C'est quoi un docutopique ?
Un documentaire traitant de l'Utopie, qui veut dire "un lieu qui n'existe pas". C'est un mot inventé par un philosophe anglais du XVIème siècle, aussi chancelier du roi, donc ministre, et qui à cause de cela, à perdu la tête ! En 2012 est sorti en salle un film réalisé par un prof de philo qui a ouvert la voie à ce sous-genre que nous voulons concrétiser : filmer ce qui n'existe pas pour la plupart d'entre nous, public dit "occidental".
Pourquoi ce film, après "Sous les pavés la Terre" ?
Parce qu'il fallait poursuivre. J'avais appris avec Pablo Girault, vers 2007, en rencontrant chez lui le philosophe-paysan Pierre Rabhi, que Coline Serreau voulait sortir six films faisant le constat sur ce Monde. Le résultat fut un film unique : "Solutions locales pour un désordre global". Nous nous sommes dit qu'en effet, il ne fallait pas s'arrêter devant l'immense problématique que nous avions tous devant nous : comment RE-FONDER le Monde ?
Vous savez, on ne tourne pas des films pour montrer qu'on est intelligent ou dire ce que l'on pense : tout le monde s'en fiche ! Nous ne sommes que des "filtres", des loupes, qui renvoyons en les focalisant, les histoires que le Monde nous raconte. C'est bien ça être un média, du latin medium, qui veut dire être "au milieu". Je renvoie les plus vénérables de vos lectrices à ce titre de Sheila, sorti dans les années 1970 et qui commençait par "Blanc, jaune, rouge, noir, tous les humains...". Chaque couplet était une part du kaléidoscope planétaire, Shangaï, Manhattan... et chaque refrain donnait ce qui nous est tous commun. Et bien "La possibilité d'être humain" c'est le refrain, "Sous les pavés, la terre", un couplet. Et je peux vous promettre un nouveau couplet pour l'année prochaine, mais je n'en dis pas plus.
Quel est le message du film "La possibilité d'être humain" ?
Justement, j'allais y venir. Ce docutopique, c'est de la philo grand public, maintes questions que l'on pose et auxquelles il nous faudra trouver les réponses. Le message c'est : réfléchissons ensemble, discutons et voyons ce que nous voulons vraiment. Pour nous, nos enfants, nos proches, dans dix ans, vingt ans, voire cent ans. C'est de faire qu'on se cause à nouveau, aille vers l'autre, cesse de manger tout crû l'information pré-mâchée et stéréotypée.
Ce film porte à la réflexion parmi des dizaines d'autres... Soyons optimiste, parmi les centaines d'autres, fictions ou documentaires qui sortent chaque année partout sur la planète. C'est une petite pierre à faire parler. Vous la jetez en l'air et quand elle retombe les gens font "oooh" parce qu'elle a changé de couleur ! Elle a pris la couleur de leur espérance.
Expliquez-nous la décroissance
C'est le plus difficile. Cela mérite une interview rien que pour cela. Alors je vais faire simple en donnant des synonymes lancés par Pierre Rabhi ou Paul Ariès: "sobriété heureuse" ou "socialisme gourmand". Comme on a tous vu que le socialisme se mange à toutes les sauces depuis trente ans, mieux vaut s'attarder sur la première.
Il s'agit de vivre avec "moins de biens et plus de liens", de produire moins de trucs inutiles, mais plus de trucs vraiment utiles, nouveaux, bienfaisants.
C'est trouver et retrouver tout ce qui marche dans tous les domaines de la vie, tant dans l'alimentation, le transport, l'habitat, les relations sociales, de couples, de genres et entre générations, les relations entre le politique et les citoyens, la foi en un dieu ou en l'homme et le Monde.
Je pourrais vous démontrer que "croissance" ça n'a rien à voir avec "emploi" si on ne se pose pas la question : qu’est-ce que l’on fait croître ? Les écoles, les maternités, les hôpitaux, les bibliothèques, les objets solides et qui durent, les maisons pas chères et qui produisent leur propre énergie, la nourriture sans pesticides ni antibiotiques ? Ou est-ce que l'on veut vraiment plus de prisons, d'armes, d'argent pour les gens déjà riches, de pollution, de déchets, de cancers, augmenter le coût de la vie avec les carburants ou les modes de productions de l'électricité...
La vie n'est pas une camelote jetable, le travail n'est pas l'Enfer ! La vie vaut la peine d'être vécue et toute activité socialement utile doit permettre une vie décente. La décroissance c'est le vital pour tous, saupoudrée de superflu nécessaire. On n'est pas des Cathares ou je ne sais quel ascète misanthrope ou tristouille ! (rires).
Il faudrait que ceux dont le métier est franchement nuisible changent de branche. Il s'agit d'une question vitale, préserver la nature et la nature humaine pour les générations futures. Cela suppose de refonder une démocratie véritable, et d'avoir de vrais rapports avec ses voisins, ses gosses, bref, faire partie d'une vraie société qui décide où elle veut aller.
Qu'est-ce qu'implique pour vous le fait "d'être humain" ?
C'est savoir ce que l'on n'est pas d'abord, puis se regarder soi, toujours, en sachant s'engueuler comme il faut quand il faut, mais sans haine, avec amour, comme avec un bon ami.
C'est savoir ensuite ce qu'on ne voudrait plus être, puis ce que l'on pourrait être, et choisir, dans ces possibilités ce que l'on va vraiment devenir.
Et pour ce devenir, savoir qu'on ne doit jamais être seul lorsqu'il s'agit d'agir, car toujours un autre vous regarde et en fait, vous ne serez jamais que ce que l'autre vous dit que vous êtes. C'est dire à l'autre "tu te trompes", c'est prouver par ses actes ce qui nous motive réellement et, dans les cas radicaux mais nécessaires, c'est quitter l'autre qui ne veut vous comprendre et recommencer ailleurs.
Vous devez être seul à décider des fondamentaux de votre existence, parce que vous reconnaissez être une personne unique, mais pour agir, vous serez toujours avec d'autres. Une maison, un enfant, un film, rien de cela ne se fait tout seul ! Être humain c'est être bien avec soi et prêt(e) à travailler avec les autres, les écouter autant que se faire entendre. Trouvez la définition qui vous convient, il y en a autant que d'individus !
La bande-annonce du film est doublée de la chanson d'Alain Souchon "Foule Sentimentale". Qu'est-ce qui résonne en vous dans cette chanson ?
Je l'ai entendu au lycée, je n'avais pas compris toutes les paroles. Il est clair que c'est une chanson pour la décroissance, un mot qui ne se disait pas encore. Plus simplement, je l'avais mise en parallèle avec cette chanson de Luc Plamondon qui disait qu'on était les uns avec les autres dans une foule, mais que "au bout du compte, on est toujours tout seul au Monde". Cela voulait dire qu'on n'est jamais en permanence qu'avec soi, avec sa propre conscience. Dans un sens, je trouve cela plus rassurant.
Souchon aussi fait appel à cet examen personnel, mais il réunit les individus dans cette foule qui devient tout à coup sentimentale. C'est le "je" individualiste sublimé dans le "nous" collectif. Ce n'est plus l'écrasement de l'égo dans une quelconque utopie du bonheur obligatoire, c'est mon être, libéré, qui rencontre d'autres êtres libérés, et qui ensemble, vont monter d'un cran leur liberté et devenir cette "Foule sentimentale, soif d'idéal, attirée que par des choses pas commerciales".
Qu'est-ce qui vous fait avancer dans la vie ?
L'amour... du cinéma, entre autres ! La volonté de quérir, partager, recevoir et donner le vrai, le juste, le bon et le beau. Les rencontres, impromptues ou non, aller en terres inconnues. Œuvrer avec d'autres et savoir qu'on aura toujours tant de choses à apprendre. Cela doit suffir à avancer durant quelques siècles... si seulement on disposait de tant de temps !
La possibilité d'être humain : voir la bande-annonce
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Nouvelle bande annonce !
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La possibilité d'être humain, de Pablo Girault et Thierry Kruger, sera diffusé dans de nombreux festivales en mai. Sortie nationale sur les écrans prévue en septembre 2013.