Pour beaucoup de femmes d’origine indienne vivant en France, l’indianité –notre appartenance à notre terre originelle et sa culture- est notre richesse ancestrale tandis que notre culture française est l’apanage de notre émancipation. Néanmoins, ce pont culturel nécessite une assise stable, difficile à acquérir.
Ainsi racontant mon dernier séjour éprouvant à Pondichéry à mon amie indienne N., l’ai-je entendu dire, énervée « aller en Inde, ce n’est pas du tout des vacances ! La famille et son éducation traditionnelle de soumission de la femme nous rattrapent aussitôt. C’est dur cette discrimination vis-à-vis des femmes, surtout quand c’est la femme elle-même qui le reproduit. Comment une femme qui a souffert d’une coutume aliénante peut-elle imposer cette même coutume à sa fille ? N’est-ce pas la femme qui éduque les enfants ? C’était notre constat il y a 20 ans lors de notre débat sur la femme, eh bien, rien n’a changé ! Quant au comportement des hommes au-dehors… ! J’ai dû crier, prendre sur moi lors de démarches administratives où un type est passé devant moi dans la file, comme si je n’existais pas… ». Bien sûr, les sans-gêne et goujats existent partout mais dans cette société patriarcale à l’excès, où l’homme est tellement valorisé par rapport à la femme, l’anecdote est particulièrement révélatrice.
Des sentiments partagés
Lorsque je suis en Inde, je suis emportée par les extrêmes : joie de revoir ce pays natal, d’embrasser les peaux des êtres aimés, de savourer leur nourriture aux saveurs délicieuses, de ressentir l’opulence des couleurs et senteurs, de baigner dans la lumière incomparable et la dévotion au Divin, sans barrière. Dans le même temps, le joug ancestral de la femme me tombe dessus ! Moi, femme moderne, émancipée, libérée du carcan de mon éducation traditionnelle, ayant quelques années de thérapie à mon actif et accompagnante moi-même. Le poids de mes lignées de femmes s’abat sur mes épaules dès lors que je mets le pied en Inde. La complexité vient aussi que ma mère comme bon nombre d’autres, m’a élevée à la fois dans le respect des traditions mais également pour être la femme qu’elle n’a pas pu manifester. Ainsi a-t-elle coutume de dire de moi « Elle, elle ne se laissera pas faire ! ».
Adieu donc ma zénitude… ! Place aux émotions intenses face au gynécée, à la soumission, aux multiples codes sociaux que mes copines françaises amoureuses de l’Inde n’ont pas à subir. Me voilà secouée de toutes parts par l’énervement, la colère, la tristesse, la révolte, la lassitude, celles de mes sœurs, de ma mère, mes tantes, mes grands-mères. Je peaufine ma posture intérieure face à d’éventuelles agressions sexuelles déjà arrivées par le passé dans les lieux publics : cette fois, je crierai et j’ameuterai les foules. Le silence, c’est fini ! Mon corps en prend un coup et se manifeste ! Place à l’œdème pour l’une –questions d’émotions envahissantes, d’insécurité et de territoire… Place aux troubles de digestion pour une autre –question d’assimiler et accepter ses émotions… « Faudra-t-il attendre plusieurs générations pour nous ne soyons plus touchées par ce joug des femmes ou réussirons-nous à gagner en sérénité avec le temps, à ne plus avoir mal de l’atteinte au respect de la femme ? », s’interrogeait une autre de mes amies indiennes. L’Inde voit côtoyer les extrêmes : la pire violence et la pure douceur, la femme rabaissée et ces femmes aux postes-clés… (Indira Gandhi - 1er ministre pendant 15 ans, Jayalalithaa -Ministre en chef de l’état du Tamil Nadu, Vandana Shiva - écologiste internationale, Kiran Bedi - Lieutnant Gouverneur de Pondichéry…).
Des chiffres alarmants pour la Femme
L’Inde compte 1 milliard 200 millions d’habitants. En 2013, il y manquait 43 millions de femmes ! Les parents préfèrent les garçons qui les prendront en charge dans leur vieil âge ; les filles, elles, il faut leur donner une dot (même si c’est illégal) qui servira à enrichir le futur époux. L’élimination prénatale est donc très importante en Inde. Le sex-ratio est complètement déséquilibré : 914 femmes pour 1000 hommes en 2013. La séparation des sexes crée un fossé malsain entre hommes et femmes dont la conséquence est la violence sexuelle à l’encontre de la femme.
Je vous cite aussi des chiffres surprenants, dans le monde : en France, 1 femme serait victime de viol toutes les 7 minutes, tandis qu’1 femme le serait toutes les 20 minutes en Inde (ces chiffres ne prennent en compte que le nombre de viols dénoncés à la police). Aux Etats-Unis, les statistiques seraient d’1 femme toutes les 25 secondes. Selon l’ONU-Femmes, 1 femme sur 3 est victime de violences sexuelles dans le monde en 2015.
Qu’y a-t-il donc chez la femme qu’on veuille la rabaisser et la détruire ? Serait-ce cette puissance de vie féconde ? N’est-il pas grandement temps de mener des actions pour créer une société humaine, respectueuse des deux sexes ? N’est-ce pas ce que disent les grandes figures spirituelles, qui sont si nombreuses en terre indienne ?
Des actions naissantes à la détresse des femmes
Des associations fleurissent en Inde avec la colère des femmes qui s’insurgent et descendent dans la rue. Par exemple, le Gang des Saris Roses veut la justice et n’hésite pas à la faire ! A New-Delhi, une unité de policières spécialisées en art martial a pour vocation la lutte contre les agresseurs sexuels. Des mesures gouvernementales sont mises en place, avec des numéros d’urgence. Les médias prennent le relais grâce aux affiches, aux posts sur les réseaux sociaux de vidéo qui prônent la protection de la femme dans les lieux publics. Le cinéma ose montrer la violence conjugale (61% de la population concernée !), l’infanticide, la réalité des femmes : par exemple « Water » de Deepa Mehta, « La Saison des femmes de Leena Yadav ou « Déesses indiennes en colère » de Pan Nalin.
A l’international, des élans de solidarité se font plus grands. Le réseau Femmes Internationales, Murs Brisés a une action de protection des femmes et enfants dans onze villes de l’Inde, grâce au tissage de liens entre les réseaux.
D’autres initiatives modestes fleurissent, telle l’association INDINILA à Saint-Just (34, Occitanie) qui parraine des petites filles à Pondichéry. Elle a même créé un cercle de femmes indiennes qui se réunissent mensuellement pour parler librement de leurs réalités de femmes, une grande nouveauté pour elles.
La figure spirituelle bien-aimée dans le monde, Amma, demande aux hommes d’aller offrir le bracelet de fraternité à une inconnue et de lui promettre sa protection. Aucune avancée d’ouverture de conscience n’est à négliger.
Nirmala Gustave, co-organisatrice avec Loli Laurence Viallard du 1er Festival du Féminin en Inde, à Auroville, les 17, 18, 19 février 2017. Plus d'infos : vanakkam.shakti@gmail.com