
"Tu crois que les adultes auront remis le monde en état quand ils nous le passeront ?" comme le dit avec spontanéité le personnage de la bande-dessinée Calvin et Hobbes(2). Pas bien sûr... Quoi qu'il en soit "l'ordre établi" va devoir évoluer et la jeunesse nous montrer qu'elle sait oser, inventer, créer, apporter du sens et prendre des responsabilités. Car si les politiques ne montrent plus le chemin aux citoyens, ce sont les citoyens qui devront se créer leur vrai changement de société sans l'appui des politiques. Et d'ailleurs la bonne nouvelle, c'est qu'ils ont déjà commencé! "L'individu à désormais autre chose à faire que de s'échouer sur les récifs de ses propres aberrations"(3) nous rappelle avec discernement Pierre Rabhi. Et comme c'est au pied du mur que l'on voit le mieux le mur, à nous d'agir maintenant...
Chronique de Christophe Chenebault, auteur du livre Impliquez-vous ! aux éditions Eyrolles, (photo ci-contre) extraite de lexpress.fr
1 Extrait du livre "La voix humaine" de Jacques Attali 2 Extrait de la bande dessinée Calvin et Hobbes "On est fait comme des rats" 3 Extrait du livre Eloge du génie créateur de la société civile de Pierre Rabhi
Christophe Chenebault
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