Auteur curieux, depuis toujours Olivier Clerc cherche des réponses aux questions existentielles et philosophiques de notre monde. Fort de ses expériences, voyages et formations, il développe sa philosophie en mixant et puisant les forces de plusieurs traditions spirituelles. A l'occasion la parution de son nouvel ouvrage "J'arrête de juger" aux éditions Eyrolles, Olivier nous dévoile le cheminement qu'il a emprunté pour dire non au jugement et rejoindre le discernement..
Quel chemin vous a mené jusqu'à l'écriture de ce livre ?
Olivier Clerc : J’ai envie de vous répondre que c’est mon cheminement de ces 30 dernières années, dans la spiritualité et le développement personnel. Je suis tombé dans la « marmite » très jeune, et j’ai passé des années à chercher le moyen d’améliorer ma qualité de vie et en particulier mes relations. Car au fond, c’est cela le plus important dans la vie : avoir des relations épanouissantes, avec soi-même et avec les autres. Qu’importe un salaire de ministre, si nos relations sont pourries !
C’est pour ça que j’avais inventé autrefois le concept de Q.R. : quotient relationnel. Pas le quotient émotionnel, parce qu’on peut être doué pour exprimer tout le registre émotionnel, mais nul au plan relationnel. Et au final, pour réussir ses relations, il faut apprendre à connaître et apprivoiser sa tête et son cœur, choses que – curieusement – l’école ne nous apprend pas à faire. Alors, j’ai appris ça tardivement, par la bande, à travers de nombreux enseignements, stages et livres, et surtout une mise en pratique quotidienne. Et ça a vraiment changé ma vie et mes relations, même si je suis loin d’être « arrivé ».
Vous même étiez dans le jugement plus jeune ?
OC : Vous voulez rire ? J’étais passé maître en la matière ! J’étais impitoyable avec moi-même, très jugeant avec les autres. Et – paradoxalement – mes débuts dans la spiritualité et le développement personnel ont encore accentué cela, en me faisant prendre conscience combien je n’étais pas au point. Il m’a fallu des années pour me libérer de cette attitude. La rencontre avec Don Miguel Ruiz – dont j’ai traduit tous les livres en français – a été déterminante, et notamment ce rituel de pardon qu’il m’a transmis, car le pardon est une des grandes clés du non-jugement : c’est le chemin de la guérison des blessures du cœur. L’autre moitié, c’est d’apprendre à maîtriser son mental pour qu’il arrête de travailler contre nous. Lorsque le cœur est guéri et que le mental retrouve toute sa liberté et sa souplesse, le non-jugement devient accessible.
Juger ou se juger, est ce toujours lié ?
OC : Oui, et même très étroitement. Si je me juge, je jugerai forcément les autres : je ne supporterai pas chez eux les défauts que je ne tolère pas chez moi. Et si je juge les autres, j’entretiens mes propres jugements envers moi-même, car il m’arrive tôt ou tard d’avoir les mêmes comportements que je leur reproche. Inversement, dès que mes jugements contre moi-même diminuent, je deviens soudain beaucoup plus compréhensif et indulgent avec les autres. Et plus j’arrive à me libérer de mes jugements envers les autres (sans perdre mon discernement, attention !), plus je parviens également à m’accepter comme je suis… tout en continuant de m’améliorer.
D'où nous vient cette manie du jugement ? Pourquoi est-elle néfaste ?
OC : D’où ça vient ? Nous héritons cela de nos parents, de nos profs, de la société. C’est tout notre environnement qui fonctionne actuellement sur ce registre-là. Je juge, tu juges, il juge… nous sommes tous dans le jugement. Donc, en grandissant, par osmose, on se met à se juger et à juger les autres à notre tour.
Pourquoi c’est néfaste ? Mais parce que ça nous pourrit la vie, tout simplement ! On vit avec un harceleur dans la tête en permanence, pour qui rien ni personne n’est jamais assez bien. Comment être heureux, en jugeant tout le temps ? Comment oser faire des choses audacieuses, innovantes, si on craint toujours les jugements, les siens comme ceux des autres ? Le pire, c’est qu’on s’imagine que ces jugements vont nous rendre meilleurs, alors que c’est plus souvent l’inverse qui est vrai : celui qui est jugé se ratatine, se dessèche, devient amer, cynique, il est bloqué par la peur, il s’autosabote. Le discernement est utile, mais pas le jugement. Et au final, c’est l’amour qui fait grandir, qui fait évoluer, qui fait avancer. L’amour et le discernement. Pas les jugements, les reproches et la culpabilité.
Le jugement n'est-il pas nécessaire parfois ?
OC : Je fais une distinction très claire dans mon livre entre jugement et discernement. Le discernement, pour faire simple, c’est voir objectivement des différences : ça c’est noir, grand ou lourd ; ça c’est blanc, petit ou léger. Le jugement, tel que je le définis, c’est ajouter des émotions négatives à ce qui est objectivement perçu : c’est noir, beurk, c’est affreux ! C’est petit – ha ! ha ! ha ! – c’est ridicule. Je schématise. On a impérativement besoin de discernement, mais le jugement est toxique, il n’apporte rien ni à soi ni à l’autre. Attention : sous prétexte de ne pas tomber dans le jugement, certains finissent par ne plus oser avoir le moindre discernement. Ce n’est pas le but. Je donne donc des clés pour bien différencier les deux.
En quoi consistent les exercices proposés dans ce programme de 21 jours ?
OC : Ils sont très variés ! Certains visent à faire prendre conscience aux lecteurs de comment ils fonctionnent actuellement : quels sont les sentiments et les pensées qui leur viennent naturellement, quels sont leurs modes réactionnels habituels, etc. La conscience est le premier pas vers le changement. D’autres exercices visent ensuite à leur faire adopter de nouvelles habitudes : à essayer – de manière assez ludique – de nouvelles façons de penser, de se comporter, de réagir. Celles et ceux qui les mettront vraiment en pratique verront à coup sûr des changements : je peux le garantir ! Mais pour cela, il faut se discipliner et ne pas s’attendre à changer en un jour, ni même en une semaine, des habitudes qu’on cultive et renforce depuis dix, vingt, trente ou quarante ans !!
Montrez-nous avec 2-3 exemples que c'est à notre portée !
OC : Eh bien, par exemple, quand on se regarde vivre au quotidien, on constate qu’on fait beaucoup de suppositions négatives, qu’on prête beaucoup d’intentions aux autres en choisissant parmi les plus noires des nôtres ! Exemple : la caissière ne me rend pas assez de monnaie ! Elle a essayé de me voler ! Un collègue me bouscule au bureau ? Il l’a fait exprès ! Du coup, je juge ces gens, je déverse sur eux toutes sortes d’émotions pas très jolies-jolies. Mais au fond, qu’est-ce que j’en sais ? Et si ma supposition était totalement fausse ? Je “prête” une intention à autrui, puis je réagis personnellement à l’intention que je lui ai prêtée, et je me pourris la vie tout seul ! J’appelle cela de l’autisme psychologique : je fonctionne en circuit fermé, l’autre est juste l’écran sur lequel je projette mes propres histoires. Alors, je propose comme exercice pour changer cela de se prendre sur le fait, chaque fois qu’on prête des intentions négatives aux autres (dans la rue, au bureau, en regardant la TV, etc.), et de s’imposer de trouver tout de suite au moins une raison positive pour laquelle cette personne aurait pu agir comme cela. La caissière ? Elle était fatiguée, elle n’a pas fait attention. Mon collègue ? Il était distrait, il avait oublié ses lunettes. Dès qu’on trouve au moins une autre supposition, un autre angle de vue, on cesse d’être un Cyclope prisonnier d’un point de vue unique, d’une croyance unique, une supposition unique… et on retrouve un peu de liberté intérieure.
Autre exercice que j’aime beaucoup, que j’ai emprunté à mon grand ami Pierre Pradervand, auteur de nombreux livres et d’un texte fabuleux, traduit dans des dizaines de langues : Le Simple Art de Bénir. Au lieu de laisser mon cœur et mon mental s’acoquiner de manière malsaine pour juger tous les gens que je croise dans la rue – « Oh, dis donc, celle-ci, comment elle est attifée ! Et celui-ci, quelle sale tête il a ! » - je décide pendant une journée ou une semaine d’envoyer une bénédiction silencieuse à chaque personne que je vois. Pas besoin que ce soit religieux : béné-diction ça signifie simplement “dire du bien”, autrement dit souhaiter le meilleur aux autres, faire le vœu que ce qu’il y a de plus beau en eux puisse s’épanouir et se renforcer. Ça paraît tout bête, mais vous n’imaginez pas ce que ça peut changer en vous et autour de vous !
Je précise tout de même qu’il ne s’agit pas de devenir des béni-oui-oui. On peut parfaitement pratiquer le non-jugement et être ferme, exigeant ou sévère quand il le faut. Il y a beaucoup de confusion dans ces domaines, que je m’efforce de dissiper.
Thierry Janssen a signé la préface de ce livre. Pourquoi l'avoir choisi ?
OC : La collection où paraît mon livre, chez Eyrolles, a cette habitude d’un préfacier pour chaque titre. Même si je n’en suis plus à mon coup d’essai – je fête ce janvier 2014 les 30 ans de la parution de mon premier livre, à l’âge de 22 ans ! – je me suis plié à la règle et j’ai tout de suite pensé à Thierry. Il m’avait écrit un joli mot voici quelques années, après avoir lu La grenouille qui ne savait pas qu’elle était cuite, et j’avais moi-même beaucoup apprécié ses Confidences d’un homme en quête de cohérence. Je trouve que beaucoup de choses nous rapprochent. Alors, je l’ai contacté et – alors qu’il devait partir en voyage quelques jours plus tard – il a eu l’extrême gentillesse de lire aussitôt mon texte et de me rédiger cette émouvante préface, qui ressemble plus à un éloge…
Vous avez traduit et beaucoup étudié les accords toltèques de Don Miguel Ruiz. Quels enseignements vous apportent-ils au quotidien ?
OC : C’est vrai, j’ai eu la chance de traduire tous les livres de Don Miguel et de publier les premiers chez Jouvence où j’étais directeur littéraire. J’ai même récemment traduit le premier titre de son aîné, Miguel Jr., que je trouve excellent : Les Cinq Niveaux d’Attachement. L’enseignement de Miguel Ruiz, pour moi, est centré autour de ces valeurs christiques fondamentales que sont l’amour, le pardon et la vérité. Miguel est d’ailleurs très proche de l’enseignement du Christ. J’ai trouvé en lui un exemple vivant d’amour inconditionnel, là où beaucoup en parlent mais peu le vivent.
Lorsque j’ai rencontré Miguel Ruiz au Mexique, en 1999, il m’a fait vivre une expérience de pardon qui a changé ma vie. Je cherchais jusque-là à ouvrir mon cœur et là j’ai compris qu’il s’agissait de le guérir, car nous avons tous eu le cœur blessé. Le pardon est une voie royale pour y arriver, surtout de la manière dont je le transmets à mon tour, qui inverse à 180° ce que nous essayons de faire en matière de pardon… avec le peu de succès qu’on sait ! Ça, c’est un cadeau inestimable qu’il m’a fait. Je dis souvent que les accords toltèques aident à retrouver une certaine liberté dans la tête, et que le Don du Pardon – nom que j’ai donné au rituel que j’ai partagé dans mon livre et dans les ateliers que j’anime – nous redonne notre liberté dans le cœur, la liberté d’aimer.
Plus que les accords toltèques eux-mêmes, c’est cette guérison du cœur que m’a apporté Don Miguel. Je parle souvent de “douche du cœur” pour évoquer ce travail de pardon, car comme une douche, on n’en prend pas une seule dans une vie, ni même dans l’année : on se douche régulièrement pour entretenir son hygiène physique. L’hygiène du cœur, c’est pareil : cela demande une attention et des soins réguliers. Le résultat, c’est un cœur lavé, un cœur guéri, qui peut aimer librement. Quelle meilleure base pour cheminer vers le non-jugement ?
Pour arrêter de vous juger, découvrez vite le livre d'Olivier Clerc, "J'arrête de juger" sortie le 13 janvier 2013 aux Editions Eyrolles.