Cet article a été publié dans le magazine #34 mai-juin 2021
>> Pour retrouver la liste des points de vente c'est ici
Son nom s’est imposé pour incarner l’ancrage. Julie Bourges, 24 ans, inspire et rayonne sous le pseudonyme “ Douze Février ” sur les réseaux sociaux. Cette date est celle du jour où son existence a pris un tournant hors du commun. Jeune gymnaste prometteuse, Julie est l’adolescente sans histoire à la vie idéale. Des yeux d’un bleu profond, une magnifique chevelure blonde, des jambes fuselées… Elle a 16 ans, c’est la fête du lycée. Elle arbore, comme sa meilleure amie, un déguisement de mouton fait de dizaines de boules de coton. Une dernière cigarette fumée en cachette. La cendre incandescente qui vole. En quelques instants le costume s’embrase et la vie de Julie bascule. Brûlée au troisième degré sur 40% du corps, elle passera trois mois dans un coma artificiel pour ne pas succomber à ses blessures. Puis le réveil, la douleur insoutenable, le corps décharné et le regard des autres. Tel le phénix, oiseau légendaire qui renaît de ses cendres, elle choisit la vie et l’expose désormais au grand jour avec force et détermination.
Dans une interview à cœur ouvert, elle retrace pour nous son parcours maintes fois raconté. Depuis qu’elle a décidé de parler, dix-huit mois après son accident, Julie offre au monde son message de Vie et de résilience.
FemininBio : vous dites que votre histoire commence le 12 février 2013, date de votre accident. Vous vous sentez différente depuis cette date ?
Julie Bourges : pour moi, la date du 12 février est celle de ma renaissance. C’est un deuxième anniversaire que je célèbre chaque année. Même si c’est un moment difficile, il me rappelle d’où je viens. Celle que j’étais avant l’accident n’existe plus, quelque chose s’est brisé en moi, mais finalement pour une raison valable. Je me sens aujourd’hui dans une meilleure version de moi-même.
Rescapée des flammes, vous incarnez le phénix, cet oiseau de légende que vous portez tatoué sur l'omoplate...
Oui, ce symbole est très fort et très présent dans ma vie. Ma mère est une grande fan des comics Marvel. Elle dessinait tout le temps Jean Grey, qui devient le Phénix Noir dans la saga des X-Men. Au moment de l’accident, elle s’est mise à m’appeler “ Petit Phénix ”, et nous avons fait ce lien très puissant avec cette héroïne qui l’habitait depuis toujours.
Le phénix est un oiseau qui renaît plus beau qu’il n’était, et aujourd’hui c’est enfin ce que je pense de moi. J’étais très jeune quand ma vie a basculé, et l’accident m’a fait grandir d’un coup. C’est comme si je m’étais réveillée avec dix années de maturité en plus. Après cet événement, j’avais du mal à comprendre mes amis lycéens. C’était plutôt auprès de leurs parents ou grands-parents que je parvenais à trouver des connexions. J’avais 17 ans, j’observais cette jeunesse qui boit, qui fume, et je me disais que je voulais que ma vie ait un autre sens. L’insouciance m’avait quittée. J’étais face à des questionnements existentiels.
Le fait d’avoir frôlé la mort vous a-t-il ouvert à une autre compréhension de la vie ? À une nouvelle forme de spiritualité ?
Je suis née dans une famille très catholique qui a beaucoup prié pour que je m’en sorte, et a associé ma guérison à la grâce de Dieu. J’avais déjà la foi, mais à mon réveil j’étais en rupture avec la religion car tout était devenu plus grand qu’avant. J’ai compris que je m’en étais sortie parce que je l’avais voulu. C’était grâce à moi et moi seule.
Pendant la phase de coma artificiel, j’ai ressenti de nombreuses fois que j’avais le choix de revenir ou partir. Les drogues me donnaient l’impression de vaciller entre deux mondes et de m’éloigner de ma réalité, spirituellement et énergétiquement. J’oscillais entre conscience et inconscience, sans perdre connaissance, mais sans aucune notion de la réalité non plus. J’ai ressenti cet énorme effort, en entendant mes parents à mes côtés, de choisir de rester, quand quitter ce monde aurait été si simple. Et pourtant, leur présence à mes côtés m’a ramenée à la vie.
Vous êtes une sportive de haut niveau. Quel rôle le sport a-t-il joué dans votre processus de guérison ?
En 2013, j’avais déjà dix ans de pratique de gymnastique artistique derrière moi. Je m'entraînais 10 à 12 heures par semaine, sans compter les compétitions et les cours que je donnais aux plus petits. La gym m’a inculquée des valeurs fortes, “ tu tombes, tu te relèves ”, notamment à la poutre, cet agrès très exigeant de 12 cm de large ! J’y ai gagné un mental de compétitrice, un peu guerrier, et un corps à la mémoire musculaire immense.
Après l’accident, j’ai dû réapprendre à manger, à marcher… Je me souviens de mes premiers pas ! Dans ma chambre, j’avais affiché une photo de moi effectuant un saut des plus basiques. Aussi, lorsque le chirurgien m’a annoncé qu’il me faudrait trois ans avant de pouvoir le refaire, j'ai eu un électrochoc. Je l’ai pris comme un défi et tout s’est accéléré. Une semaine plus tard, j’étais en équilibre sur les mains, avec tous mes bandages. Cinq mois jour pour jour après l’accident, je sortais de l'hôpital. En septembre, j’ai repris la gym, comme si rien ne s’était passé et j'ai retrouvé mon niveau le mois suivant. Mais par peur du regard des autres je m’entraînais entièrement couverte, avec une écharpe, pour que personne ne voit mes cicatrices.
J’ai récupéré ma morphologie mais j’avais perdu confiance en moi. Je n’assumais pas ce corps transformé, et j’ai arrêté la compétition.
Aujourd’hui, vous exposez votre corps sur les réseaux. Quelle fut la bascule dans ce changement de regard sur vous-même ?
À 16 ans je ne connaissais pas la différence ni les complexes. À l'hôpital, j’étais dans un cocon où les soignants sont habitués à voir des “ gueules cassées ”. Dès ma sortie, j’ai eu besoin de comprendre l’image que je renvoyais, de savoir si j’étais quand même jolie au-delà de ma famille. Car si aujourd’hui le mouvement “ body positive ” prend de l’ampleur, en 2013 on ne revendiquait pas du tout la différence, et on parlait à peine des handicapés.
J’ai ouvert une chaîne YouTube et un compte Instagram comme un appel à l’aide doublé d’une envie de mordre la vie à pleine dents, en me disant que raconter mon histoire derrière un écran me protégerait. J'ai eu besoin de rencontrer le regard des gens, et le résultat fut incroyable. Un énorme cercle vertueux s’est formé et j’ai reçu une grande vague d’amour.
Nous étions en 2015-2016, et la vie parfaite et les photos retouchées étaient légion sur Instagram. C’est là que j'ai compris que grâce à mon accident j'allais pouvoir aider les autres.
>> A lire aussi : Wabi Sabi : l'art d'accepter l'imperfection inspiré du Japon
Vous rayonnez aussi l’amour sur vos réseaux. Quelle dimension cela apporte-t-il à votre vie ?
Je suis une amoureuse de la vie. Avoir frôlé la mort m’a appris à en savourer chaque instant. La vie m’a enseigné que tout arrive pour une raison, et que je n’ai pas le temps de m’attarder sur des situations pénibles ou des relations décevantes.
Il y a deux ans, j’ai rencontré Flavian, mon compagnon, sur un shooting photo. Au-delà de son amour, c’est une véritable photothérapie qu’il m’offre, à travers son art. Il arrive à me voir entière avec mes cicatrices et je me trouve belle à travers ses yeux. De plus, nous avons découvert tant de synchronicités dans nos parcours que notre relation est comme une évidence.
Quel est le message que vous souhaitez transmettre aujourd’hui ?
J’ai à cœur d’aider et de partager ce que la vie m’apprend chaque jour. Je sais aujourd’hui que cet accident m’est arrivé parce que j’avais les épaules pour le surmonter et en faire quelque chose. Je sais que donner un sens à toute cette traversée est pour moi indispensable pour rester debout ; cela m’anime et me dépasse à la fois. Lorsque j’écris des textes, une partie de moi est en retrait et j’ai l’impression que des anges me guident.
À présent je suis convaincue que nous avons plusieurs vies, et qu’à chaque nouvelle incarnation, nous évoluons. Puis vient un jour où nous parvenons à la version la plus évoluée de nous-mêmes, et c’est à ce moment d’éveil que nous devons porter notre message au monde. Ce qui est étrange, c’est que quelque part j’ai toujours su qu’il m’arriverait quelque chose qui me révèlerait.
J’aimerais partager aussi qu'au-delà de tout ce que j’accomplis, ce n’est pas tous les jours facile. Mon passé m’a construite mais a aussi détruit une part de moi que j’ai du mal à oublier. Alors oui, c’est normal d’aller mal parfois, de flancher, ça fait partie de l’aventure de l’existence.
Vous avez écrit un recueil de citations. Comment est né ce projet ?
À 18 ans, j’ai été contactée par un éditeur pour écrire le livre de mon histoire. Alors que j’en avais rédigé le plan détaillé, je ne parvenais pas à m’arrêter sur une version satisfaisante. J’ai compris que je n’avais ni le recul ni la maturité nécessaires pour mener ce projet, et je sais qu’il naîtra dans quelques années avec plus d’expérience.
J’ai proposé un livre de citations, car j’aime le pouvoir des mots qui peuvent changer le cours d’une vie en une résonance. Il y a dans ce livre cent citations, dont certaines écrites depuis mon lit d'hôpital, comme un moyen de retracer autrement mon parcours, et ce, dans un format original puisque les pages sont détachables pour que chacun puisse se l’approprier.
SON ACTU
Retrouvez Julie sur Instagram : @douzefevrier.
Son livre 100 pensées positives est paru aux éditions Amphora (illustrations Emma Baltus, photographies Flavian Couvreur).