"Les ordinateurs ont le pouvoir de transformer notre monde en un monde... qui nous soit tout à fait étranger !" Derrière ce bon mot du chroniqueur américain Dave Barry 1 se cache tout le mythe de la Nouvelle économie, terme apparu à la fin des années 90 aux Etats-Unis - mais qui a conquis le reste du monde par la suite - pour désigner la croissance économique issue de l'alliance sacrée entre la microélectronique, le logiciel et les réseaux. Et, de fait, ces nouvelles technologies de l'information et des communications (les NTIC pour les intimes) ont retourné Gutenberg dans sa tombe et accéléré la mondialisation des savoirs et des communautés. En tant que fondateur du média culturel français Evene, j'ai vécu de l'intérieur pendant plus de dix ans cette incroyable révolution numérique (toujours en cours d'ailleurs...). Et oui nous avons alors pu acheter un livre sur Amazon sans bouger de chez nous, oui les entreprises ont pu jeter un oeil sur les produits ou services de leurs concurrents en quelques clics, et oui les traders ont pu passer leurs ordres de bourse au millième de secondes près.
Les optimistes, dont je faisais partie, pensaient que l'introduction dans nos économies contemporaines de ces technologies - à l'instar de la machine à vapeur provoquant la révolution industrielle à la fin du XVIIIe siècle - allait tout changer. Et la diversité autant que l'innovation des innombrables startups de la Silicon Valley, et d'autres pays comme la France, étaient là pour nous le confirmer. Résultat des courses, les échanges ont été intensifiés, l'économie s'est accélérée, complexifiée et financiarisée, la compétition entre concurrents s'est accrue, et les états-majors des entreprises sont passés d'une visibilité stratégique de 5 ans à 6 mois... quel progrès! Et nous continuons de rouler confortablement sur nos autoroutes de l'information, protégés par la ceinture de sécurité du "business as usual" et par l'air-bag rassurant de nos petites et grandes habitudes...
Mais, où sont l'homme et la nature dans tout ça ? Question saugrenue en effet, car il se trouve que cette "Nouvelle économie" a tout simplement continué à utiliser les structures de l'ancienne économie tout en accélérant et améliorant la circulation de l'information, laquelle en chemin est d'ailleurs devenue en grande partie immatérielle. Elle a donc poussé la société de marché dans ses retranchements, mais sans pour autant en changer les valeurs qui la sous-tendent. Et une nouvelle fois, la technologie n'en a été qu'un simple bras armé, et non une extension de notre cerveau.
De mon point de vue, la Nouvelle économie existe bel et bien, mais elle n'est pas là où l'on croyait qu'elle était... car la véritable Nouvelle économie est celle qui, en fait, propose un socle incontournable de valeurs humanistes et écologiques. Une économie qui place l'humain et la préservation du vivant ainsi que de l'environnement au coeur de ses préoccupations, qui garde toujours un oeil averti - et même attendri - sur les générations futures, qui prône la solidarité et le partage, et donc plutôt la coopération que la compétition, qui réconcilie l'homme et la nature, qui se soucie de bien-être et de santé, et qui passe d'échanges autour de l'Avoir à des échanges autour de l'Etre. En résumé, il nous faut réinventer l'imaginaire d'une bonne partie de l'économie !
Et ce changement de paradigme économique en cours a déjà ses super-héros, ils se nomment par exemple Muhammad Yunus, l'initiateur du micro-crédit dont maintenant 80 millions 2 de personnes bénéficient dans le monde, ou encore Bill Drayton, le créateur de l'incubateur international d'entrepreneurs sociaux Ashoka. Mais surtout cette Nouvelle économie fait émerger, en France et dans le monde, des milliers d'entrepreneurs et de porteurs de projets. Des pionniers souvent peu connus - et que l'on peut retrouver grâce au projet Shamengo 3, dans le livre Impliquez-vous ! dont je suis l'auteur, ou encore au sein du réseau Entrepreneurs d'avenir - qui innovent et trouvent des solutions économiques nouvelles très concrètes tout en changeant nos sociétés. J'ai la chance d'en rencontrer certains et notre avenir à tous m'apparaît clairement dans leurs projets.
"Une nouvelle manière de penser est nécessaire si l'humanité veut survivre" nous disait déjà il y a bien longtemps Albert Einstein. Car avec maintenant officiellement 7 milliards d'humains, l'enjeu n'est plus seulement le rêve, mais bien l'utopie pragmatique du changement et de l'action. Il est souvent plus facile de reproduire ce qui est connu que d'inventer du nouveau, mais pourtant chacun devrait essayer ! Et faisons le souhait que ces multiples, mais passionnantes, initiatives dispersées créent cette Nouvelle économie écolo-humaniste globale dont nous avons tant besoin pour la suite de notre aventure terrestre... parce que je ne sais pas vous, mais moi comme Woody Allen "je m'intéresse à l'avenir car c'est là que j'ai décidé de passer le restant de mes jours".
Chronique de Christophe Chenebault extraite de lexpress.fr
1 - extrait du livre "Chroniques déjantées d'Internet"
2 - source MixMarket 20083 - www.shamengo.com, 1000 pionniers du nouveau monde
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