Marc Luyckx Ghisi aime préciser qu'il a eu trois vies. Il a d'abord étudié les mathématiques, la philosophie et la théologie pour finalement revêtir la soutane... jusqu'à son mariage. Il a ensuite évolué aux côtés de Jacques Delors, alors Président de la Commission Européenne à Bruxelles, au sein de la fameuse "Cellule de Prospective", pendant dix ans. Il contribue désormais à la création de nouvelles structures d'enseignement, élément clé du changement qu'il prédit.
L'auteur prend place sur l'estrade, entouré de son éditeur, de Cyril Dion, président du mouvement Colibris et du couple Lemarchand : Françoise, créatrice de la revue Canopée et François, fondateur de Nature & Découvertes. La première question est posée sans détour : pourquoi un tel livre ? Avec un soupçon de nonchalance, l'auteur s'explique "à travers mon parcours, j'ai accumulé tellement d'informations que j'étais comme enceint, il fallait que j'accouche. Alors voici mon nouveau livre dans lequel je vous propose des mots pour articuler des choses que vous savez déjà, puisque l'âme des gens va plus vite que le cerveau".
Si l'on suit la vision de l'auteur, notre modèle de civilisation, d'organisation de la société s'essouffle. Comme celle que nous connaissons historiquement, nous traversons une seconde période de Renaissance, mais qui, au lieu de s'étendre sur des siècles, s'installerait sur vingt ans. Tout est basé sur l'outil de production qu'il faudrait donc changer : de l'élevage à l'agriculture, puis de l'agriculture à l'industrie et de l'industrie... à la société de la connaissance, c'est à dire une société qui repose sur l'immatériel.
L'auteur précise, en citant le sociologue Karl Marx, que "lorsque l'on change d'outil de production, on change de vision du monde : du temps, de l'espace, du divin, du sens de la vie... Nous quittons la société industrielle avec sa vision matérialiste, (...) où l'humain est inférieur à la machine, pour arriver à une nouvelle vision où l'outil de production se trouve dans la tête de chacun (...). Nous sommes dans une société post-capitaliste et post patriarcale."
A ces mots, je me demandais en quoi cette société de la connaissance pourrait solutionner les problèmes que l'on rencontre actuellement, tant écologiques, qu'économiques... Marc Luyckx Ghisi y vient en évoquant la conférence de Copenhague qu'il taxe de "symptomatique". Il poursuit "la logique industrielle capitaliste actuelle n'est pas capable de s'offrir une solution de survie. C'est structurel. Pourquoi? Parce que tout ce que tu fais pour l'écologie, tu le soustrais au profit, donc ça coûte cher de faire de l'environnement !"
Une lueur d'espoir illumine soudain l'oeil de l'auteur qui argumente "dans cette nouvelle société, la Bourse va récompenser les entreprises qui oeuvrent pour l'écologie et favorisent l'aspect social grâce aux acquis immatériels qui comptent pour 50% dans les cotations. Une entreprise qui fait du profit et qui travaille à un monde juste et durable n'est plus un mythe." Pour cela, il suffirait de faire primer la qualité sur la quantité. La société de la connaissance aurait donc pour outils essentiels : les acquis immatériels, le progrès et la croissance qualitative.
En suivant cette démarche, l'agriculture sera désindustrialisée. Marc Luyckx Ghisi précise que "certains éléments actuels seront conservés mais l'agriculture bio sera une priorité. Le marché existe après tout." Qu'il s'agisse de la culture de la terre ou du commerce, tout sera basé sur la compétence, la connaissance et la qualité des produits. Comme une reconnexion avec les savoirs-faire ancestraux... L'auteur parle de "glocalisation", comprenez l'échange de produits entre spécialistes. Grâce à un réseau, le producteur expert d'endives pourra "troquer" ses produits contre ceux d'un autre expert. Ainsi, la qualité des produits sera valorisée et les liens sociaux resserrés puisqu'il en va de son salaire !
Avant de refermer cet article de mise en bouche sur la société de la connaissance, je tenais à vous livrer deux grands axes que Marc Luyckx Ghisi nous invite à suivre. D'abord, prendre conscience que nous sommes tous des créateurs de culture et ensuite, vivre à travers sa propre vie, la transformation culturelle, puisqu'il n'y a pas de distinction entre se changer soi-même et changer la société.
Comme il est insupportable de connaître la fin d'une histoire avant même d'avoir lu les premières lignes, je m'arrête là en vous invitant toutefois à vous plonger dans le Surgissement d'un nouveau Monde, de Marc Luyckx Ghisi, un livre qui nous incite à devenir partenaire de la Nature et cesser de la conquérir.
Surgissement d'un nouveau monde de Marc Luyckx Ghisi, préface de François Lemarchand. Alphée
413 pages. 21.90 €.
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