Vous publiez votre premier roman, comment vous sentez-vous dans les habits d’écrivain ?
C’est un moment spécial, émouvant. D’autant plus que c’est ce que je veux faire depuis toujours. J’ai commencé à écrire à 12 ans. Je faisais des pastiches de romans policiers. C’était très mauvais, j’avais une collection de phrases d’anthologie comme "elle gisait pendue", car je croyais que "gésir" voulait dire "être mort" ! Je les montrais à ma prof de latin qui corrigeait mes petits carnets au stylo rouge. Ensuite, j’ai beaucoup écrit, notamment dans l’école d’art dramatique où j’ai étudié, où nous devions produire des scènes que nous jouions ensuite. À 17 ans, j’ai commencé à écrire de la poésie. Tout ça n’était pas très bon, mais j’ai persévéré, je n’ai jamais arrêté. C’est en forgeant qu’on devient forgeron !
Est-ce une nouvelle vie qui s’ouvre à vous ?
Oui, mais en réalité elle s’est ouverte il y a déjà quelques années, à la suite de mon burn-out. J’ai démissionné de Kaizen et de mes fonctions chez les Colibris pour réaliser Demain. C’était un grand saut dans l’inconnu, mais son succès m’a permis d’avoir la liberté de faire autre chose et de m’accorder la légitimité de créer. Quand je fais autre chose, je m’épuise.
Dans Imago, on est bien loin de l’univers de Demain, puisque vous traitez de la situation de la Palestine et du terrorisme. D’où vous est venue l’envie d’écrire sur ce sujet ?
Cela fait dix ans que je travaille sur ce livre. J’avais commencé à réfléchir et à écrire en 2006, alors que j’organisais des congrès israélo-palestiniens et des congrès d’imams et de rabbins pour la paix. Je rencontrais des gens enfermés dans leur tête, dans leur conception du monde. J’ai voulu décrire et dérouler la pelote de personnages leur ressemblant et qui seraient écrasés par leur sentiment d’enfermement.
C’est une notion qui vous touche ?
Elle me travaille depuis longtemps. En fait, j’ai toujours eu l’impression d’être enfermé. Une des choses qui m’a le plus touché quand j’ai rencontré Pierre Rabhi, c’était son idée d’aliénation, le sentiment qu’il avait d’être déconnecté de lui dans ce système capitaliste et consumériste, et son envie de s’en libérer. Imago explore ce sentiment, car chaque personnage est enfermé à sa manière. Je pense que nous sommes tous lancés dans des trajectoires qui nous amènent à vivre des vies qui ne sont pas tout à fait les nôtres. Il nous faut comprendre quelle est notre singularité et de quelle manière nous pouvons vivre une vie qui ne soit pas contrainte par des circonstances extérieures.
Imago parle d’un terroriste venant à Paris pour réaliser un attentat. Vous y avez pensé en 2006, mais l’histoire prend une autre dimension de nos jours…
Mon objectif n’était pas de faire un livre sur le terrorisme. Je travaillais au dialogue interreligieux entre juifs et musulmans. Au contact des Israéliens et des Palestiniens, j’avais bien compris que l’Occident portait une grande part de responsabilité dans l’éclatement du Proche et du Moyen-Orient. Ce que nous vivons aujourd’hui en Europe, cette peur qu’un attentat puisse avoir lieu à tout instant, les Israéliens vivent avec depuis longtemps. D’une certaine façon nous commençons à fonctionner comme eux…
Que représentent Khalil et Nadr, les deux frères de votre roman, que tout semble opposer ?
En Palestine, en 2004, j’ai rencontré dans la même journée Arafat et Mahmoud Darwish. Lorsque j’ai réalisé que j’avais vu les deux monstres sacrés du peuple palestinien, j’ai été frappé de voir que l’un était un leader politique révolutionnaire, l’autre un poète. Cela en dit long sur ce peuple, et c’est ce que j’ai voulu retranscrire à travers les personnalités de Nadr et de Khalil. Alors que son frère se retrouve embarqué dans un mouvement de violence, Nadr a déporté sa recherche de sens dans la littérature.
Qu’y a-t-il de vous dans les personnages
d’Imago ?
Lorsqu’on écrit un roman, j’imagine qu’on va souvent puiser dans des bouts de nos sensibilités et de nos facettes, et à partir de là on crée des personnages. Il y a de moi dans tous les personnages mais aucun n’est moi.
Votre livre est sombre. Êtes-vous déçu par les hommes ?
Nous ne sommes pas faits d’un seul tenant. Nous portons l’ombre et la lumière, l’espoir et le désespoir… Et, parfois, ce sont nos parts d’ombre qui nous donnent l’énergie d’aller vers une forme de libération. Donc oui, je traverse des moments de profonds désespoirs et de dégoût de l’humanité. Mais j’ai aussi des instants d’émerveillement pour ce que l’être humain est capable de faire, pour ses immenses qualités. Par exemple, tous les gens rencontrés dans Demain sont extraordinaires ! Ils choisissent de sortir du système pour construire quelque chose qui les rend heureux, qui est cohérent et qui est utile aux autres.
L’ingéniosité de l’homme m’émerveille aussi. Regardez la permaculture : quand l’intelligence de l’homme se couple à celle de la nature, elle peut faire des choses sublimes. Imago n’est pas un moyen de vomir mon désespoir, au contraire, c’est une tentative de creuser et de comprendre ce qui se trame en nous.
Justement, le terme "imago" a une signification très forte…
C’est le dernier stade d’évolution d’une larve avant qu’elle ne devienne papillon. Dans mon livre, chacun des personnages cherche à sortir de son enveloppe pour tenter d’être libre. Deux d’entre eux y parviennent, à leur manière…
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