En 1989, j'ai 18 ans. On dit qu'il n'y a plus de travail mais il me semble qu'il y a tout à faire ! Je ne veux pas résumer ma vie à la gagner. Je veux aider, être utile à quelque chose de bon mais quoi ? Ce sera la culture, la beauté, la poésie. Je plonge dans l'étude de mes racines italiennes et passe une dizaine d'années à lire, étudier, traduire, enseigner un poète philosophe lucide, Giacomo Leopardi. Je deviens assistante à La Sorbonne, en doctorat, et passe bien des dimanches à l'hôpital en bénévolant aux urgences pour enfants malades. Je vois le système de santé se détruire.
Durant mes nombreux voyages en Europe où je constate l'uniformisation, je ne m'habitue pas à la misère urbaine, à l'indifférence. A l'époque, une entreprise de prises Internet s'appelle « Noos » ce qui en grec veut dire « âme », je vois que la langue au service de la sur-consommation est une langue morte, je n'en peux plus, je craque, je cherche la source, je me rends compte que je ne sais rien faire des mes dix doigts, je tombe malade, longtemps et par réel miracle je guéris. Ainsi, commence le changement.
Renouveau dans une forêt du Canada, découvrir le nucléaire et devenir végétarienne en Grèce
Refusant de disséquer plus longtemps la Poésie, je quitte poste et avenir prometteur à la fac. J'apprends la danse indienne. Un jour, pour la première fois dans une forêt d'Algonquin au Canada, je suis si prise de sacré que je me déchausse, me sens chez moi, enfin.
Mais je vis à Paris, je dois gagner ma vie, survivre et la compétition règne. Free-lance dans l'édition et le tourisme, j'absorbe les douleurs de villes et écoute leur faux silence. Je découvre le nucléaire, j'en parle à mes amis, cela n'intéresse encore personne.
Je cesse alors de tergiverser et décide d'ouvrir en grand les portes de ma passion pour l'écriture, notamment vers l'écriture d'un livre qui va s'appeler Fluxus. Je quitte mes jobs à Beaubourg, dans la presse, l'édition, j'arrête la danse, rassemble mes petites économies et j'écris. Sans filets, je m'ouvre à une vie à l'essentiel, une traversée du désert fondatrice. Je découvre les montagnes du nord de la Grèce où j'ai voyagé seule à pied tout un hiver. J'apprends à faire un feu, je dors à la belle étoile et deviens végétarienne. Je suis bien.
Quitter Paris, arriver à Cuba et découvrir la vie sans pétrole
De détour en détour, il devient évident qu'il me faut quitter Paris si je veux garder une vraie qualité de vie et ne pas passer mon temps à chercher de l'argent et confondre mon confort avec ma liberté. C'est à Marseille que je migre. J'y découvre le yoga, les stages d'agro-écologie que je ne peux me payer, je dors souvent à la belle étoile dans les Calanques et le Luberon. Quelques mois par an, je travaille pour des guides touristiques car ma vie a changé mais pas complètement : cet arrangement précaire me permet d'écrire mais j'en suis malade, je ne veux plus contribuer à ce système, je veux être libre et choisir totalement tout ce qui fait ma vie.
Début 2007, mon ordre de mission pour un guide touristique est à Cuba. Je refuse d'aller écrire sur la beauté des plages dans cette dictature. Mais j'ai besoin d'argent et je pars.
Un jour, près de l'une des plus belles plages pourries de tourisme sexuel, je manque mon bus. Dans le bus suivant, deux jeunes Canadiens de 21 ans voyagent pour diffuser leur Solar Fire, des concentrateurs solaires en open source. Ils l'ont déjà fait en Amérique Latine, au Mexique, avec les paysans pour torréfier le café et le chocolat. Une coopérative est née.
Je rentre métamorphosée par ce que j'ai vu à Cuba et qu'on pourrait appeler une façon de vivre sans pétrole (ou très peu).
Les plantes me "parlent", et c'est normal
En quelques mois j'absorbe énormément de l'actualité, je débusque le Codex Alimentarius, j'arrive à la Révolution verte, je lis Gunter Anders, je comprends que pour être en cohérence je dois quitter la ville une fois pour toutes et être cohérente. J'ai envie de devenir bergère. Mais il faut un diplôme pour aller garder des moutons dans l'Ariège que je viens de découvrir et dont la beauté me subjugue ! Un diplôme, une école, des sous, que je n'ai pas.
Je pars vivre dans le Limousin avec un budget minime et découvre la théorie du choc de N. Klein, la propagande de Edward Bernays, Howard Zinn, l'arnaque d'avoir remplacé la pauvreté par la misère et celle du développement, etc., ad nauseam. Entre temps, l'amour est là.
Ensemble, nous développons le Solar Fire depuis une maison humide d'un hameau du Limousin louée par un ami d'ami où l'eau suinte par les murs. Je n'ai pas de travail, mon époux non plus, donc allocations minimales, pas de voiture pendant deux ans. Les courses se font à vélo ou à pied par les bois jusqu'à l'épicerie bio et le début de belles rencontres avec des gens de terrain pour qui l'écologie se définit par un fort sentiment de lien. Dans tout cela, on nous prête des bouts de terre, on fait des jardins, je découvre la seule école valable, les plantes me “parlent” et c'est normal.
L'Inde et une rencontre avec l'anti-Américanisation
Un jour où on allait tout lâcher avec notre Solar Fire , Mr Desai, un entrepreneur Indien nous contacte. Small is beautiful. Il travaille dans la lignée de Gandhi. On y va. On construit nos machines sur le toit de son usine à Rajkot. Premier pied en Inde, intensification de beaucoup de choses évidemment. On y retournera plusieurs fois. On verra comment les Occidentaux sont des proies spirituelles faciles. On développera notre technique jusqu'à permettre des machines de 90m².
Chez Mr Desai, je rencontre Jeff Knaebel. Un Américain qui a tout quitté, brûlé son passeport, sillonne l'Inde pour avertir les paysans des dangers de l'Américanisation. Ailleurs, la crise, les Anonymous, la Grèce qui dérape, l'Indignation d'Hessel partout. Je me dis que Jeff Knaebel est un exemple extraordinaire. Je le traduis en français, l'envoie partout, refusé partout. Qu'à cela ne tienne, je vais l'éditer moi-même dès que possible ! Je recycle mon métier de « guide » touristique en « guide » en ressources alternatives pour les ados, totalement bénévole depuis 4 ans sur un site que j'appelle LaSeiche et qui est en avant-poste des sites radicaux, un outil de tri fiable justement pour ceux qui ont envie de changer de vie ! Je deviens aussi membre des JNE (Journalistes pour la Nature et l'Environnement).
Installation en Finlande et lancement dans l'édition
Il devient assez évident qu'il faut quitter la France pour avancer dans les alternatives. Ce sera la Finlande, où se trouve une partie des ancêtres de mon époux, peu de corruption, plus d'arbres que de gens, un culte du silence, de la liberté, des lacs grands comme des mers...
Entre temps, je suis devenue maman, j'ai appris à me soigner seule pour la plupart des choses, et à me nourrir intelligemment aussi, local et bio autant que possible.
Notre association Solar Fire devient une entreprise sociale (il faut 1h pour créer une entreprise en Finlande), et d'autres passionnés nous rejoignent. L'intuition du livre pour l'écriture duquel j'ai tout quitté, Fluxus s'est accomplie il y a deux ans. La fable s'appelle maintenant Les enfants du siècle, récemment salué par Jean Ziegler.
J'ai créé Seepia, ma plate-forme d'édition avec impression à la demande, pas de stock, pas de pilon, un fonctionnement très simple parce que je pense que nos imaginaires doivent être irrigués par d'autres récits. Un ami m'a envoyé récemment cette magnifique citation : "L’action s’invente à partir de l’imagination d’un monde meilleur, et, par conséquent, à partir de l’avenir." Robert Misrahi.
Avec une amie, nous avons réalisé l'hiver dernier sur Babeldoor une campagne de co-financement d'un très beau livre de Janisse Ray, « Ceux qui sèment – Graines de résistance » qui a été soutenue par Vandana Shiva, des partenaires et 170 personnes. Il est sorti début juin. C'est une très belle énergie.
Voilà, comme je ne rentrerai jamais dans aucune case, j'ai créé les miennes, les plus ouvertes possibles !