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Vers l’accomplissement de la nature sensible humaine

Mis à jour le 25 février 2021
De façon récurrente, l’homme s’interroge légitimement sur le sens à donner à sa propre vie. Ce questionnement existentiel le fait souvent osciller entre la réalité d’une existence insatisfaisante et une aspiration vers un idéal inatteignable. Prises entre ces deux extrêmes, certaines personnes tirent leur épingle du jeu tandis que d’autres vivent désespérément une vie qui n’a pas de sens.

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Vers l’accomplissement de la nature sensible humaine

Je me consacre depuis de nombreuses années à la science en prenant soin de ne pas mettre de côté mon engagement militant en faveur d’une vie meilleure pour l’homme. Pour la côtoyer quotidiennement de par ma fonction de professeur des universités et de chercheur, je sais que la science ne peut pas tout expliquer, ni tout résoudre et notamment ce qui concerne les problématiques existentielles qui pourtant sont de plus en plus d’actualité dans notre société. Une certaine science à laquelle je n’adhère pas, revendique la distance avec la subjectivité humaine s’interdisant du même coup d’étudier le ressenti et les vécus de la personne. Les sciences humaines et sociales consacrent beaucoup de recherches à l’étude des conditions humaines aux plans psychologique, social et environnemental, sans que pour autant elles n’abordent la question de la nature humaine. C’est justement cet aspect que je souhaite développer.

Je voudrais attirer l’attention sur non pas l’humaine condition, mais sur la nature humaine en ouvrant le débat autour de la question suivante : Que savons-nous de la nature humaine et sait-on vraiment ce dont elle est capable ? En portant ainsi le regard sur la nature humaine, de nouvelles perspectives s’offrent à la recherche en sciences humaines et sociales. C’est en tout cas l’axe de recherche qui est développé dans le Centre d’études (CERAP) de l’Université Fernando Pessoa de Porto que j’ai le plaisir de diriger.

Sous l’angle de la philosophie et de la science, le terme nature désigne tout ce qui existe indépendamment de l’homme et de ses interventions ; il comprend l’univers, l’ensemble des phénomènes naturels, ainsi que l’homme en tant qu’il est un être vivant. L’écologie, fort justement, invite l’homme à soigner sa relation avec la nature, et invite au respect de la qualité de l’environnement dans laquelle il vit. A cette vision j’ajoute une écologie en lien avec le vivant invitant l’homme à soigner sa relation avec sa nature humaine, celle qui le compose dans ses instances les plus intimes et universelles. En proposant cette vision paradoxale de l’intime et de l’universel, je n’œuvre pas seulement pour le retour à la singularité de l’homme, mais aussi pour l’ouverture à la pluralité garante d’un « savoir vivre ensemble » au-delà des différences. Cette perspective plaide en faveur d’une nature humaine commune à tous au-delà des différences, génétiques et culturelles, tandis que la condition humaine représente davantage l’identité biographique de l’homme dépendante de sa culture, de la société dans laquelle il vit, de son éducation et au final de sa propre histoire de vie.

Une fois cela précisé, je ne peux pas faire l’économie de cette question le caractère universel de la nature humaine est-il irréductible à l’action humaine ? Je ne partage pas l’idée de la philosophe H. Arendt qui considère que la nature humaine est une affaire de Dieu, je pense au contraire que la nature humaine est l’affaire de l’homme, et qu’il a entre ses mains la faculté d’enrichir sa nature humaine en développant une plus grande proximité avec son intériorité corporelle.

Par ailleurs, parce qu’il fait partie de la nature, l’homme est animé par un principe de vie qui, comme le souligne Spinoza avec son principe du conatus (pulsion d’auto développement ou d’auto-expansion de l’homme), le conduit à croître tout en augmentant sa puissance d’agir. Ainsi, il faut entrevoir la nature humaine sous deux angles. D’un côté, elle représente l’essence de l’homme par définition immuable et inaltérable et de l’autre côté, elle porte un principe de force, un désir, un appétit de croissance qui participe à aller d’un état d’imperfection vers un état de perfection.

Cette vision évolutive de la nature humaine se pose comme une alternative à la science et à la spiritualité, dans la mesure où elle ne se situe pas dans dynamique prospective sur le mode de la logique, ni sur une dynamique de transcendance sur le mode de la foi ou de la croyance. La nature humaine s’expérimente et se vit. Il s’agit d’explorer la partie la plus grande de l’homme et non ce qui est plus grand que l’homme.
En somme, cette approche de la nature humaine s’appuie avant tout sur l’expérience du vivant en soi. Car enfin, pourquoi n’aurions nous pas pour nous-mêmes une poésie et une philosophie puisées à même la nature humaine ? Dans cette optique, c’est l’expérience sensible de l’essence de la vie qui prime grâce à un tact intérieur capable de convoquer et de dynamiser la nature sensible de l’homme.

Ce point de vue se situe à la fois dans le courant évolutionniste et créationniste car il soutient l’idée de la présence d’une organisation autonome, dynamique et universelle qui porte l’homme vers le meilleur et  emporte l’idée que l’homme n’est pas un être achevé mais qu’il est en devenir à la condition qu’il rencontre un environnement qui favorise la sollicitation de ses facultés humaines.  

L’espoir en la nature humaine
Il suffit de lire les journaux ou d’écouter les médias pour comprendre que ce l’homme nous donne à voir n’est pas représentatif de ses potentialités. En effet, nous sommes tous conscients que l’homme n’est pas que cela, mais qu’il porte en lui une humanité plus profonde, plus en lien avec le principe du vivant. Je fais partie des gens qui croient encore en l’homme. Est-ce une utopie ou un fort sentiment de résilience ? Toutefois, pour être plus précis, je crois davantage à la nature humaine qu’en l’homme lui-même. Cette conviction anime ma démarche de chercheur et justifie ce partage.

La nature humaine est indissociable du corps humain ; il me semble que pour l’enrichir il faut revenir à son propre corps, l’habiter à nouveau et l’habiller de la fibre sensible humaine.
Mais de la même façon, comme le précise Spinoza, l’homme méconnait son corps : « Nul ne connaît ce dont est capable le corps », l’homme ignore aussi de quoi est capable la nature humaine.

Ce constat conduit à interroger la manière de s’y prendre pour enrichir la nature humaine afin de développer les potentialités de l’homme à aller vers le plus grand de lui-même. Cette interpellation philosophique m’est apparue fondamentale à un moment donné de ma vie de chercheur. Quelle direction devais-je prendre pour étudier les potentialités ? Comment procéder pour étudier ce qui par définition n’est pas encore là puisqu’au stade du devenir ? Après de nombreux tâtonnements, je décidais de porter mon attention sur l’étude et l’analyse des potentialités perceptives. En effet, ma formation d’expert du corps me semblait en adéquation avec une recherche circonscrite à la perception corporelle et m’apparaissait la plus pertinente pour étudier la nature humaine. Je précise que le domaine de la perception est vaste puisqu’il englobe les sens extéroceptifs (vue, audition, toucher, goût, odorat), mais aussi et surtout la perception corporelle intériorisée à partir de laquelle j’ai étudié comment l’homme développe la présence à son corps et par conséquent à lui-même. On admet facilement que certaines personnes ont ou pas des facultés logico mathématiques, mais il est plus difficile d’admettre que certaines personnes ont plus ou moins de facilités à entrer en relation de présence avec leur corps. Ce dernier phénomène est plus fréquent qu’il n’y paraît, expliquant en partie la grande fréquentation des pratiques corporelles et spirituelles.

La plupart des personnes qui s’adonnent à ces disciplines désirent combler la distance qu’elles pressentent au fond d’elles-mêmes.
Parmi les disciplines corporelles, la somato-psychopédagogie et la fasciathérapie visent l’enrichissement perceptif poussé à son paroxysme dans le but de permettre aux personnes d’actualiser leurs potentialités perceptives et de se rapprocher de leur vraie nature humaine. Dans ce cadre d’expérience corporelle, la découverte est franche, le corps est vécu de façon différente et devient un partenaire dans la façon de positiver sa vie et de lui donner un sens nouveau. Selon le niveau perceptif, le corps se décline de façon progressive vers « j’ai un corps », puis « je vis mon corps », puis « j’habite mon corps, pour aller vers « je suis mon corps ».

Dans ce contexte, « avoir un corps »  représente le corps dans une fonction d’objet et de corps machine, utilitaire et performant, soumis à la commande volontaire de la personne. Dans ce cas de figure, le rapport au corps ne nécessite pas un degré de présence à soi de haut niveau et la personne ne recrute pas un effort perceptif particulier.  La dimension de « vivre son corps » traduit un degré de rapport au corps faisant appel au ressenti réduit aux états physiques et émotionnels. Et c’est seulement quand la personne « habite son corps » qu’elle développe une relation de haut degré de proximité avec son corps d’où découle la notion « d’être son corps » qui implique un lien de réciprocité avec la nature sensible humaine. Dans cette figure, le corps devient la fibre sensible de la nature humaine.

Ouvrir une fenêtre sur sa vie
Nous avons tous besoin de lumière et de chaleur dans la vie et nous avons le choix d’ouvrir des fenêtres vers l’extérieur mais aussi vers l’intérieur, là où se rencontre la partie  vivante et animée de la nature humaine. L’intériorité transporte chez Saint Augustin l’idée d’un retour en soi : « Ne t’en va pas au-dehors, rentre en toi-même ; au cœur de la créature habite la vérité. » Mais l’intériorité peut aussi être entrevue comme lieu de subjectivité, lieu de profondeur et lieu d’immanence constituant ainsi un lieu de soi qui résonne au diapason avec la nature humaine dynamique et sensible. La rencontre avec cette partie humaine et chaleureuse offre un sentiment de profondeur et de globalité qui unifie le corps et le psychisme. Ce retour à la nature humaine instaure du même coup, un sentiment nouveau de présence à la vie. La personne découvre une nouvelle intimité à sa propre existence lui ouvrant une nouvelle fenêtre d’espoir qui se confine dans la confidentialité de son corps et s’expose dans un nouveau rapport à autrui.

Des références pour aller plus loin avec le Pr Danis Bois :
http://danis.bois.free.fr
www.cerap.org
www.fasciatherapie.com
www.somato-psychopedagogie.com 
    
Bois, D. (2006), Le moi renouvelé, Ivry sur Seine : Point d’Appui
Pr Danis Bois

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