Homme d’affaire ? « Je n’ai jamais respecté cette profession, car les entreprises sont condamnables d’être en grande partie responsables de la destruction de la nature, des cultures indigènes, de prendre aux pauvres et de donner aux riches, d’empoisonner la terre avec les effluents de leurs usines ». PDG ? « Je passe la plupart de mon temps en dehors de mon bureau, à pratiquer des sports de plein air ou à conseiller des associations environnementales ». On l'aura compris, Yvon Chouinard n’est pas un patron comme les autres.
A la fin des années 1950, ce grand sportif se lance dans la production de matériel d’escalade : conception, fabrication, distribution. Distribution ? Oui, mais loin des logiques de rentabilité habituelles… Sur le premier catalogue que l’entreprise distribue, en 1963, il est indiqué qu’il ne « [faut] pas s’attendre à une livraison rapide pendant la saison d’escalade »… car le gérant « [la] consacre à l’ascension de grandes voies dans le Yosemite » !
C’est en 1973 que Patagonia voit le jour, fruit d’un voyage au Royaume-Uni, où Yvon Chouinard découvre que les polos de rugby sont parfaits pour l’escalade. L’entreprise, créée avec sa femme, se développe dans le domaine du textile. Le succès est fulgurant et, à la fin des années 1980, le PDG iconoclaste s’interroge sur l’opportunité de prendre « retraite très anticipée », histoire de « [s]’enfuir dans le Pacifique Sud avec [sa] canne à pêche et [sa] planche de surf ». Mais il reste fidèle au poste, « avec l’idée en tête d’utiliser l’entreprise pour inspirer et mettre en place des solutions à la crise environnementale ». Bien lui en a pris, car il a su tirer de sa passion pour la nature des idées neuves pour son entreprise et le monde des affaires. Il le reconnaît d’ailleurs volontiers « Mon action est directement liée à mon parcours ».
Préoccupé par l’impact environnemental de l’activité de Patagonia, Yvon Chouinard fait réaliser en 1991 un audit environnemental sur les quatre principales fibres les plus utilisées par l’entreprise, et découvre avec stupéfaction que ce ne sont pas le nylon ou le polyester, pourtant déviré du pétrole, mais bien le coton qui est le plus gros consommateur d’énergie et le plus polluant. La fibre naturelle n’est donc pas si naturelle que ça. En 1994, après enquête sur le terrain (et oui, on ne se refait pas !), où il découvre « la contamination des étangs par le sélénium et les paysages lunaires complètement détruits par la culture du coton », la décision est prise : 100 % de la gamme sportswear en coton sera fabriquée avec du coton biologique dès 1996. L’équipe de Patagonia a donc dix-huit mois pour transformer de fond en comble sa production.
Problème : « il n’y avait tout simplement pas suffisamment de coton biologique commercialisable chez les courtiers en coton ! ». Loin de se laisser abattre, l’entrepreneur se tourne vers les agriculteurs pour les inciter à se convertir à l’agriculture biologique et convainc les égreneurs et les filatures d’adopter les techniques propres au traitement du coton bio, alors même que cela ne représente qu’une quantité négligeable par rapport à l’ensemble de leur activité. Et bien sûr, il faut que le coton obtienne la certification.
Un pari fou ? « Même ma directrice financière me trouvait inconscient de ne pas passer au coton bio progressivement ». Mais pari tenu : depuis 1996, tous les vêtements Patagonia fabriqués en coton le sont avec du coton biologique. Loin de se reposer sur ses lauriers, l’entreprise continue la recherche dans le domaine des tissus encore plus respectueux de l’environnement : chanvre, polyester recyclé… La question du recyclage intéresse tout particulièrement Patagonia. Ainsi, 65% des vêtements de la collection automne/hiver 2009 est recyclable.
L’engagement pour l’environnement ne s’arrête pas là : papier recyclé pour imprimer le catalogue, bâtiments éco-conçus (ou éco-rénovés !), sensibilisation des employés aux questions environnementales… tout y passe. Avec succès d’ailleurs : « depuis les années quatre-vingt-dix, la responsabilité environnementale est devenue un élément clé dans le travail de chacun de nos employés », souligne Yvon Chouinard.
Alors que retenir de l’aventure dans laquelle s’est lancé cet Américain atypique ? « Je considère Patagonia comme une expérience, permettant de montrer qu’il est possible de faire des affaires tout en respectant les hommes et l’environnement » explique Yvon Chouinard. « Mon objectif, c’est qu’elle existe encore dans 100 ans ». Pas grâce « à des clients qui achètent pour acheter, mais [grâce à] des clients qui ont besoin des produits Patagonia. Pour moi, le véritable pouvoir n’est pas entre les mains des politiques ou des financiers, mais entre les mains des citoyens et des designers ». A bon entendeur !
En 2001, Yvon Chouinard a créé avec Craig Mathews (Blue Ribbon Flies) le Club “One Percent For The Planet”, une alliance d’entreprises qui consacrent au moins 1% de leur chiffre d’affaires annuel net à des associations environnementales reconnues et approuvées par le Club.
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