J’ai décidé de désobéir. Après des années d’excellence grammaticale et orthographique, un 18/20 au bac de français, une année d’hypokhâgne dans un des plus prestigieux lycées de la région parisienne… j’ai décidé de désobéir aux règles de grammaire.
Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! Je me suis soumise à cette loi dictée par des hommes, à l’Académie française, il y a 3 siècles. Je me suis soumise à ce qu’on m’a dit de faire pour être une bonne élève, une « jeune fille bien rangée », et aimée tant que je ne déborde pas du cadre… et ce faisant, je reproduis, à chaque instant, dans mon écriture, un conditionnement qui limite, contrôle et tait le féminin.
C’est fini, j’ai décidé de désobéir et de retrouver mon bon sens ! J’accorderai au féminin quand le féminin l’emporte numériquement. J’écouterai mon oreille qui me dit que « des hommes et des femmes intelligentes », c’est plus harmonieux que « des hommes et des femmes intelligents ». Et vous l’entendez vous aussi ! Et je m’accorderai la souplesse d’écrire et de dire autant : « des femmes et des hommes intelligents ». Parce que personne ne l’emporte sur personne. Mais s’il n’y a qu’un homme au milieu d’une foule de femmes, ce sera « elles », parce que ce « ils » est injuste et névrotique !
Je ne laisserai plus ces règles freiner mes élans, mes évidences et me couper de ma sagesse sensorielle, lovée dans mon corps, mon cœur, mon utérus et ma poésie...
J’affirmerai mon chemin de liberté et de créativité. Je contribuerai à rendre notre langue vivante, joyeuse et souple, véhicule et mélopée de notre évolution. J’inventerai des mots qui rendent compte d’une réalité contemporaine, même si l’Académie ne les reconnaît pas. Je m’amuserai à prolonger les étrangetés réjouissantes de notre langue, détails d’un esprit qui aime les arabesques. J’oserai faire résonner le féminin au cœur des arts et des métiers, entourée de générations de peintresses, autrices, professoresses, maîtresses de conférence symboliquement plongées dans l’oubli. Je ferai rouler dans ma bouche, mes oreilles et mes yeux, dans ma peau jusqu’au bout de mes cils, ces -esses, -euses, -ices… tous ces mots qui me paraissent étranges car inhabituel, jusqu’à les incorporer dans mon être et les transmettre au contact du monde.
Ma nouvelle règle sera : « le masculin et le féminin s’accordent l’un l’autre selon le contexte ». Rendons audible le féminin.
Cécile Laly est la fondatrice d'Un Monde Rond et enseigne le Wutao.